Santé / Société

«Je n'avais jamais pensé faire médecine»: comment le Covid-19 a fait naître des vocations

Temps de lecture : 5 min

Face à la crise sanitaire, ils ont décidé de se lancer dans une carrière médicale, au point parfois de se reconvertir sur le tard.

Plusieurs personnes affirment vouloir «participer à l'effort de guerre», comme le décrit Sébastien, 27 ans. | mohamed_hassan via Pixabay
Plusieurs personnes affirment vouloir «participer à l'effort de guerre», comme le décrit Sébastien, 27 ans. | mohamed_hassan via Pixabay

«Lorsqu'en septembre dernier, la conseillère d'orientation de mon lycée m'a demandé quel métier je me voyais faire plus tard, j'ai répondu “médecin”. C'est sorti tout seul, j'en ai été la première surprise, confie Chloé, 17 ans. J'ai toujours voulu exercer un métier qui me permette d'aider les autres, mais jusqu'à présent, je m'imaginais plutôt assistante sociale. Je n'avais jamais pensé faire médecine.»

Face à la crise sanitaire, aux images incessantes de patients en détresse, et au nombre de morts, Chloé a le déclic: «Je me souviens très bien de ce que j'ai ressenti la première fois que j'ai vu un reportage sur les services de réanimation débordés au 20 heures. Je n'avais qu'une envie: traverser l'écran pour aider, même un tout petit peu. J'avais tellement envie de me rendre utile, de soulager ces gens qui souffraient. L'envie d'être médecin était en moi depuis longtemps je pense, mais je n'en avais pas forcément conscience jusqu'à la pandémie.»

Après son entretien d'orientation au lycée, Chloé se renseigne sur les différents cursus et les spécialités. Elle achète même des livres de médecine pour évaluer les difficultés et les connaissances attendues. Sans en dire un mot à son entourage. «J'avais un peu peur qu'on me demande d'où ça sortait, qu'on prenne ça pour un caprice ou qu'on me dissuade de tenter médecine. Jusqu'ici, j'avais toujours pensé qu'être médecin était une vocation, une envie que les gens ont dès leur plus jeune âge, pas une révélation qui leur tombe dessus six mois avant de faire leurs vœux d'admission sur Parcoursup.»

Elle n'est pas la seule à ressentir ce besoin d'exercer une profession médicale depuis le début de la pandémie. Plusieurs personnes affirment vouloir «participer à l'effort de guerre», comme le décrit Sébastien, 27 ans. Serveur dans un bar parisien depuis trois ans, le jeune homme s'est décidé depuis quelques mois à entamer une reconversion pour devenir ambulancier. «Après des mois au chômage partiel à paniquer devant la télé en voyant les chiffres s'emballer, j'ai eu besoin de faire quelque chose, d'aider, confie-t-il. Je n'en pouvais plus de rester les bras croisés. Je pense que m'engager dans le médical, c'est à la fois pour reprendre le contrôle face à cette crise, mais aussi pour redonner du sens à ma vie.»

Une quête de sens

Séverine Colinet, enseignante-chercheuse en sciences de l'éducation et spécialiste des questions relatives aux parcours de santé à l'université de Cergy-Pontoise, ne s'étonne pas de tels témoignages: «Quand une crise vient rappeler de façon plus aiguë que d'habitude la présence de la mort, elle interpelle aussi sur la vie et le sens que l'on y accorde.» À la suite des attentats de 2015 en France, on a observé des manifestations pour la contribution à l'intérêt général, au bien commun, qui se sont notamment traduites par une augmentation du nombre de demandes d'engagement dans les corps de l'armée ou encore par une amplification du bénévolat associatif, notamment chez les plus jeunes.

