Pourquoi Archimède trouvait l'inspiration dans son bain? Comment Edison a inventé l'ampoule? Pourquoi Poincaré faisait ses plus grandes découvertes à des moments inattendus? Quelles techniques utilisait le scénariste des Monthy Python? Vous n'avez peut-être jamais eu, comme eux, l'idée d'une technologie révolutionnaire ou développé de grands projets artistiques… pour autant, la créativité s'invite chaque jour dans notre quotidien, de l'éducation de nos enfants à l'accommodation des restes de nos placards. Et, bonne nouvelle, elle se travaille! En s'appuyant sur les sciences cognitives et de nombreuses méthodes, ce livre invite à comprendre comment naissent les idées et à déconstruire la notion même de créativité. Vous apprendrez pourquoi il est souhaitable d'aller au-delà de vos premières intuitions; d'adopter un juste usage de la critique; d'enquêter sur un problème en remontant à ses racines; d'accorder à vos idées une «présomption de pertinence»; de rebondir sur les hasards et les opportunités et surtout… de prendre votre temps.
Après l'avoir lu, vous ne direz plus: «Ça ne marchera jamais», «J'ai toujours fait comme ça», «Il n'y a qu'une seule solution» ou, pire encore… «Je ne suis pas créatif!».
Préparez-vous à plonger dans votre propre baignoire d'Archimède et à explorer les dessous de la créativité au fil des pages de (Dans) La Baignoire d'Archimède – Faut-il être un génie pour avoir de bonnes idées? aux Éditions Arkhê paru le 6 mai. Nous en publions un extrait.
En psychologie, l'intelligence désigne notre capacité à raisonner et à penser de façon abstraite. Autour de soi, on peut constater que certaines personnes sont globalement plus douées que la moyenne pour conduire des raisonnements ou comprendre des sujets variés, indépendamment de la thématique en question. On dira d'elles qu'elles sont particulièrement «intelligentes».
Derrière ce qualificatif, il y a l'intuition d'un attribut général, dont certains seraient particulièrement dotés. Mais on peut également observer chez chacun d'entre nous des talents particuliers: l'un est doué pour les tâches pratiques, l'autre pour les énigmes logiques et le dernier pour briller en société… Toutes ces observations pourraient naturellement nous amener à penser qu'il n'y a pas d'intelligence «unique» mais de multiples façons de faire preuve d'intelligence. Alors, qu'en disent les scientifiques?
Une intelligence unique
Au début du XXe siècle, des chercheurs observent que nos performances sur de nombreuses tâches sont statistiquement liées. Par exemple, nos performances dans la résolution d'équations et dans la conjugaison de verbes. Cela ne veut pas dire que toutes les personnes douées pour résoudre une équation le sont pour conjuguer des verbes mais, en moyenne, celles qui réussissent bien la première tâche ont tendance à maîtriser aussi la deuxième. Cela conduit ces chercheurs à l'idée d'«intelligence générale»: un facteur unique qui nous rendrait plus ou moins performant quel que soit ce que l'on entreprend. Les tests de QI sont une estimation de cette intelligence générale.
Quand on passe un test d'intelligence, on est soumis à plusieurs exercices: résolution de problèmes logiques, mémoire, vocabulaire, rapidité, culture générale… L'intelligence, mesurée par ces tests, correspond donc à une mesure moyenne de notre capacité à penser et à raisonner. Elle ne traduit pas la diversité de nos talents et n'est pas non plus une mesure de notre personnalité[1].
La fonction principale de ces tests est d'identifier chez les individus un niveau d'intelligence particulièrement élevé ou particulièrement bas. Cela permet notamment d'expliquer les difficultés d'un élève en milieu scolaire et de pouvoir le prendre en charge au regard de ses besoins éducatifs.
Le problème, c'est que l'on donne, dans la société, beaucoup trop d'importance à ce score du QI. En témoignent les innombrables tests disponibles sur internet, qui n'ont d'ailleurs aucune validité scientifique. Or quand on n'est pas psychologue, il est difficile d'interpréter ce résultat. À terme, que dit-il de nous? Notre intelligence se réduit-elle à un score chiffré? Contre cette définition de l'intelligence, des voix vont s'élever.
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Des intelligences multiples
En 1983, le psychologue américain Howard Gardner propose une «théorie des intelligences multiples»[2]. D'après lui, nous ne posséderions pas une intelligence «générale» mais plusieurs intelligences «indépendantes»: linguistique, spatiale, musicale… On serait plus ou moins doué dans chacune de ces intelligences et ces performances seraient indépendantes les unes des autres. Cette théorie a rencontré un important succès dans le domaine de l'éducation car elle est plus inclusive que le QI. Plutôt que de classer les élèves selon des critères identiques pour tous, on considère que chacun peut être intelligent à sa manière.
Néanmoins, la théorie de Gardner n'a pas convaincu la plupart des chercheurs en psychologie et a été mise à mal par les études expérimentales conduites sur le sujet[3]. Contrairement à ce qu'il avance, on trouve toujours des corrélations statistiques entre les différentes intelligences qu'il a tenté de décrire. Ses travaux ne permettent donc pas de remettre véritablement en cause la notion d'intelligence générale.
