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La Chine regrette-t-elle sa politique de l'enfant unique?

Temps de lecture : 7 min

À la veille du centième anniversaire du Parti communiste chinois, la perspective d'une natalité qui va vers un probable déclin n'est guère valorisante. L'impression se répand que le pays risque de devenir vieux avant d'être réellement riche.

Des enfants jouent à l'extérieur d'un café à Pékin (Chine), le 11 mai 2021. | Greg Baker / AFP
Des enfants jouent à l'extérieur d'un café à Pékin (Chine), le 11 mai 2021. | Greg Baker / AFP

La Chine comptera-t-elle un jour plus de 1 milliard 500 millions d'habitants? Le 11 mai, Pékin a indiqué que les Chinois ne sont «que» 1.411.778.724. Certes, cela représente 18,7% des 7,7 milliards d'habitants de la planète. Mais le recensement réalisé tout au long de 2020 par le Bureau national de la statistique indique que la population chinoise n'a augmenté que de 0,53% par an depuis 2010. Alors qu'entre 2000 et 2010, cette croissance avait été de 0,57%.

Il est probable que les dirigeants du Parti communiste chinois disposaient de ces chiffres dès le mois de mars. Mais ils ne s'attendaient peut-être pas à ce que la croissance de la population ralentisse. Toutes sortes de réunions ont dû se tenir à Pékin, et ainsi retarder la publication de ces chiffres.

Ce recensement indique qu'il y a en Chine 264 millions de personnes de plus 60 ans, soit 18,7% de la population chinoise. En 2010, c'était 13,3%. Les 15-59 ans, tranche en âge de travailler, représentent 63,3% des Chinois. En 2010, ils étaient 70%. Quant au nombre des naissances qui, lui, est recensé chaque année, il est passé de 14,65 millions en 2019 à 12 millions en 2020.

Les experts chinois se partagent entre ceux qui estiment que la population du pays déclinera après avoir atteint un maximum en 2027 et ceux qui pensent que ce sera à partir de 2025. En tout cas, les 50 millions de naissances envisagées d'ici à 2029 ne devraient pas suffire à bloquer le vieillissement accéléré de la population chinoise.

Objectif enrichissement

Se préoccuper du nombre de Chinois relève d'une longue tradition instaurée par l'administration impériale. Sous la dynastie des Ming, la paix et l'amélioration des techniques agricoles avaient permis à la population de passer de 70 millions d'habitants en 1400 à 130 millions en 1650. De même, au XVIIIe siècle, à l'apogée de la dynastie des Qing, la Chine est passée de 150 millions en 1700 à 330 millions en 1800.

En 1949, lorsque le Parti communiste chinois prend le pouvoir, la limitation des naissances n'est pas dans son programme. Le pays compte alors près de 500 millions d'habitants et, aux yeux des nouveaux dirigeants, le collectivisme doit permettre à chaque Chinois d'être instruit, de travailler et d'être nourri. Aussi, un discours nataliste s'installe et Mao Zedong estime que «c'est faire injure au peuple chinois que de vouloir en limiter le nombre».

«La priorité en Chine dans les années 1980 était d'accélérer le développement économique quitte à entraîner un coût démographique important.»
Isabelle Attané, démographe et sinologue à l'INED

En 1966, au début de la Révolution culturelle, il y a environ 700 millions de Chinois. En 1978, deux ans après la mort de Mao, la population est évaluée à 969 millions. Ce chiffre révèle une surpopulation grandissante et il n'est pas compatible avec l'objectif d'enrichissement du pays lancé par Deng Xiaoping, le nouveau numéro 1 du régime.

Aussi, à partir de 1980, il va être interdit aux couples chinois d'avoir plus d'un enfant. Isabelle Attané, démographe et sinologue à l'INED (Institut national d'études démographique) explique qu'à l'époque, «le calcul du gouvernement chinois était que la politique de l'enfant unique reste en place une trentaine d'années. C'est-à-dire pour une durée équivalant à une génération. La priorité en Chine dans les années 1980 était d'accélérer le développement économique, quitte à entraîner un coût démographique important.»

