Début mai, des images d'une nouvelle Billie Eilish sont apparues et une polémique a éclaté. Le New York Times, notamment, a été mis sur la sellette pour son article «Fin comme du papier à cigarettes» sur la supposée vague d'indignation suscitée par la couverture du numéro de juin 2021 du Vogue britannique.
On y voit la chanteuse de 19 ans en latex, lingerie et corset, bien loin de ses tenues androgynes habituelles. «Le New York Times nous a gratifié d'un article sur le mouvement d'humeur qu'aurait provoqué la couverture de Billie Eilish dans Vogue. Et toute cette histoire part d'une personne (un bot?) qui ne l'a pas appréciée», constate Roberto Aram Ferdman, correspondant de Vice News, «un utilisateur de Twitter avec trois followers qui a rejoint la plateforme en décembre et n'a tweeté en anglais qu'une seule fois».
En recherchant le nom de la star sur les réseaux sociaux, on tombe en réalité sur un mouvement de soutien phénoménal consécutif à la publication du Vogue UK, qu'on passe par le magazine ou par Eilish. Ces photos lui ont effectivement permis de franchir deux nouvelles étapes sur Instagram: son post de la couverture est devenu le plus rapide à atteindre le million de likes (en à peine cinq minutes) et il a fait d'elle la première utilisatrice d'Instagram à compter six publications dans le top 20 des plus appréciées de la plateforme. La couverture et l'article qui l'accompagne ont été conçus pour faire le buzz, mais, dans leur grande majorité, les fans semblent enthousiasmés par la nouvelle métamorphose de Billie.
La chanteuse a passé toute son adolescence sous l'œil du public, depuis la sortie de son premier single viral «Ocean Eyes» en 2016, alors qu'elle n'avait que 13 ans. Exception faite de ses cheveux, passés du blond au bleu canard puis au noir avec des racines vert baveux, son look est resté relativement statique: oversize, décontracté, influencé par le streetwear et sans genre. À 19 ans, après une demi-décennie de vie publique et un nouvel album à promouvoir, il est logique qu'Eilish ait envie de jouer avec son style, et que les fans qui ont grandi avec elle soient animés par tout autre chose que les envies esthétiques de la star.
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Elle a pris les choses en main
Les photos montrent l'artiste auréolée de boucles blondes, dans des tons rose et champagne. Sa silhouette est mise en valeur, sa peau nue est exposée, le glamour est assumé. Dans le portrait publié par Vogue, on apprend que l'idée de la séance photo est d'elle et qu'elle s'est inspirée de la pin-up Betty Brosmer et du photographe fétichiste Elmer Batters. «Dans ce domaine, je n'ai littéralement jamais rien fait», confie Eilish dans le papier «à part toute seule dans mon coin».
Pour l'adolescente, les vêtements trop grands qui ont fait sa marque de fabrique ont été, en partie, un mécanisme de défense. Ce qu'elle assume parfaitement. «Je porte des vêtements amples [pour] que personne ne puisse penser quoi que ce soit de ce qu'il n'a jamais vu en dessous», disait-elle dans une publicité pour Calvin Klein en 2019.
Dans un interlude vidéo diffusé lors du coup d'envoi de sa tournée mondiale 2020 (écourtée par le Covid-19), elle dézippe lentement un sweat à capuche et retire son débardeur tandis que la voix off interpelle le spectateur: «Si ce que je porte est confortable, je ne suis pas une femme. Si je m'effeuille, je suis une salope. Vous n'avez jamais vu mon corps, mais vous le jugez quand même et vous me jugez à travers lui. Pourquoi?»
Sans forcément le vouloir, les médias ont fait d'Eilish un «bon rôle modèle» pour ne pas avoir joué sur sa nudité. Il leur est même arrivé de la présenter comme un symbole du mouvement «body positive» les rares fois où on l'a vue, sur les réseaux sociaux ou dans des photos volées, portant un truc aussi anodin qu'un débardeur. Ce qui frustre Eilish, qui déclare dans l'article de Vogue: «Je me suis sentie vraiment insultée d'entendre dire “Super pour elle si elle se sent bien dans sa peau en étant corpulente”.»
En réalité, Eilish considère son corps comme son «plus gros complexe» et «la raison initiale de [sa] dépression». Sans détour, elle avoue que son intérêt pour les corsets du shooting lui vient en partie de son image corporelle: «Pour tout vous dire, je déteste mon ventre, voilà.» À une époque où l'acceptation du corps est de plus en plus répandue, ce genre de commentaires aurait de quoi susciter l'indignation, mais ils apportent au contraire de la nuance à la conversation. Billie Eilish n'aime pas son corps, pas encore, mais cela ne l'empêche pas pour autant de jouer avec l'expression de son identité, du moins pas comme elle le faisait auparavant.
Cela va sans dire, mais il est regrettable qu'une talentueuse adolescente ne puisse pas exprimer son art sans en passer par une analyse de son apparence physique. Consciente que la bataille est perdue d'avance, Billie Eilish a pris les choses en main.
Les magazines de mode sont des lieux hospitaliers pour les célébrités. Les portraits y sont flatteurs et tirent sur toutes les bonnes ficelles pour faire parler les précieuses stars en couverture. Le style, l'apprêt et les poses sont de bon goût, malgré l'imagerie a priori choquante d'une Eilish en sous-vêtements moulants. Ses jambes ne sont pas huilées, elle n'est pas penchée de manière suggestive. Son corps est en fait plus dissimulé que ce que pourrait révéler un maillot de bain contemporain.
Ce sont les photos d'un passage à l'âge adulte, mais qui ne vous feraient pas mourir de honte si jamais votre père tombait dessus. Les photos du Vogue UK seront des images iconiques pour la chanteuse. Elles marqueront sa carrière, lui permettront de préserver son apparence à travers le temps et rappeleront que c'est bien sa volonté qui s'est exprimée dans ces choix esthétiques.