Culture

Les films à voir au cinéma le 19 mai, et les semaines suivantes

Temps de lecture : 9 min

Pour se réjouir de la réouverture des salles, s'orienter dans la (relative) profusion de l'offre et comprendre ce qui va se jouer dans les prochains mois.

Certains craignent la ruée vers les salles obscures. | Krists Luhaers via Unsplash
 
Certains craignent la ruée vers les salles obscures. | Krists Luhaers via Unsplash  

Deux messages contradictoires accompagnent l'annonce de la réouverture des salles le 19 mai. L'un, optimiste, fait état du puissant désir de retrouver le grand écran chez un très grand nombre de futurs spectateurs –et bien sûr de la joie des professionnels de les accueillir. L'autre, beaucoup plus sombre, annonce des embouteillages meurtriers dus au trop-plein de films en attente, dénonce le manque de coordination des professionnels et d'efficacité des pouvoirs publics à assurer une réouverture en bon ordre. Il prévoit catastrophes et injustices pour les structures les plus fragiles, confusion et désorientation pour les spectateurs.

À ceux-ci, on se permettra de proposer ici, en toute subjectivité mais à l'écart des campagnes promotionnelles comme des réflexes conditionnés, une petite liste de priorités parmi les sorties annoncées d'ici fin juin.

Jusqu'à la fin juin, parce que début juillet commencera le Festival de Cannes et s'ouvrira une autre période, toute aussi inédite, avec la conjonction du plus grand festival du monde dans des conditions très particulières, des suites encore très présentes de la pandémie, de la longue fermeture d'octobre 2020 à mi-mai 2021, et d'une saison estivale qui obéit de toutes façons à d'autres règles que le reste de l'année.

Au bonheur des nouveautés

Le 19 mai, pas d'hésitation. Deux films se placent en tête de liste pour renouer avec le grand écran. D'abord le très réjouissant et complètement barré Mandibules de Quentin Dupieux, ensuite l'émouvant et délicat L'Étreinte de Ludovic Bergery avec Emmanuelle Béart. Ne pas oublier non plus Écoliers de Bruno Romy, dont on a dit ici tout le bien qu'il fallait en penser, à l'occasion de sa diffusion sur le site La 25e heure.

Le 26 mai, après des propositions toutes françaises la semaine précédente, on se tourne vers des offres venues des quatre coins du monde, avec en priorité Balloon du Tibétain Pema Tseden, L'Arbre du Portugais André Gil Mata, Si le vent tombe de l'Arménienne Nora Martirosyan, et aussi Vers la bataille, signé du Français Aurélien Vernhes-Lermusiaux mais entièrement situé dans la jungle mexicaine.

Le 2 juin, deux évidences. Petite Maman de Céline Sciamma déjà évoqué lors de sa présentation au Festival de Berlin, et la belle adaptation de Duras par Benoît Jacquot Suzanna Andler. Mais aussi deux fictions pour interroger l'histoire, histoire américaine avec Billie Holliday, une affaire d'État de Lee Daniels et histoire française avec Des Hommes de Lucas Belvaux, porté par Gérard Depardieu, Catherine Frot et Jean-Pierre Daroussin.

L'affiche de la rétrospective Kiarostami en salles à partir du 2 juin. | Carlotta

À quoi il convient d'ajouter le même jour le début de la plus grande rétrospective jamais consacrée en France à Abbas Kiarostami, avec des chefs-d'œuvre devenus des classiques (Où est la maison de mon ami?, Close-Up, Au travers des oliviers, Le Goût de la cerise, Le vent nous emportera) et de nombreux inédits, films des débuts avec des enfants, ou réflexion en profondeur sur la révolution (Cas n°1, cas n°2)[1].

Le 9 juin est largement dominé par l'arrivée de Nomadland de Chloé Zhao, couvert d'Oscars et autres statuettes dorées, film magnifique déjà évoqué lors de sa présentation à Venise où il avait obtenu le Lion, d'or lui aussi.

Mais il ne faudra pas oublier le très remarquable Le Père de Nafi du Sénégalais Mamadou Dia.

Abondance de biens le 16 juin, avec un autre long-métrage à juste titre remarqué aux Oscars, le premier film Sound of Metal de Darius Marder porté par Riz Ahmed. Merveille de justesse attentive, 143 rue du désert de l'Algérien Hassen Ferhani, découvert à Locarno en 2019, méritera lui aussi la plus grande attention, tout comme la remarquable réflexion sur les images Il n'y aura plus de nuit d'Eléonore Weber. À guetter enfin Médecin de nuit d'Elie Wajman avec un mémorable Vincent Macaigne.