Avortements et infanticides

Très vite, pour s'assurer que la limitation des naissances est respectée, une administration d'un demi-million de fonctionnaires va se mettre en place. Administrativement, ils dépendent de la Commission nationale du planning familial qui sera rattachée au ministère de la Santé. Ils inspectent les villes et les villages, imposent des avortements aux femmes enceintes d'un second enfant, même si leur grossesse est sur le point d'aboutir. Une loi de 1982 décrète qu'«un couple ayant deux enfants ou plus doit subir une stérilisation».

Dans le cas de naissances illégales, des pénalités sont prévues, allant du renvoi de son emploi à des amendes importantes et à la non-délivrance de hùkǒu au nouveau-né. Privé de cette attestation de résidence qui assigne chaque Chinois à son lieu de naissance, l'enfant dit «enfant noir» n'a accès ni à l'école, ni aux services de santé. Il est par définition impossible de savoir combien ils seront à être dans cette situation.

Selon des évaluations officielles du ministère de la Santé, près de 330 millions d'avortements ont été pratiqués en Chine entre 1971 et 2010 du fait de cette politique de l'enfant unique, également appelée «politique de planification des naissances». Le nombre d'avortements a culminé entre 1982 et 1992 à plus de 10 millions par an, avec des pics à plus de 14 millions en 1983 et 1991.

Par ailleurs, dans les campagnes, il y a une préférence pour les garçons: ils perpétuent le culte des ancêtres et continuent l'exploitation des terres car, à la différence des filles, ils ne partent pas dans une autre famille quand ils se marient. Le résultat est qu'il y a eu de nombreux infanticides de petites filles, déséquilibrant les ratios entre sexes: il y a aujourd'hui en Chine 111 garçons pour 100 filles à la naissance, alors que dans le reste du monde, le ratio est de 105 garçons pour 100 filles. Plus précisément, il y a 723,34 millions de Chinois et 688,44 millions de Chinoises. Ce qui fait que 51,24% de la population en Chine est masculine tandis que 48,76% est féminine. Cependant, depuis 1984, lorsqu'une fille naissait dans une famille paysanne, un deuxième enfant était autorisé. Et dans les villes, à partir du début des années 2000, la naissance d'un deuxième nourrisson va être tolérée pour les couples composés de deux enfants uniques.

La politique de l'enfant unique a une autre conséquence aujourd'hui: le vieillissement des Chinois nés avant ces vingt-cinq ans de stricte limitation des naissances. Un vaste régime de retraites est en train d'être élaboré. En même temps, les générations d'enfants uniques sont par définition moins nombreuses que celles qui les ont précédées. D'où une main-d'œuvre chinoise qui sera moins importante dans les décennies à venir. Depuis 2005, de nombreux démographes chinois expliquent que la Chine se dirige vers une situation où il y aura plus de retraités que d'actifs. Ce point de vue a tardé à être entendu. Remettre en cause une politique fermement en place demande un consensus au sommet du parti communiste. De plus, les contrôleurs, qui craignent pour leur fonction, ont fait pression pour que les contrôles soient maintenus.

Effacer les traces de la propagande

Ce n'est qu'en novembre 2013 que le Comité central du parti communiste autorise les couples dont au moins l'un des membres est un enfant unique à avoir deux enfants. Il s'agit, selon l'agence Chine nouvelle, de promouvoir «un accroissement équilibré à long terme de la population de la Chine». Mais sur 11 millions de couples potentiellement concernés par cette réforme, seulement 620.000 demandent l'autorisation d'avoir un deuxième enfant.

Aussi, en octobre 2015, le 5e plenum du Comité central annonce que toutes les familles, à partir du 1er janvier 2016, peuvent avoir un maximum de deux enfants. Là non plus, cette disposition ne relance pas la natalité. Si bien qu'une dernière étape se concrétise en mai 2020, lors de la session annuelle de l'Assemblée nationale populaire: un code civil est promulgué et il n'aborde pas la question du contrôle des naissances. Ce qui sous-entend que prochainement, chaque famille chinoise sera libre d'avoir autant d'enfants qu'elle le désire.

