Société

Paris a toujours été sale

Temps de lecture : 3 min

[BLOG You Will Never Hate Alone] N'en déplaise aux activistes de #saccageparis, Paris ne serait pas Paris sans son bruit, sa pollution et sa légendaire et immuable saleté.

Paris s'épanouit dans le désordre et le bruit. | Jeanne Menjoulet via Flickr
Paris s'épanouit dans le désordre et le bruit. | Jeanne Menjoulet via Flickr

Depuis quelques semaines, à grands coups de #saccageparis, des Parisiens excédés dénoncent la saleté dont serait victime leur ville. Pêle-mêle, on y exhibe des photos de trottoirs défoncés, d'arbres arrachés, de murs dégradés, de bancs rapiécés, de marques innombrables incivilités qui laisseraient à penser que Paris est devenu depuis l'arrivée d'Anne Hidalgo à la mairie, un dépotoir à ciel ouvert.

On pointe son laisser-aller en matière de propreté, on vitupère ses audaces architecturales, on se gausse de ses efforts entrepris pour donner à Paris une coloration écologique et on se désole de voir la tournure prise par la capitale de la France. Ici, tout est moche, sale, laid s'émeuvent-ils en chœur. Ah! nous disent ces internautes plus ou moins de bonne foi, qu'est donc Paris devenu? Quand retrouverons-nous son lustre d'antan lorsque rues et avenues brillaient de l'éclat d'un sou neuf? Quand des deux rives de la Seine, on s'étourdissait de vivre dans une cité si propre que le monde entier venait s'y mirer?

Pour y avoir vécu quelques décennies, je suis au regret d'affirmer que Paris n'a jamais été, ni de près ni de loin, une ville qu'on pourrait définir comme propre. C'est même tout le contraire: Paris a toujours été d'une saleté repoussante. De tout temps, les trottoirs ont plus ressemblé à une mosaïque de chiures de pigeons égayée de quelques crottes de chiens qu'ils n'ont exhalé le charme soyeux des palais d'Orient. Toujours, la ville s'est apparentée à une espèce d'épouvantail auquel on aurait donné l'autorisation de se comporter comme bon lui semble et qui se serait conduit comme tel, dans une joyeuse anarchie et une totale désinvolture, une sorte d'insouciance adolescente, propice à toutes sortes de dérives.

Paris n'a jamais été propre. Ni hier, ni avant-hier, ni jamais. J'ai toujours vu les trottoirs servir de reposoir à des monceaux de papiers, de prospectus, de toutes sortes de détritus dont on finit par ne plus connaître l'origine, spectacle baroque qui n'a jamais vraiment choqué personne. Les arbres parisiens ont toujours eu cette allure désolée et un brin pataude des personnes déplacées qui maudissent le lieu où elles ont échoué. De grands géants à l'agonie qui jettent vers le ciel des regards éplorés tandis que sur le bitume des poubelles remplies à ras bord dégueulent de partout leur surplus de la veille au milieu d'un enchevêtrement de travaux en tout genre.

Paris est une ville bohème, une ville musée, une ville infernale qui s'est toujours épanouie dans la saleté, le bruit et la promiscuité. Comment pourrait-il en être autrement? Avec plus de deux millions d'habitants, Paris est l'une des villes les plus denses au monde. Paris suffoque sous le poids d'une population bien trop nombreuse pour se prétendre propre, auquel il faut lui ajouter un flux continu de touristes lesquels se comptent en dizaines de millions par année.

Si seulement le peuple de Paris avait quelques égards pour sa ville mais non, tout au contraire, c'est à qui mieux agira selon son humeur, son énervement, son envie de tout détruire. Le Parisien n'étant pas à la fête, il n'en fait qu'à sa tête, laquelle lui commande de se comporter comme si le bien public était une idée toute subjective. Demander à un Parisien de prendre soin de sa ville, c'est comme exiger d'un chat qu'il cesse de courir après les oiseaux: une impossibilité métaphysique.

Si bien que Paris ne sera jamais propre. Mais est-ce bien grave? Le charme de Paris ne réside-t-il pas dans ce bouillonnement perpétuel qui abhorre le calme et trouve dans le bruit et la pollution une manière unique de clamer sa singularité à la face du monde? Paris serait-elle vraiment Paris sans ces embouteillages, ces hurlements de klaxons, ces métros bondés, ces graffitis, le quotidien d'une ville qui a l'obsession de dévorer la vie sans se soucier de son apparence ou de sa brutalité? Que diable, Paris n'a pas vocation à ressembler à une cité helvétique où tout est carré, propre, impeccable comme un rêve de pureté!

Ceux qui dénoncent le saccage de Paris n'ont rien compris à leur ville. Ils la voudraient sage et tranquille comme une biche empaillée là où elle rugit comme un ours mal léché. On aura beau colmater ici un trottoir fatigué de vivre, à l'autre bout de la ville, au même instant, s'affaissera un banc vaincu par le poids des années. Un arbre sera remis d'équerre quand un autre rendra son dernier soupir. Un mur retrouvera sa pureté de jouvenceau à l'heure où un autre servira de défouloir à un poète désenchanté.

Ainsi va Paris.

Dans la grandeur et la beauté de sa crasse infinie.

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