Publié chaque semaine dans le Weekly Shōnen Jump, magazine de prépublication de mangas hebdomadaire, Jujutsu Kaisen est actuellement adapté par le studio MAPPA. Vous êtes peut-être déjà familier de ce studio, qui est aussi le producteur de la dernière saison de Shingeki no Kyojin (L'Attaque des Titans en français). À ce jour, le studio a adapté la première saison de Jujutsu composée de vingt-quatre épisodes.
Une histoire de combats entre sorciers
Dans un Japon contemporain, on recense chaque année plus de 10.000 décès inexpliqués. La plupart du temps, ils sont liés aux sentiments négatifs (peur, colère, souffrance, regrets...) des êtres humains. Accumulés à leur paroxysme dans un même lieu, cela provoque des malédictions difficiles à éradiquer.
Nous suivons Yuji Itadori, un lycéen membre du club de spiritisme, qui se retrouve malgré lui confronté aux forces occultes. Un jour, il découvre le doigt sectionné d'une créature mythique. Il décide de l'avaler afin de conjurer un mauvais sort. De là, il est possédé par le démon millénaire Ryomen Sukuna, qu'il arrive à contrôler.
Condamné à mort par l'organisation des exorcistes, il établit un marché avec cette dernière: partir à la recherche des autres doigts de Sukuna et les ingérer pour éliminer les Fléaux du démon pour toujours. Grâce à son extraordinaire force innée, il intègre une école d'exorcisme où il côtoie des camarades de très haut niveau. Yuji doit alors se former à l'art occulte pour battre les démons qu'il rencontrera au fur et à mesure de sa quête.
Pourquoi un tel engouement?
Sorti en mars 2018, le manga a atteint en novembre 2019 les 2,5 millions d'exemplaires vendus dans l'archipel nippon. En janvier 2021, la série a écoulé 20 millions d'exemplaires, dont 5 millions rien qu'au mois de décembre 2020. Pour comprendre l'ampleur du phénomène, on peut comparer ce succès au très populaire My Hero Academia entamé en 2014, qui s'est vendu à 30 millions d'exemplaires depuis ses débuts.
En février 2021, la série d'animation reçoit le titre d'Anime de l'année aux Anime Awards 2021 de Crunchyroll. La fascination pour cette œuvre a été extrêmement rapide. Il faut dire que Jujutsu Kaisen réussit à mêler une véritable histoire ténébreuse avec beaucoup d'humour noir, sans abuser de flashbacks trop émotionnels. L'ambiance y est très sombre, proche de l'apocalypse, comme dans toute œuvre de dark fantasy –par exemple chez Berserk ou Fullmetal Alchemist.
L'univers de Jujutsu n'est pas sans rappeler celui de Demon Slayer, anime connaissant un succès faramineux au Japon, tout aussi tourné vers les démons et les forces occultes. Il est pourtant bien différent.
Déjà comparé à d'autres grands noms
Sur les réseaux sociaux, beaucoup de fans voient des similitudes entre Naruto et Jujutsu Kaisen. Pour certains, Yuji serait un Naruto revisité, Megumi un Sasuke plus sympathique, Goji un Kakashi sensei plus drôle et Kugisaki une Sakura plus utile. Néanmoins, cette comparaison ne semble pas être la plus probante. Quand Naruto annonce dès le début qu'il sera le plus grand des ninjas, Yuji sait qu'il ne fera pas long feu après avoir accompli sa mission puisqu'il sera condamné à la peine capitale. D'après BFMTV, il s'agit d'une «manière lugubre mais efficace de renouveler le genre».
Cette œuvre est teintée de l'univers hip-hop au niveau des sons de l'ending, des styles des personnages... Dans un autre registre d'anime, Jujutsu Kaisen peut rappeler le très bon Samurai Champloo paru en 2005 (disponible sur Netflix et Crunchyroll). Ces deux mangas mettent en scène trois personnages formant un trio: un garçon mystérieux et fier, un autre garçon plus ouvert et sympathique, une fille au caractère bien trempé. Dans Samurai Champloo, l'un des personnages phares, Mugen, utilise des techniques de combat inspirées du breakdancing.
Des inspirations trop marquées pour certains
Pour certains férus de mangas comme Juan, étudiant parisien de 23 ans en école de web, Jujutsu Kaisen reprend malheureusement trop d'œuvres pour être considéré comme une vraie réussite. Parasite, Hunter x Hunter, Naruto... En effet, l'auteur avoue s'être inspiré de Bleach pour concevoir son récit, mais aussi d'autres œuvres de son enfance telles que Neon Genesis Evangelion.
Juan raconte avoir commencé à regarder l'anime après avoir vu l'engagement qu'il suscitait sur Twitter. Or, pour lui, l'histoire manque de fond, de réflexion, de double-lecture pour l'instant. «C'est du réchauffé», confie-t-il, en attendant de voir la suite.
Aussi, les mythes bibliques occupent une grande place dans l'univers de Jujutsu Kaisen. Selon le YouTubeur LeChefOtaku, ce shōnen de type nekketsu (熱血, littéralement «sang chaud» en japonais) ne brille pas par son originalité puisqu'il reproduit l'ensemble des codes de son type. À savoir que le héros est un jeune garçon orphelin qui doit atteindre un but ou réaliser un rêve, qu'importent les obstacles. De nature gentil et naïf, il est aussi honnête, amical et se dévoue dans l'intérêt du «bien».
