Médias / Politique

Macron sur YouTube avec McFly et Carlito: Jupiter est tombé dans la piscine du «Loft»

Temps de lecture : 5 min

La participation du président de la République à une émission en ligne animée par les deux YouTubeurs a soulevé de légitimes interrogations jusque dans son camp. 

«Faire passer un message à ceux qui sont les plus éloignés de la politique» est l'argument récurrent de la tentation des politiques à intégrer les codes du divertissement. | Capture d'écran Mcfly et Carlito via YouTube
«Faire passer un message à ceux qui sont les plus éloignés de la politique» est l'argument récurrent de la tentation des politiques à intégrer les codes du divertissement. | Capture d'écran Mcfly et Carlito via YouTube

Le soir du dimanche 23 mai, un instant de gêne a parcouru le monde politique et l'ensemble du pays à la découverte de la prestation du président Macron.

Sur les réseaux sociaux, les réactions fort peu enthousiastes ont fusé et laissé transparaître, de la part de bon nombre de personnes, une forme de questionnement sur ce que signifie aujourd'hui la parole présidentielle et, incidemment, la parole politique.

Le contenu de «l'entretien» ne peut agir sur le sens commun du pays. Sa signification politique est en effet nulle sinon que, n'en ayant justement pas, elle enterre la politique. Enfin, l'intervention du groupe de Metal Ultra vomi, si elle laisse quelque chose, sera une odeur, celle de l'atteinte à la présidence de la République.

Coup marketing

Ardemment défendue par le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, cette opération de communication se heurte à deux prises à revers de la logique promue: d'abord les adeptes de ces YouTubeurs ne souhaitaient peut-être pas cette irruption du président; ensuite et surtout, le moment ludique et dénué de message d'Emmanuel Macron avec les YouTubeurs n'a pas servi la fonction présidentielle.

On peut aisément comprendre et approuver l'idée que le chef de l'État jette un œil sur les contenus de YouTube et davantage comprendre encore que les militants de sa réélection s'y investissent. Cependant, en l'espèce, il s'agit de montrer que le chef de l'État pense et agit comme le spectateur ou l'acteur lambda des chaînes YouTube des deux autres protagonistes. D'une certaine manière, Jupiter est tombé dans la piscine du Loft.

Triviale Poursuite

Depuis plusieurs années la quête de nombre de responsables ressemble à la fois à la quête de leur médiatisation à tout prix et, consécutivement, de la trivialisation de la parole politique poussée à ses plus insignes conséquences.

Évidemment, depuis la présidence de Valéry Giscard d'Estaing, on a connu quelques incursions de responsables politiques dans le monde de la télévision de divertissement.

Le dosage de ces apparitions, leur nature, la distance des participants (Giscard, Chirac ou Jospin par exemple) n'atteignait ni la parole portée ni la fonction exercée (du moins pas à un degré connu ce week-end). Même François Mitterrand eut quelques mots en direct dans l'émission de Dorothée, à l'occasion d'un spectacle de Noël qu'elle donnait pour les enfants du personnel de l'Élysée.

«Toucher les citoyens qu'on ne touche pas d'habitude», «faire passer un message à ceux qui sont les plus éloignés de la politique» sont des phrases maintes fois entendues qui constituent l'argument récurrent de la tentation des politiques à intégrer les codes de la télévision de divertissement (avec ses déclinaisons sur YouTube, etc.) et de la télé-réalité. L'argument vire vite à l'alibi impuissant. In fine, il apparaît très simplement que les politiques sont devenus des peoples comme les autres.

Une émission de La Chaîne parlementaire (LCP) au titre évocateur –«J'aimerais vous y voir»– a longtemps mis en scène des députés dans la peau d'un citoyen de leur circonscription –enseignant, artisan– pour leur faire découvrir «la vraie vie». Supprimée depuis, elle a été remplacée par une autre émission –«Émois & Moi»– qui a le mérite d'aller au fond des raisons de l'engagement des responsables politiques. La première impliquait que le député se présente dans une situation de la vie quotidienne d'un citoyen. La seconde implique que le député montre et démontre la solidité de sa capacité à représenter.

