Santé / Sciences

Porter un masque à l'extérieur ne sert à rien

Temps de lecture : 4 min

Le chiffre de 10% de contaminations au Covid en plein air est largement exagéré, et les autorités de santé américaines le savent. Ce qui ne les empêche pas de le brandir pour défendre le port du masque en extérieur des personnes non vaccinées.

Une femme sur une plage d'Espagne, le 31 mars 2021. | Josep Lago / AFP 
Une femme sur une plage d'Espagne, le 31 mars 2021. | Josep Lago / AFP 

En France, le port du masque en extérieur est obligatoire quasiment partout. Tout contrevenant s'expose à 135 euros d'amende (sauf s'il fait du vélo ou court; et s'il fume ou mange, c'est au bon vouloir de l'agent verbalisateur censé faire preuve de «discernement».)

Aux États-Unis, le président Biden a annoncé que les personnes ayant reçu leurs deux doses de vaccin pouvaient désormais tomber le masque dehors, suivant ainsi les recommandations du CDC, le Centre pour le contrôle et la prévention des maladies, soit la plus haute autorité de santé américaine.

Sur quelles bases le CDC se fondait-il pour estimer le niveau de dangerosité du non-port du masque en extérieur?

Selon un article du New York Times publié le 11 mai, le CDC a déclaré que «moins de 10%» des contaminations au Covid advenaient en extérieur. C'est le chiffre le plus couramment repris (dans certains médias français, le «moins de 10%» devient «10% des contaminations y ont lieu», ce qui est loin d'être la même chose).

Or ce chiffre est faux, et le CDC le sait.

Il se base en partie sur une mauvaise classification de certaines contaminations qui ont en réalité eu lieu dans des lieux clos. Ce seuil de 10% «semble très exagéré», explique la Dre Muge Cevik, virologue à l'Université de St Andrews. En réalité, la part des contaminations qui ont eu lieu en extérieur se situe sous la barre de 1%, et pourrait même être inférieure à 0,1% selon plusieurs épidémiologistes consultés par David Leonhardt, le journaliste du New York Times. Les rares contaminations qui ont en effet eu lieu en extérieur semblent toutes impliquer des foules compactes ou des conversations très rapprochées.

Un chiffre venu des chantiers singapouriens

«Affirmer que moins de 10% des contaminations au Covid se produisent à l'extérieur est comparable à affirmer que les requins attaquent moins de 20.000 baigneurs par an. (Le chiffre, au niveau mondial, tourne autour de 150). C'est à la fois vrai et délibérément trompeur», s'agace le journaliste.

Le problème n'est pas seulement mathématique, poursuit-il. C'est une illustration du manque d'efficacité de la communication du CDC, dont la conséquence est qu'un grand nombre de gens ne comprennent pas vraiment quelles sont les situations réellement à risque. Or il n'existe pas un seul exemple dans le monde de preuve de contamination à la suite d'une interaction classique en plein air, comme croiser quelqu'un dans la rue ou se restaurer à une table voisine.

Alors d'où vient ce chiffre de 10% de contaminations brandi par le CDC, qui débouche sur tant d'obligations ineptes (et de verbalisations exaspérantes)? Selon David Leonhardt, il faut chercher la réponse du côté de... Singapour.

Dans le vaste corpus de recherches citées par le CDC pour défendre ce seuil de 10%, une grande partie des contaminations supposément advenues en extérieur se sont produites dans un seul type de lieu: des chantiers de construction à Singapour.

Dans une étude tout particulièrement, 95 des 10.926 cas de transmissions sont considérés comme étant advenus en extérieur, et la totalité de ces 95 cas proviennent de chantiers singapouriens. Dans une autre étude, sur 103 cas, 4 sont considérés comme des contaminations en extérieur, là encore, les 4 se sont produits dans des chantiers à Singapour.

