À Béjaia (Algérie)
À quelques semaines des élections législatives en Algérie, les premières depuis l'avènement d'Abdelmadjid Tebboune à la tête du pays en décembre 2019, la situation politique demeure des plus tendues.
Élections législatives 2021 en Algérie: La date fixéehttps://t.co/vtz19b19hz#Algerie #Tebboune #Elections
— Observ'Algérie (@ObservAlgerie) March 11, 2021
Et notamment en Kabylie, où les autorités redoutent une énième désaffection citoyenne qui risque, cette fois-ci, de déteindre dangereusement sur la stabilité institutionnelle. Car avec une Assemblée populaire nationale (APN) tronquée de toute une région, le pouvoir ne saurait se targuer d'une représentation nationale digne de ses projections pour une «Algérie nouvelle». D'aucuns mettent en garde contre de nouvelles fractures aux conséquences incalculables pour la cohésion nationale.
À LIRE AUSSI Le Hirak est aussi une révolution des Algériennes
Appel au boycott
Anticipant une telle situation, le gouvernement tente de placer des garde-fous et rappelle, par la voix du ministre de la Justice, Belkacem Zeghmati, lors d'une réunion le 5 mai 2021, les sanctions pénales prévues en la matière selon les articles 294 à 313 de la loi organique portant sur le régime électoral. Ces articles prévoient des peines d'emprisonnement allant jusqu'à vingt ans, notamment pour «les actes de destruction ou d'enlèvement d'urnes, d'atteinte au déroulement du scrutin et troubles aux opérations de vote».
Facile à décoder, le message s'adresse essentiellement à ceux qui seraient tentés, dans les deux principales «wilayas» (départements) de Kabylie, Tizi Ouzou et Béjaïa, de commettre des actions visant à empêcher le déroulement du scrutin. Des appels relayés à travers les réseaux sociaux depuis quelques semaines visant à empêcher carrément la sortie des urnes, laissent présager un climat de tension, avec son lot de violences et d'affrontements avec les forces de l'ordre. Il faut dire, aussi, que la persistance des manifestations hebdomadaires massives dans cette région augure d'un rejet tout aussi important, conforté par les appels au boycott lancés par les deux formations politiques les mieux implantées localement, à savoir le Front des forces socialistes (FFS) et le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD).
Live:
— Said Touati (@epsilonov71) April 3, 2021
03 Avril:
Alger:
Des militants du parti Front des forces socialistes ont organisés un sit-in devant le siège du parti, pour exiger le boycott des élections législatives.
العاصمة:
وقفة مناضلي حزب جبهة القوى الاشتراكية أمام مقر الحزب للمطالبة بمقاطعة انتخابات العصابات. pic.twitter.com/nuINByqTu3
Il faut rappeler que déjà lors l'élection présidentielle de décembre 2019, les taux de participation dans les deux «wilayas» étaient quasi-nuls, avec 0,004% pour Tizi Ouzou et 0,18% à Béjaïa. À l'occasion du référendum populaire sur la révision constitutionnelle du 1er novembre 2020, les chiffres n'étaient guère plus reluisants. Lors de ces deux rendez-vous, l'appel à des grèves générales, suivi de manifestations populaires le jour du vote, compliquaient sérieusement la tâche aux organisateurs, y compris dans les bureaux de vote dédiés aux corps de sécurité. Le même scénario risque donc d'être réédité le 12 juin prochain, sans qu'aucune garantie ne soit fournie aux différents candidats qui sont appelés, dès le 17 mai, à mener une campagne électorale dans des conditions que d'aucuns jugent intenables.
Le chercheur et universitaire Mohamed Arezki Ferrad estime que «c'est la violence du pouvoir qui engendre la contre-violence». «Depuis plus de vingt ans, explique-t-il, le pouvoir privilégie la solution sécuritaire, au détriment de la solution politique.» Pour lui, «c'est aussi l'obstination du pouvoir qui alimente le radicalisme et a favorisé l'émergence d'un courant séparatiste en Kabylie». Minimisant les risques de dérapage à l'occasion du scrutin du 12 juin, Mohamed Arezki Ferrad se dit persuadé que la Kabylie «demeurera un bastion de la lutte pacifique», malgré les frictions épisodiques engendrées par ce genre d'événements.
Ce climat préélectoral délétère qui règne dans cette région réputée frondeuse n'a pas dissuadé quelques partis et candidats indépendants de se lancer dans l'aventure en présentant des listes. Mais à Béjaïa par exemple, nombre de formations ont été contraintes de retirer leurs candidatures sous la pression populaire: seules huit partis et quatre candidats libres seront en course. Massinissa Ouari, ex-candidat du FLN aux sénatoriales de 2018, aujourd'hui à la tête d'une liste d'indépendants, n'hésite pas à dénoncer les pressions exercées sur les candidats dans sa région, qu'il qualifie de «forme de dictature» qui voudrait se substituer à celle du pouvoir.