Que doit-on en conclure? L'existence d'un facteur général d'intelligence fait aujourd'hui consensus dans la communauté scientifique. Pour autant, résumer l'intelligence à une seule dimension peut sembler réducteur, et surtout peu constructif.
Gardner a perdu la controverse scientifique des intelligences multiples car il n'a pas su démontrer la validité de sa théorie.
C'est pourquoi, dans ce débat, il est primordial de distinguer la dimension scientifique de la dimension idéologique. Savoir s'il existe plusieurs formes d'intelligences indépendantes est une question scientifique. Cette hypothèse, avancée par Gardner, n'a pas été validée et a conduit ses pairs à rejeter sa théorie. En revanche, savoir s'il est préférable de décrire notre intelligence selon une seule dimension ou avec une plus grande diversité est un débat idéologique. Il semble d'ailleurs que les enseignants apprécient la théorie des intelligences multiples moins pour ses arguments scientifiques que pour la vision de l'éducation qu'elle défend. Autrement dit, psychologues et enseignants ne sont pas fondamentalement en désaccord: simplement, ils ne jouent pas sur le même terrain.
Howard Gardner est certes un scientifique mais sa démarche est avant tout idéologique. Dans son livre, il explique que sa théorie des intelligences multiples est «plus humaine» et que «chacun devrait avoir la possibilité de montrer ses points forts», des arguments qui n'ont rien de scientifique. En s'opposant à une vision uniformisée de l'intelligence, il nous invite à reconnaître les singularités de chacun. Ce qui, finalement, n'est pas en contradiction avec l'existence d'une intelligence générale. Gardner a perdu cette controverse scientifique car il n'a pas su démontrer la validité de sa théorie. Mais cela ne l'a pas empêché de diffuser son point de vue et de transformer l'idée qu'une grande partie de la société se fait de l'intelligence!
Et la créativité dans tout ça?
Depuis la théorie des intelligences multiples, d'autres angles morts des tests du QI ont été explorés. Certaines de nos capacités mentales pourraient être peu prises en compte par ces tests, comme notre capacité à comprendre les autres et agir en fonction, ou bien notre capacité à connaître et réguler nos émotions et à percevoir celles des autres. Doit-on les considérer comme faisant partie de l'intelligence? Comment peut-on mieux les prendre en compte dans les tests?
Les mêmes questions se posent pour la créativité. En 1950, au moment où Joy Paul Guilford lance son appel, de nombreux psychologues pensent que la créativité d'un individu s'explique par son niveau d'intelligence, mesuré par les tests de QI. Ce n'est pas l'avis de Guilford, pour qui notre capacité à forger de nouvelles idées dépasse largement la question de l'intelligence. Plusieurs études vont lui donner raison. S'il existe bien un lien statistique entre QI et créativité, il est trop faible pour que la créativité s'explique seulement par le niveau d'intelligence. Un faible QI nous handicaperait et rendrait impossible une importante créativité. Mais au-dessus d'un certain seuil, ces deux mesures n'iraient plus de pair. Ainsi, pour être créatif, un certain niveau d'intelligence est nécessaire… mais pas suffisant. On peut avoir un QI élevé et être peu créatif ou avoir un QI moyen et une créativité débordante.
Pour Guilford, notre capacité à forger de nouvelles idées dépasse largement la question de l'intelligence.
Comment donc expliquer notre niveau de créativité? On considère aujourd'hui qu'il dépend de nombreux facteurs, comme nos connaissances, notre personnalité, notre état émotionnel, notre environnement familial ou professionnel[4]. Certains sont plutôt constants, comme la personnalité, d'autres évoluent tout au long de notre vie.
Mais quels que soient ces facteurs, ils ne déterminent qu'un potentiel, que nous exploitons ensuite plus ou moins. Plutôt que de considérer la créativité comme un talent, il semble préférable de l'envisager comme un savoir-faire que nous pouvons développer par l'expérience et avec l'aide de méthodes appropriées. Ne confondons donc pas disposition initiale et compétence réelle.
1 — Personnalité et intelligence sont peu liées. Retourner à l'article
2 — Au total, huit formes d'intelligences sont proposées: logico-mathématique, verbo-linguistique, spatiale, intrapersonnelle, kinesthésique/corporelle, interpersonnelle, musicale/rythmique et naturaliste. Retourner à l'article
3 — Pour creuser les critiques des fondements scientifiques de la théorie des intelligences multiples, je vous recommande un podcast du psychologue et mathématicien français Nicolas Gauvrit: Les Intelligences multiples de Gardner ainsi qu'un article de la fondation La Main à la pâte, qui lutte contre les neuro-mythes, de Jessica Massonnié: «Que peut-on dire de l'idée “d'intelligences multiples” et de son application en classe?» Retourner à l'article
4 — On parle d'une approche «multivariée» de la créativité développée notamment par Todd Lubart. Retourner à l'article