Or, ces chiffres sont extraits d'une base de données du gouvernement de Singapour qui ne catégorise pas les cas advenus dans des chantiers comme des contaminations en extérieur. «Il peut s'agir de contaminations au travail qui ont pu se produire dehors, sur le site du chantier, mais aussi possiblement dans un lieu clos du chantier», indique Yap Wei Qiang, porte-parole du ministère de la Santé singapourien.

Selon une enquête menée par le journaliste du New York Times Shashank Bengali, la plupart de ces cas de contaminations se sont produits à la fin des chantiers, lorsque les ouvriers étaient dans des lieux clos.

Comment expliquer cette confusion?

Trop trop trop prudent

Lorsque les universitaires ont commencé à collecter des données sur le Covid dans le monde entier, beaucoup ont choisi de donner une définition très large du concept de contamination extérieure. Pour eux, chaque lieu comprenant un espace clos et un espace extérieur était considéré comme «extérieur». «Il a fallu qu'on choisisse une classification pour les chantiers, a expliqué au NYT Quentin Leclerc, chercheur français et coauteur de l'un des articles analysant les données de Singapour. On a fini par s'accorder sur une définition prudente de l'extérieur.» Un autre article, publié dans le Journal of Infection and Public Health, définit «les lieux de travail, de santé, d'éducation, d'événements sociaux, de voyage, de restauration, de loisirs et de commerce» comme des espaces extérieurs.

Et pourtant, même avec cette approche, affirme David Leonhardt, le chiffre de ces contaminations reste extrêmement bas. Dans l'article comptant soi-disant 95 cas de contaminations en extérieur à Singapour, ces occurrences ne comptent que pour 1% du total. Une étude irlandaise, plus rigoureuse dans sa définition des espaces extérieurs, place ce chiffre à 0,1%. Une étude chinoise portant sur 7.324 contaminations a trouvé qu'une seule d'entre elles était arrivée en plein air, dans le cadre d'une conversation entre deux personnes.

Le CDC, interrogé par le New York Times sur le chiffre de 10%, se justifie ainsi: «Les données dont nous disposons étayent l'hypothèse selon laquelle le risque de transmission à l'extérieur est faible. Dix pour cent est une estimation prudente déduite d'une étude systématique récente d'articles évalués par des pairs.»

En gros, on n'est jamais trop prudent. Sauf qu'envoyer ce genre de message et faire croire qu'il y a réellement un danger à ne pas se masquer à l'extérieur (en France, le masque est obligatoire sur un grand nombre de plages...), c'est prendre le risque de semer le trouble dans l'esprit du public quant au mécanisme réel de contamination. Et c'est sans compter, dans un contexte déjà tendu, l'apparition des redresseurs de tort sincèrement paniqués par un risque imaginaire qui font des réflexions assassines aux personnes non masquées dans la rue, l'idée saugrenue que si on court, fait du vélo, mange ou fume le risque disparaît comme par magie, et enfin la conclusion la plus naturelle de ces mesures, compte tenu du niveau de connaissances sur les mécanismes de contamination dont nous disposons: si on veut trouver le moyen d'échapper au Covid dehors, il va falloir trouver le moyen d'aérer la rue.

Newsletters

Les maladies mentales font grimper en flèche l'âge biologique

Les maladies mentales font grimper en flèche l'âge biologique

Les troubles psychiques perturbent les marqueurs sanguins d'un individu.

Porter des baskets au quotidien, est-ce mauvais pour la santé?

Porter des baskets au quotidien, est-ce mauvais pour la santé?

Mauvaise posture, entorses, tendinites... De plus en plus portées, les sneakers ont la réputation de nuire à nos pieds –et pas que.

Faire un grand ménage de printemps n'est pas forcément une bonne idée

Faire un grand ménage de printemps n'est pas forcément une bonne idée

Il ne faut pas confondre propreté et bonne hygiène.

Podcasts Grands Formats Séries
Slate Studio