Le 23, il importera de ne pas laisser passer Gagarine de Fanny Liatard et Jérémy Trouilh, non plus que le documentaire passionnant Les Indes galantes de Philippe Beziat sur la préparation du spectacle de baroque Krump désormais culte de l'Opéra de Paris. Ne pas oublier non plus, si possible, l'inattendu Tokyo Shaking d'Olivier Peyon.

Et le 30 juin, au moins deux films vraiment admirables même s'ils risquent de ne pas bénéficier de toute la visibilité qu'ils méritent, Février du Bulgare Kamen Kalev, et La Fièvre de la Brésilienne Maya Da-Rin. Sans oublier pas moins de sept films de Roberto Rossellini, aussi nécessaires en 2021 que le jour de leur sortie.

Annette de Leos Carax, qui sortira en salle le jour de sa présentation en ouverture du Festival de Cannes. | UGC Distribution

Et puis le 6 juillet arrivera Annette, le très attendu musical de Leos Carax avec Adam Driver et Marion Cotillard, dans les salles en même temps qu'en ouverture du Festival de Cannes.

Foire d'empoigne

La liste de recommandations qui précède est faite sur la base des informations disponibles quelques jours avant la réouverture, situation susceptible de changer encore. Des ajustements ne cessent de se faire dans la programmation. Des titres sont ajoutés, retirés, déplacés dans ce qu'il faut bien nommer une foire d'empoigne. Le CNC, soutenu par la médiatrice du cinéma, a bien tenté d'édicter des règles adaptées à ce moment singulier, afin de préserver la diversité de l'offre et un certain équilibre. Peine perdue, le syndicat qui fédère les plus gros distributeurs français et américains, la FNEF, ayant refusé de participer à la négociation. Les pouvoirs publics ont dû se contenter d'émettre une recommandation qui n'engage que ceux qui le veulent bien –c'est-à-dire justement pas ceux qui devaient être contraints de faire un peu de place aux autres.

On a beaucoup parlé des quelque 350 films, dont 150 français, qui auraient dû sortir durant la période de fermeture des cinémas, et qui piétineraient aux portes des salles. Le problème est réel, et il a contraint de nombreux titres à repousser leur arrivée sur grand écran, parfois jusqu'à début 2022. Mais contrairement à ce qui se dit beaucoup, il n'y a pas, dans l'immédiat, d'embouteillage particulier sur ces écrans.

Ce n'est qu'en fin d'année qu'il sera possible d'estimer les effets à long terme de la pandémie sur le goût du public pour le cinéma en salles.

Bien sûr, le 19 mai «sortiront» vingt-neuf films. Parmi eux, quatorze étaient en salles au moment de la fermeture le 30 octobre, mais n'ont pas connu une durée d'exploitation décente, ou ont depuis bénéficié d'une visibilité grâce notamment aux César qui leur permet d'espérer un complément de carrière significatif –c'est surtout vrai pour Adieu les cons et Drunk, et à moindre échelle Josep. Vingt-neuf sorties, cela semble beaucoup. En fait, c'est relativement peu. Il sortait habituellement une quinzaine de nouveautés chaque mercredi dans un parc de salles où des dizaines de films continuaient leur carrière.

Dans la situation habituelle, la quinzaine de nouveautés s'ajoutaient à tous les films déjà en exploitation. Cette fois, le 19 mai, il y en aura vingt-neuf en tout (plus une reprise, The Wicker Man, film d'horreur de 2007), quantité qui n'a donc rien d'extravagant, même si le problème déjà ancien de la saturation des écrans va se reproduire... un peu plus tard, mais surtout cet automne.

Si on doit s'attendre à une poussée de fièvre fin juin (vingt films le 16, dix-sept le 23, dix-neuf le 30), le problème immédiat concerne bien davantage la répartition dans le parc de salles des films que le nombre de titres –et la durée pendant laquelle les films resteront à l'affiche.

Combien d'écrans pour Demon Slayer, le train de l'infini promis à une belle carrière dans un environnement finalement peu concurrentiel le 19 mai? | Capture d'écran CGR Events via YouTube

Le risque est ainsi de voir le dessin animé fantastique Demon Slayer et le mélodrame Envole-moi promu de toutes ses forces par Pathé inonder les salles le 19, tout comme Sons of Philadelphia, Nobody ou Cruella les semaines suivantes. Encore les plus gros morceaux, d'abord le tonitruant Fast and Furious 9 puis les espions OSS 117 et James Bond, les remake de prestige Dune version Villeneuve et West Side Story version Spielberg, les super-héro(ïne)s de Black Widow et d'Eternals, attendent que les jauges pleines soient de nouveau acceptées, et le popcorn en vente libre.

