Pour «10 balles», on n'a plus grand-chose. Tout juste une litre d'essence, pour une petite dizaine de kilomètres, à peine plus avec une voiture pas trop gourmande. Sur les autoroutes, le cap est franchi: entre 1,46 et 1,52 euro le litre de Super95, autour donc de 1,5 euro... ce qui fut 10 des francs d'antan.
Pour les automobilistes qui passent à la pompe, la facture est salée: 75 euros pour un plein de 50 litres de SP95. Pour ceux qui s'approvisionnent en gazole, la note est un peu moins lourde. Mais le prix du carburant diesel augmente également: il évolue entre 1,20 et 1,25 euro le litre, de sorte que pour un même plein de 50 litres, il faut compter aujourd'hui au moins 60 euros.
Plus lourd dans le budget des ménages
Pendant longtemps, on a pu considérer que, malgré les augmentations à la pompe, le prix des carburants ne pesait pas plus lourd dans le budget des ménages. Et rapporté par exemple au salaire minimum interprofessionnel de croissance (Smic), on ne constatait pas forcément une dégradation du ratio. Tout dépendait du prix du baril, qui a connu des fluctuations gigantesques au cours des trente dernières années.
Mais la période actuelle n'est pas favorable à l'automobiliste: le poste «carburant» dans le budget des ménages s'alourdit. Le phénomène n'est pas nouveau, et s'explique simplement: «Depuis 15 ans, le prix des carburants a progressé en moyenne beaucoup plus vite (+ 3,7 % par an) que l'inflation (+ 1,8 %)», note l'Insee. Cette tendance pourrait s'amplifier, sans que l'on doive s'en étonner. Tous les ingrédients sont rassemblés: le prix du pétrole est reparti à la hausse, l'Etat a énormément besoin d'argent et a plutôt tendance à durcir la fiscalité sur les carburants (notamment en réduisant le différentiel entre les taxes qui pèsent sur le gazole et sur l'essence), et les automobilistes doivent être incités à modifier leurs comportements pour consommer moins d'énergie afin de réduire les émissions de CO2.
Le prix du pétrole, plus «volatile» que jamais
Oublions le début des années 70, avant les premiers chocs pétroliers. C'était une autre époque, économiquement totalement irrationnelle, avec un prix du baril de... 1,8 dollar. Même en sextuplant ce prix pour tenir compte de l'inflation sur cette période, on ne dépasserait pas 11 dollars aujourd'hui... sept à huit fois moins que le niveau atteint. Mais le prix du pétrole évolue selon bien d'autres critères. En 1980, près les deux premiers chocs pétroliers, le baril était monté à 36 dollars, avant de redescendre à 23 dollars en 1990, et même 20 dollars en 2002. Ensuite, ce fut l'ascension, d'abord progressive puis plus brutale, pour atteindre 96 dollars le baril en 2008... et le pic de 144 dollars en juillet de la même année.
On sait que le prix du litre de carburant est particulièrement affecté par le montant des taxes. Par exemple fin 2007, elles représentaient 62% du prix du SP95 et 53% du gazole, indique l'Union française des industries du pétrole (UFIP). La taxe intérieures sur les produits pétroliers est fixe et évolue chaque année sans tenir compte du prix du pétrole, mais la TVA appliquée au litre de carburant dépend, elle, de l'évolution du prix de la matière première. Lorsque le prix du baril reflue comme fin 2008 après la crise, les taxes prennent plus de poids dans le prix final et le montant de la fiscalité. Lorsqu'il remonte comme aujourd'hui, (autour de 82 euros le baril), la part des taxes tend à diminuer.
Le prix à la pompe, juge arbitre
Quoi qu'il en soit, pour l'automobiliste, c'est le prix à la pompe qui compte. Rapportons le prix d'un plein de 50 litres au Smic, pour considérer l'évolution du prix de l'essence.
En 1990, avec un prix du SP95 0,80 centimes d'euros, ce plein d'essence revenait à 40 euros. Le Smic mensuel était à l'époque de 5519 francs - soit 841 euros -, il correspondant à 21 pleins. Pour un baril à 23 dollars.
En 2002, lorsque l'euro remplaça physiquement le franc, le litre de SP95 était passé à 0,95 centimes, et le Smic à 1 154 euros, soit 24 fois le montant d'un plein de 50 litres. Sur la période, l'automobiliste était plutôt gagnant. Pas étonnant: entre temps, le baril avait plutôt évolué à la baisse, à 20 dollars cette année-là.
Mais aujourd'hui, la tendance s'est inversée: avec un litre d'essence à 1,5 euro à la pompe, le Smic de 1 343 euros mensuels ne représente plus que 18 fois le montant de 50 litres de SP95. Pas de doute, dans le budget de l'automobiliste, le poids des carburants est de plus en plus important. Pas d'autre solution, pour ne pas dégrader le pouvoir d'achat, que de choisir des véhicules qui consomment moins... et de mieux contrôler les déplacements en voiture pour réduire le total des parcours.
Le gazole pas épargné
Pour les automobilistes qui se sont convertis au diesel, la progression des dépenses de carburant est bien identique même si, en valeur absolue à déplacements identiques, la facture est un peu moins lourde. La pénalisation est même un peu plus forte, compte tenu du rattrapage de la fiscalité appliquée au gazole: en quinze ans, «le prix du gazole, bien que toujours plus avantageux, a plus augmenté (de + 4,6 % par an en moyenne) que celui de l'essence et du super (+ 3,2 % par an)», précise l'Insee. Autrement dit, même si on consomme aujourd'hui en France 3,5 fois plus de gazole (32,8 millions de tonnes en 2009) que d'essence (8,8 millions de tonnes), l'avantage financier du diesel se réduit. Côté porte-monnaie, c'est la soupe à la grimace pour tout le monde.
Gilles Bridier
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Image de Une: Darren Staples / Reuters