Politique / Société

Doit-on s'étonner que Gérald Darmanin se soit rendu à la manifestation des policiers?

Temps de lecture : 4 min

Le débat public évolue au rythme de l'émotion devant les événements. Les nouveaux défis en matière de sécurité n'y échappent pas, obligeant les politiciens à se situer davantage qu'à agir.

Gérald Darmanin, lors d'une conférence de presse à Avignon, après la mort d'Éric Masson, un policier tué lors d'un contrôle sur un point de deal, le 5 mai. | Clément Mahoudeau / AFP
Gérald Darmanin, lors d'une conférence de presse à Avignon, après la mort d'Éric Masson, un policier tué lors d'un contrôle sur un point de deal, le 5 mai. | Clément Mahoudeau / AFP

En matière de sécurité comme du reste, la France passe d'une séquence à une autre, troquant à l'évidence l'analyse et la critique contre la soumission à des émotions aussi successives que sincères. Le débat public est toujours émaillé de bonnes intentions –hier «solidaire avec les soignants», aujourd'hui «solidaire avec les policiers»– mais rarement investie par une vision claire de la situation ou de l'avenir. L'assassinat de deux fonctionnaires, par un terroriste islamiste d'abord, par un dealer ensuite, ont fait prendre de nouveau conscience des périls encourus par les forces de l'ordre aujourd'hui.

Voici un an, la large couverture de la manifestation place de la République à Paris du Comité Adama, pointant les «violences policières», induisait l'introduction dans le débat public du «racisme systémique» ou de «violences systémiques» exercées par ces mêmes forces de l'ordre. Au jeu de l'émotion, les groupes de pression ont la part belle.

Rappelons que, longtemps, si la police comportait des éléments de droite dure ou d'extrême droite, le principal syndicat de policiers en tenue, la FASP, était marqué à gauche. Il n'est pas inutile de rappeler que cette forte syndicalisation à gauche des policiers a enrayé, dans l'après 1968, les menées sécuritaires d'une partie de la droite de l'époque. Les fonctionnaires de police sont aux avant-postes dans une société où les malfaçons des politiques engagées portent désormais à conséquences graves.

La réalité du métier

Que des responsables politiques se rendent à la manifestation d'un groupe social quel qu'il soit semble pour le moins compréhensible, d'autant que dans chaque mouvement social s'expriment des opinions différentes et des revendications communes ainsi que d'autres divergentes. Ce qui est très surprenant c'est de voir, sans doute pour la première fois, un ministre de l'Intérieur se rendre à une manifestation de policiers, ce qui peut apparaître à certains comme une manière de se dédouaner de ses responsabilités politiques en mettant en scènes ses affects et son émotion.

Le ministre de l'Intérieur n'est pas «le premier flic de France», c'est une formule mal comprise attribuée à Clemenceau. Par cette formule, il entendait signifier qu'il était le premier à contrôler la police française, nullement qu'il se comportait en premier syndicaliste policier du pays. C'est la différence entre l'État républicain et l'État policier…

La situation a-t-elle fondamentalement évolué dans les commissariats depuis le film L627 de Bertrand Tavernier? La réalité du métier de policier est des plus difficiles et les choses semblent avoir empiré par certains côtés.

De bords opposés, aux convictions républicaines tranchées, Pierre Joxe, Charles Pasqua et Jean-Pierre Chevènement ont chacun perfectionné l'appareil policier du ministère de l'Intérieur. Il est frappant de comparer les interventions de ces ministres issus de gauche et de droite aux interventions des deux derniers ministres, Christophe Castaner et Gérald Darmanin. À titre d'exemple, en 1988, le ministre de l'Intérieur du gouvernement de Michel Rocard, Pierre Joxe, s'exprime à la fois sur un conflit social dans les prisons et sur une série d'assassinats d'enfants, sujets susceptibles, on le sait, d'entraîner mouvements d'opinion (notamment en faveur de la peine de mort), or Pierre Joxe domine aisément son sujet, répond précisément, calmement. Un autre monde.

Charles Pasqua, qui a déjà été ministre de l'Intérieur entre 1986 et 1988, confronté à une vague terroriste et au dramatique épisode de la mort de Malik Oussekine, revient aux affaires en 1993 au même poste. Détail qui n'en est pas un, devant les commissaires de police, il dit assez simplement: «Entre le laxisme et l'État policier, il y a l'État républicain.» Il fait porter à chaque policier le code de déontologie de Pierre Joxe.

Jean-Pierre Chevènement: «Que la police police, que les gendarmes gendarment et que la justice juge.» Il savait par ailleurs remettre de l'ordre dans les services de l'État lorsque tel ou tel fonctionnaire prenait un peu trop hâtivement la parole. En outre, le projet que Lionel Jospin et Jean-Pierre Chevènement ont porté –la police de proximité, plus tard abandonnée par Nicolas Sarkozy– avait sa logique politique et les moyens qui lui étaient nécessaires. Bref, la chose entrait autant dans les oreilles des citoyens que dans leur vécu quotidien.

Les mauvais choix politiques

La violence de notre société est un fait. On peut ergoter sur les chiffres, minimiser, exagérer, on peut reprendre les mots récents d'Alain Bauer, «il y a un climat d'insécurité», ou pas. Toujours est-il que la parole politique est devenue inaudible, voire incompréhensible. Aucun message clair ne filtre.

Alors que les policiers marqués par l'assassinat d'un des leurs par un dealer avignonnais manifestaient à proximité du Palais Bourbon, les riverains des jardins d'Éole dans le XIXe arrondissement manifestaient contre la présence d'un marché du crack à ciel ouvert. Dans maints domaines, si la violence monte, cela ne tient pas en la force du destin mais à de mauvais choix politiques, bien antérieurs d'ailleurs à l'actuel quinquennat. On ne sort pas d'une aporie en manifestant contre soi-même.

En matière de sécurité, la parole politique a été réduite au point zéro. En outre, en l'absence de vision et d'action politique, il est évident qu'en tous domaines, les actions revendicatives donnent le la du moment mais ne suscitent, à l'évidence, aucun arbitrage politique, tout juste un zapping. Il n'appartient à aucun responsable politique et encore moins aux ministres concernés de se faire tour à tour supporter ou censeur de tel ou tel groupe (fonctionnaires, riverains, usagers, etc.) mais de fixer les buts politiques et les moyens afférents afin que les enjeux actuels soient affrontés sur le terrain par les services de l'État avec le maximum d'efficacité.


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