Effets à moyen terme, ici et ailleurs

Ce n'est qu'à ce moment-là, en fin d'année donc, qu'il sera possible de commencer à estimer les effets à long terme de la pandémie sur le goût du public pour le cinéma en salles.

Les nombreux prophètes d'un effondrement définitif du grand écran au profit des plateformes à la suite du Covid se sont époumonés depuis un an. Ce sont les mêmes qui, avant la pandémie, prétendaient déjà que le grand écran était fichu, alors que la fréquentation en salle augmentait pratiquement partout dans le monde (sauf aux États-Unis), et notamment en Europe, comme en attestent de nombreuses études compilées par exemple sur le site UNIC dans son rapport annuel sur la fréquentation dans tout le continent.

La fréquentation des salles européennes durant les vingt ans ayant précédé la pandémie. | UNIC, European Audiovisual Observatory and Media Sales Data

La pandémie a affecté très inégalement les cinémas dans le reste du monde, et a d'ailleurs fait l'objet de mesures elles aussi très variées. Avec des effets également inégaux, comme le résume cette étude. Mais par exemple l'Italie, réputée devenue peu cinéphile, a vu une affluence inédite dans ses salles lors de leur réouverture fin avril.

La fréquentation à la réouverture en Italie comparée à celle de l'an dernier. | Europa Cinemas

À ce jour, et alors que les situations locales demeurent instables, la seule donnée claire montre que le pays qui était déjà parmi les plus dynamiques en matière de fréquentation avant le Covid, et dont les salles ont réouvert depuis plusieurs mois, la Chine, connaît une affluence record, bien partie pour dépasser non seulement le score de 2020, affecté par la pandémie, mais les sommets de 2019. Il reste que la fréquentation globale n'assure pas forcément, loin s'en faut, un paysage harmonieux et diversifié.

Troubles annonces

La ministre de la Culture, selon un procédé fort usité par ceux qui nous gouvernent, mêle donc une affirmation exacte et un diagnostic erroné lorsqu'elle parle d'un «problème de riches» lors d'une intervention remarquée sur France Inter le 12 mai.

Oui le cinéma dans son ensemble a été bien soutenu par les pouvoirs publics pendant la crise, mais non la France n'est pas le seul pays européen à avoir une industrie du cinéma.

Et non, il n'y a pas lieu de se réjouir que 150 films fassent le pied de grue à l'entrée des salles, cela signifie que les plus fragiles commercialement risquent de passer à la trappe, ou d'être distribués sans aucune chance d'émerger de la cohue et d'être éjectés aussi vite qu'ils seront arrivés. Quant à la remise en cause péremptoire de la chronologie des médias, pourtant en cours de négociations, elle ouvre elle aussi la porte à la destruction d'un écosystème dont la ministre a commencé par s'enorgueillir, et qui doit tout à une politique au long cours dont elle remet abruptement en question les principes.

L'intervention de madame Bachelot résonne alors comme annonciatrice d'une rhétorique qui, au nom d'un apparent keynésianisme de crise durant la pandémie, revendiquerait un apparent réajustement qui serait en fait une approche ultralibérale à moyen terme.

Comme les probables problèmes dans bien d'autres domaines, c'est cet automne que les difficultés principales risquent d'apparaître, des difficultés qui, contrairement à ce que pratiquent nos gouvernants depuis quinze ans au moins, ne peuvent se résoudre seulement avec des financements supplémentaires, mais par une politique au sens plein du terme. Faute de quoi, là comme ailleurs, la pandémie aura bien envenimé une crise déjà existante et éminemment dangereuse pour le cinéma.

1 — Dès le 19 mai s'ouvre au Centre Pompidou une exposition consacrée au grand cinéaste mais aussi poète et plasticien iranien, Où est l'ami Kiarostami?, en même temps qu'est projetée une intégrale de ses films. À cette occasion paraissent un ensemble de DVD chez Potemkine et le livre Abbas Kiarostami, l'œuvre ouverte (Gallimard) cosigné par Agnès Devictor et l'auteur de ces lignes. Le site Mubi présente quant à lui en VOD huit films de Kiarostami. Retourner à l'article

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