Comment appréhende-t-il le scrutin du 12 juin en tant que candidat? «Je pense avoir accompli mon devoir, répond-il. C'est aux pouvoirs publics d'assumer leurs responsabilités» pour assurer notamment la sécurité et le bon déroulement de la consultation.
Sous le sceau de la guerre contre le MAK
Il faut rappeler qu'une situation similaire avait été vécue en 2002, en plein «printemps noir», où des députés avaient été élus et leurs élections validées à moins de quarante voix.
Cette défiance citoyenne désormais atavique en Kabylie sera renforcée cette année par la guerre déclarée par les autorités au Mouvement pour l'autonomie de la Kabylie (MAK), accusé officiellement de menées subversives et de dérive terroriste. L'annonce a été faite par le très sérieux ministère de la Défense nationale qui, dans un communiqué rendu public le 25 avril dernier, avait nommément accusé des éléments affiliés à ce mouvement de préparer des attentats terroristes en Algérie. Minoritaire, même en Kabylie, le MAK en a d'ailleurs profité pour tenter de gagner la sympathie des populations locales qui nourrissent une animosité grandissante envers le pouvoir.
Les récentes accusations du pouvoir contre l'organisation kabyle ne sont pas pour déplaire aux islamistes.
En 2006, ce mouvement dirigé par Ferhat Mehenni depuis son exil parisien avait franchi un pas en appelant à la création d'une «autorité» en Kabylie pour se substituer «petit à petit» à l'autorité de l'État algérien. Il estimait qu'il appartenait aux militants du MAK d'«imposer leur loi» dans la région, seul moyen pour lui de mettre fin aux arrestations qui visaient de plus en plus de militants.
Les récentes accusations du pouvoir contre l'organisation kabyle ne sont pas pour déplaire aux islamistes, les premiers à avoir appelé à classer le MAK comme organisation terroriste. Une accointance qui laisse croire que le gouvernement a bien choisi le moment pour tenter de capter l'électorat islamiste supposé majoritaire dans la société algérienne.
Les islamo-conservateurs en force
Dans le reste du pays, la situation semble globalement moins tendue, mais reste marquée par des mouvements sociaux endémiques, avec des grèves dans plusieurs secteurs d'activité. Si le gouvernement tente de parer au plus pressé en multipliant les promesses, elle sont souvent difficiles à tenir compte tenu de la conjoncture économique lourdement aggravée par la crise sanitaire et le souci de reconstruire un nouveau Parlement.
Tous les indices plaident pour une assemblée hétéroclite, avec la disparition de l'ancienne alliance présidentielle drivée par un FLN, dont l'audience s'est effilochée, au profit d'une nouvelle configuration qui sera vraisemblablement portée par le parti islamo-conservateur El-Binaa, du bouillonnant Abdelkader Bengrina, et de partis émergents comme le Front El-Moustakbal de l'ex-candidat à la présidentielle Belaid Abdelaziz, ou encore Jil Jadid de Soufiane Djilali, dont c'est la première participation à des joutes électorales depuis sa création en 2011.
Pour le reste, ces élections seront aussi un test pour la nuée de formations politiques nouvellement agréées, qui cherchent à avoir de l'ancrage et, pour certaines, un pied dans les rouages de l'administration.
Avec un taux avoisinant 40%, les législatives de mai 2017 ont réussi à endiguer le forcing islamiste.
Or, les observateurs relèvent unanimement un niveau plutôt médiocre des candidatures présentées pour cette échéance, déjà entachée par la présence de proches parents des cadres de différents partis, même si la commission de surveillance d'élection tente de montrer plus de rigueur dans le traitement des candidatures, en rejetant par exemple celle, très symbolique, du secrétaire général de l'ex-parti unique, le FLN, pour irrégularités.
Au-delà des luttes partisanes et des résultats qui détermineront l'issue de ce scrutin, l'enjeu principal reste évidemment, comme pour toute échéance électorale en Algérie, le taux de participation. C'est la hantise de la plupart des états-majors des partis politiques, mais aussi du gouvernement, qui redoute, comme la dernière fois, une forte abstention. La désaffection des citoyens étant une chose acquise, il faut penser à des solutions magiques pour ramener la population à s'intéresser à la chose politique. D'aucuns prédisent un taux encore plus faible que celui enregistré aux dernières législatives, lesquelles, on s'en souvient, ont été sauvées par l'appel pressant de l'ex-président de la République, Abdelaziz Bouteflika, qui avait assimilé ces élections au 1ernovembre 1954, date du déclenchement de l'insurrection armée contre l'Occupation. La référence était claire: il s'agissait de défendre la souveraineté du pays face aux «visées néo-colonialistes» qui guettaient la région, à travers la vague de troubles qui avait secoué nombre de pays maghrébins et arabes et avait abouti au renversement de tant de régimes.
Avec un taux de participation avoisinant 40%, les législatives de mai 2017 ont réussi à endiguer le forcing islamiste exercé par une alliance islamiste avide de pouvoir (l'Alliance de l'Algérie verte, composée de trois partis), qui voulait se présenter comme le prototype de l'alternance mise en place en Tunisie, au Maroc et en Égypte.