Politique

Quand la France de droite paniquait après l'élection de Mitterrand

Temps de lecture : 3 min

Dans «Les pieds sur terre», l'émission quotidienne de France Culture, trois hommes se souviennent de l'inquiétude qui s'est emparée d'une bonne partie de l'électorat français après le 10 mai 1981.

Le visage de François Mitterrand apparaît à l'écran le soir du second tour de l'élection présidentielle, le 10 mai 1981. | Capture d'écran Frédéric BISSON via YouTube
Le visage de François Mitterrand apparaît à l'écran le soir du second tour de l'élection présidentielle, le 10 mai 1981. | Capture d'écran Frédéric BISSON via YouTube

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Son visage pixélisé est apparu, balayé ligne par ligne sur les écrans cathodiques sur fond de drapeau tricolore, un soir de mai 1981. François Mitterrand, élu avec 51,7% des voix, amène la gauche au pouvoir pour la première fois depuis le début de la Ve République. Dans les rues, les scènes de liesse se multiplient.

Mais dans l'intimité des foyers, un tout autre récit s'écrit, plus discret et moins documenté: celui des électeurs de droite terrifiés par ce nouveau président socialiste. C'est leur histoire que racontent les personnes interrogées par Stéphanie Thomas et Alain Lewkowicz dans un épisode des Pieds sur terre de France Culture diffusé à l'occasion du quarantième anniversaire de l'élection de Mitterrand, et sobrement intitulé «Panique à droite».

Stupeur et tremblements

«Je me souviens parfaitement quand le visage de François Mitterrand est apparu: c'était un crâne chauve. Moi et ma famille, on croyait tous que c'était Giscard d'Estaing, mais ça a été Mitterrand», se remémore Philippe, 16 ans à peine à l'époque. «Ma mère s'est mise à pleurer. J'étais très étonné de sa réaction (je savais qu'ils n'étaient pas socialistes, et moi je ne l'étais pas non plus d'ailleurs). J'étais déçu mais que ma mère pleure, j'ai trouvé ça énorme. Je lui ai demandé pourquoi, et elle m'a engueulé. Elle m'a dit: “Mais tu ne comprends rien, ton père va perdre son travail. Les communistes vont envahir la France!”»

Pour le père de Philippe, employé au Commissariat à l'énergie atomique qui travaillait sur les essais nucléaires que Mitterrand disait vouloir arrêter, cette élection chamboule tout. Philippe se souvient d'une soirée morose, télévision éteinte après l'annonce des résultats, et d'une «inquiétude un peu sourde» qui prend au fil des jours de plus en plus de place au sein de sa famille, tandis qu'au lycée, certains professeurs exultent.

À la rentrée suivante, l'adolescent choisit de se spécialiser en économie. Il découvre alors l'«absurdité» des peurs de ses parents et se politise à gauche. Au micro des deux journalistes de France Culture, il relate le long glissement vers la gauche qui a débuté pour lui le 10 mai 1981 dans un témoignage passionnant.

L'exil (fiscal)

Étonnamment, les deux témoignages suivants ne viennent pas de France. Depuis la Suisse, visiblement devenue le havre de paix des Français terrifiés, un avocat et un ancien banquier relatent tour à tour l'exil (réel ou fiscal) choisi par bon nombre d'électeurs déçus.

Tout juste assermenté en 1981, l'avocat genevois spécialiste du droit international privé Douglas Hornung explique les raisons de cette panique du côté français de la frontière: «Je vous rappelle que c'était un programme commun avec des communistes, les gens pensaient qu'on allait tout nationaliser, qu'on allait prendre leur petite épargne. C'était une panique: “Ça y est, c'est foutu, on va être chinois.” Et donc il y a eu une masse d'argent qui venait de France à cause de l'élection de Mitterrand.»

Des millions de francs, à en croire l'avocat et l'ancien banquier, qui se souviennent amusés d'avoir reçu des meules de fromage évidées et remplies de billets, ou des petites gens de la classe moyenne venues en Suisse, leur bas de laine littéralement chevillé au corps. Mais c'est surtout le souvenir d'énormes sommes planquées du côté helvète par des puissants qui a marqué les deux hommes, l'ancien banquier en particulier.

«Fin 1981, ça représentait quand même quelques milliards de francs, raconte Jean. Nous avions la conviction que nous rendions un service aux Français face à un délire des socialistes de l'époque de faire rendre gorge aux patrons de tout ce qu'ils avaient fait de mal au peuple français. Nous avons eu des désillusions à propos du message socialiste en voyant un peu ce qui avait été fait: les mouvements de fonds qu'on nous a demandé de faire pour les socialistes dans des affaires financières. On parle de plusieurs millions.»

À la fois amusante et troublante, cette succession de témoignages invite l'auditeur à se plonger dans ses souvenirs de 1981, certes, mais pour qui n'a pas connu cette période, «Panique à droite» fait planer le spectre d'une autre arrivée au pouvoir qui pourrait avoir lieu en 2022: celle de Marine Le Pen. Quel serait alors notre havre de paix?

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