La Loftisation du débat public

Sur d'autres chaînes, des hommes politiques ont été acteurs de télé-réalité à vocation politique. Enfin, des responsables exerçant, n'exerçant pas ou n'ayant pas encore de nouvelles responsabilités sont devenus des people comme les autres. La ministre de la Culture actuelle –Roselyne Bachelot– a été, plusieurs années durant, une habituée des plateaux de télévision où elle a d'ailleurs fréquenté l'actuelle candidate PS à la présidence de la région Île-de-France Audrey Pulvar, qui n'avait à l'époque aucune ambition électorale affichée.

Participer à ces émissions implique d'en accepter les codes, codes qui sont ceux de l'industrie commerciale du divertissement.

En recherche de notoriété, nombre de responsables politiques ambitionnent davantage de passer chez un animateur de divertissement que d'organiser un colloque ou de donner une roborative tribune politique à un grand quotidien du pays. Marlène Schiappa excelle dans ce registre de la course à l'alouette hanounienne.

Tandis que le ministre Jean-Michel Blanquer répond au téléphone aux questions de l'animateur de «Touche pas à mon poste» sans que ni les enseignants ni les élèves aient pu obtenir lesdites réponses par des canaux normaux ou, du moins, habituels. Quant à Barbara Pompili, elle a participé à «Top Chef». Participer à ces émissions implique d'en accepter les codes, codes qui sont ceux de l'industrie commerciale du divertissement.

Cette tentation du saut dans le vide médiatique et politique ne touche d'ailleurs pas que les seuls partisans du président de la République. La France insoumise (LFI) a quelques récurrentes velléités de s'incruster d'une manière ou d'une autre dans des programmes qui, pour être élégant, cultivent la trivialité la plus intense, afin de toucher un public qu'ils pensent ne pas toucher habituellement. C'est ainsi que Raquel Garrido est devenue chroniqueuse dans l'émission de Cyril Hanouna en même temps que l'ancienne porte-parole de LR Laurence Saillet, par ailleurs membre du Comité Laïcité République. Leurs prises de becs sont supposées refléter le débat politique au sein de la société française. Jean-Luc Mélenchon a également succombé au charme de C8 en se rendant sur le plateau de Cyril Hanouna afin d'y trouver «asile politique».

Il existe une soif d'image du monde politique qui étouffe le besoin de message politique. Le pis-aller semble être les talk-shows permanents d'une chaîne comme CNews, qui partage la même loge de maquillage que les invités de Cyril Hanouna.

Le président est devenu un people comme les autres

Il y a cependant une différence de degré entre ce qu'un président et un candidat peuvent faire. Il y a aussi une différence de degré dans l'esthétique, les thèmes et le langage qui sont utilisés pour faire des incursions dans le domaine du divertissement trivial. La République gaullienne n'a pas bridé l'expression du candidat fantaisiste Marcel Barbu en 1965. Cela n'impliquait nullement, en revanche, que le général de Gaulle dut pousser la chansonnette avec les Frères Jacques ou les Compagnons de la Chanson.

Cet épisode porte un coup au pouvoir de ce lieu qu'est le Palais de l'Élysée.

En Italie, Silvio Berlusconi a bâti un empire médiatique et a davantage utilisé les programmes de ses chaînes pour engloutir la politique et les responsables politiques qui s'y précipitaient que pour s'abîmer lui-même.

La place du président de la République n'est pas plus chez Carlito et McFLy que celle du ministre de l'Intérieur à «Faites entrer l'accusé». C'est le minimum qu'implique la fonction exercée par chacun. Il y a cependant, dans cette affaire, quelque chose qui dépasse la question du respect de la fonction présidentielle, c'est le maintien du pouvoir des lieux lorsqu'ils sont des lieux de pouvoir institutionnel de la République. L'épisode de dimanche porte un coup au pouvoir de ce lieu qu'est le Palais de l'Élysée qui, en souffrant de cette atteinte, risque d'être moins perçu qu'auparavant comme un lieu de pouvoir.

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