C'est donc par une suite d'étapes rapides que les autorités chinoises achèvent de lever la limitation des naissances. Sans doute, en 2015, après avoir procédé à un net assouplissement sur cette question, la direction du parti communiste s'attendait-t-elle à voir les naissances augmenter fortement. Mais dans les villes où vit désormais la moitié de la population chinoise, les jeunes couples tiennent souvent en priorité à progresser dans leur carrière. De plus, l'éducation coûte cher, surtout dans les meilleures écoles. Avoir plusieurs enfants risque de charger considérablement les dépenses de la famille. Enfin, une trentaine d'années de propagande officielle en faveur de l'enfant unique ont laissé des traces. Même si les restrictions sont maintenant levées, de nombreux Chinois pensent qu'il vaut mieux n'avoir qu'un seul enfant, voire de ne pas en avoir du tout.

«Ce qui inquiète le plus le régime chinois, c'est la réduction de la main-d'œuvre. D'ici à 2050, la Chine va perdre plus de 200 millions de personnes en âge de travailler.»
Isabelle Attané, démographe et sinologue à l'INED

Si bien que l'attitude des dirigeants s'est inversée: ils limitaient autoritairement les naissances, ils essaient aujourd'hui de les encourager. Des projets sont actuellement en discussion à Pékin pour taxer les couples disposant d'un haut revenu jusqu'à ce qu'ils aient deux enfants. Certaines municipalités sont très motivées: elles proposent des horaires flexibles pour les femmes enceintes, des congés maternité –et paternité– plus longs ou encore des taux d'emprunt avantageux en vue d'un achat immobilier pour ceux qui viennent de devenir parents.

Par ailleurs, en février, trois provinces du nord-est de la Chine ont été invitées à examiner quels facteurs affaiblissent la volonté des citoyens d'avoir des enfants. À Jinan, une commission a été créée notamment pour faire le point sur le manque de services de garde d'enfants dans ces régions, aussi bien que sur la meilleure façon d'accompagner la demande croissante de développement de carrière parmi les femmes qui y habitent.

Alors que cet été va être célébré le centième anniversaire de la création du Parti communiste chinois, la perspective d'une natalité qui va vers un probable déclin n'est guère valorisante. L'impression se répand que le pays risque de devenir vieux avant d'être réellement riche. À tout le moins, la directive volontariste en faveur des naissances lancée en 2015 par Xi Jinping n'a pas été suivie d'effet.

Selon Isabelle Attané, tout cela devrait amener les dirigeants chinois à réagir: «Selon moi, ce qui inquiète le plus le régime chinois, c'est la réduction de la main-d'œuvre. D'ici à 2050, la Chine va perdre plus de 200 millions de personnes en âge de travailler. Ce qui pourrait mettre à mal l'économie chinoise. Aussi, on peut penser que dans les prochaines années, le régime chinois va mettre en place des mesures fortement incitatives pour relancer la natalité. Dans tous les pays, symboliquement, une trop faible fécondité s'apparente à une forme de déclin.» Depuis quelques semaines, de hauts fonctionnaires chinois commencent à évoquer dans la presse la nécessité de «mettre en œuvre le plus rapidement possible une politique de soutien pour stimuler les naissances».

Sur le plan international, le taux de natalité a aussi d'importantes conséquences symboliques. En Chine, l'indice de fécondité est aujourd'hui à 1,7 enfant par femme, en deçà du seuil de renouvellement des générations qui se situe à 2,05. En Inde, ce chiffre est de 2,5. L'Inde est actuellement, avec 1,38 milliard d'habitants, le deuxième pays le plus peuplé au monde et elle a levé les restrictions à la fécondité. Il est probable que les Indiens deviendront prochainement le peuple le plus nombreux de la planète, devant les Chinois.

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