«Pour des personnes exerçant dans des secteurs où la pratique de la profession ne présente pas systématiquement d'effets visibles à court terme, s'ajoute à leur réflexion l'enjeu de l'immédiateté et de la visibilité des tâches accomplies: comment puis-je contribuer au bien commun et comment ma contribution peut-elle avoir des effets tangibles pour les personnes et pour moi-même?», poursuit Séverine Colinet. Une réflexion d'autant plus prégnante que depuis plus d'un an, nous assistons à une redéfinition des valeurs des professions qui s'est cristallisée autour de la notion des métiers essentiels.

«Je ne me lance pas simplement pour recevoir les compliments admiratifs de mes amis, je sens sincèrement que c'est ma place.»
Cécile, comptable en reconversion pour devenir infirmière

Sébastien explique avoir «adoré être serveur pendant quelques années». Mais à présent, «j'ai vraiment besoin d'exercer un métier auquel je crois, que je puisse sentir au quotidien que j'ai un rôle à jouer, sentir que je sers à la société», raconte-t-il. Si dans la plupart des esprits, les professions médicales sont nobles et valorisantes, dans les faits, entre les démissions de soignants exténués, les grèves et les coupes budgétaires à répétition, les difficultés du personnel médical s'étalent au grand jour.

Pas de quoi en dissuader certains, convaincus de leur choix, comme Cécile, 40 ans, comptable en reconversion pour devenir infirmière. «Je suis préparée, je sais que le métier sera dur, que les journées seront longues et ingrates, que je devrai travailler avec peu de moyens et des équipes surmenées, mais je suis prête. Je ne me lance pas simplement pour recevoir les compliments admiratifs de mes amis ou pour porter une blouse blanche, je sens sincèrement que c'est ma place.»

Mais si Cécile assure s'être renseignée sur les conditions de travail et la réalité du terrain, comment être certain que tous les postulants se rêvant médecin, infirmier, urgentiste ou chirurgien ne déchanteront pas?

Se frotter à la réalité

Pour Séverine Colinet, avant de se lancer, il est primordial de se questionner sur les contextes d'exercice et de mettre à jour ses représentations du métier: «Les stages, par exemple, amènent à confronter ses représentations à une certaine réalité à un moment donné, même si la place de stagiaire n'est pas celle d'un professionnel.»

Rencontrer, échanger avec des personnes de terrain occupant des fonctions différentes et qui en sont à des étapes distinctes d'un parcours de formation et professionnel peut également contribuer à préciser son projet. De plus, selon les publics accompagnés, les services, les établissements ou les zones géographiques, les réalités ne sont pas les mêmes.

«Outre la documentation accessible sur le secteur de la santé, ces temps d'échanges sont des occasions de sentir les tendances qui se profilent quant à l'évolution de la profession, des modalités du travail, des institutions et de leurs contextes, si l'on songe, par exemple, à ce que peut représenter les techniques de la robotisation», pointe Séverine Colinet, pour qui ce travail préliminaire de renseignement permet de s'assurer de l'alignement entre ses envies, ses projections, les difficultés, les limites et les enjeux de la profession. «S'entretenir également avec des personnes qui ont souhaité cesser leur activité contribue aussi à nuancer nos représentations et à compléter la connaissance de la profession au quotidien, par exemple en les interrogeant sur ce qui a fait sens et ce qui n'a plus fait sens par la suite, à quel moment et comment elles ont atteint leurs limites…»

Une démarche entreprise depuis quelques semaines par Juliette, 22 ans. La jeune femme hésite à abandonner ses études de biologie pour se tourner vers la fac de médecine: «J'ai moins peur de la charge d'apprentissage et de travail que des conditions d'exercice du métier. D'après mes recherches, je pense que le métier d'anesthésiste est le plus adapté pour moi, mais après avoir échangé avec quelques professionnels en poste, j'ai un peu peur de me lancer. L'un d'entre eux, une connaissance de mon oncle, m'a carrément dit “si tu t'embarques là-dedans, tu vas le regretter”. Ce n'est pas très encourageant, mais je vais quand même tenter le coup, car j'ai aussi eu plusieurs témoignages de personnes qui me parlaient de leur métier avec les yeux qui brillent. C'est ça le but ultime pour moi.»

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