Doté d'une certaine puissance, Yuji est possédé par un démon antique, à l'image de Naruto et du démon renard à neuf queues, Kyûbi. Accompagné de plusieurs amis, il endure des difficultés pour atteindre son objectif. Ajoutons que ce manga possède d'autres points communs avec Naruto, Demon Slayer ou encore Bleach: le fait que le héros se retrouve enrôlé dans une organisation secrète chargée de protéger l'humanité des démons qui rôdent, la présence de tournois, le système de qualification pour monter en grade dans la hiérarchie, l'existence d'un groupe mystérieux issu des ténèbres.
Comme dans tout manga de ce genre, lorsque le héros est sur le point de flancher pendant un combat, il se révèle plus fort que jamais en faisant jouer sa volonté et son mental. Pour l'instant, il manque encore la perspective d'un voyage initiatique, qui se développera peut-être en lisant la suite de l'écriture.
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«Une version améliorée de tout» pour d'autres
Pour Élisabeth, lycéenne de 18 ans en région parisienne, reprendre les codes du nekketsu et s'inspirer d'autres œuvres ne posent pas de problème. Les scènes de combat sont époustouflantes, les méchants sont dotés d'une certaine nonchalance et sont très travaillés – à la fois leurs techniques de combat et leur personnalité. Les personnages sont drôles, attachants et évoluent rapidement en quelques épisodes. La jeune femme n'a pas eu le temps de s'ennuyer au fil de son visionnage.
De plus, les décors arrivent à sublimer l'aspect ténébreux et apocalyptique du manga. Pour l'adolescente, il serait trop simple de comparer Yuji à Tanjiro de Demon Slayer, une autre œuvre qu'elle apprécie par ailleurs beaucoup. D'après elle, Tanjiro est malheureusement trop émotif et sensible pour constituer un personnage réaliste, et assez complexe à suivre. «J'aime beaucoup le mélange entre plusieurs animes. Pour moi, Jujutsu Kaisen est une version améliorée de tout: elle reprend tout ce qu'il y a de bon à prendre dans ces œuvres de type shōnen.»
«Nekketsu» d'un nouveau genre
À l'aune du succès gigantesque des mangas shōnen destinés aux garçons, Jujutsu Kaisen est intéressant au regard des personnages féminins. Habituellement, le genre a tendance à conférer à ces protagonistes des places de second rang, moins importantes. Yuji Itadori étant le héros, le manga obéit à cette règle, mais en casse bien d'autres.
Pour une fois, on a un nekketsu dans lequel ni la place, ni le pouvoir des personnages féminins n'est lié au care (guérisseuses, infirmières), comme c'est le cas de Sakura ou de Tsunade dans Naruto, par exemple.
«Pour que cette œuvre puisse espérer entrer dans les rangs des mangas et animes du genre culte, il lui manque encore son moment de bravoure qui marque les esprits.»
En outre, ces protagonistes sont généralement accompagnées de nombreux stéréotypes liés à leur genre: fragilité, gentillesse, faiblesse, délicatesse et naïveté. Autrement dit, des femmes en attente de protection masculine ou amoureuses d'un homme pour exister dans le récit.
Dans Jujutsu Kaisen, c'est loin d'être le cas. Qu'il s'agisse de Nobara Kugisaki, de Maki Zenin, de sa jumelle Mai Zenin ou encore de Mei Mei, les femmes sont toutes égales aux hommes en matière de puissance, de technique et de personnalité. Elles sont actives et ont des rôles qui vont bien au-delà de la simple figuration. Ce ne sont pas des appuis aux protagonistes masculins. Sans être un manga résolument féministe, regarder cette œuvre est agréable en tant que femme mordue d'animation nippone.
Aux yeux d'Élisabeth, c'est l'une des forces de ce manga: il lui permet de s'identifier aux personnages, qu'elle trouve trop souvent «fragilisés» par leur condition féminine.
L'œuvre se met en place
Bien sûr, le manga n'en est qu'à ses débuts. Il est donc difficile de juger sa qualité pour le moment. Seul l'auteur Gege Akutami pourra faire pencher la balance en nous livrant les prochains chapitres. L'histoire se met en place et elle est déjà agréable à regarder ou à lire, selon le format que l'on préfère.
LeChefOtaku pense que Jujutsu Kaisen dégage un certain potentiel de par son ambiance sombre, son ton lourd, un dénominateur commun de la dark fantasy. Il souligne que les ténèbres sont abordées avec fascination, à l'instar de Berserk. Les personnages luttent contre les Fléaux, mais aussi contre leurs propres émotions humaines. Le succès de Jujutsu Kaisen lui paraît évident.
En revanche, «pour que ce succès perdure dans le temps et que cette œuvre puisse espérer entrer dans les rangs des mangas et animes du genre culte, il lui manque encore son (ou plutôt ses) moment de bravoure qui marque les esprits» avec un arc fort. Surtout quand l'œuvre arrive après le retentissement faramineux de Demon Slayer, dont le concept repose aussi sur la chasse des démons.
Rappelons que ce manga a été le plus vendu au Japon en 2019 et en 2020. Après avoir battu le record du film Le Voyage de Chihiro (2001) du célèbre studio Ghibli, le film d'animation Demon Slayer: Le train de l'Infini (2020) est aujourd'hui le plus gros succès du box-office japonais.
MAPPA accumule les succès
Masao Maruyama, cofondateur de Madhosue, autre studio de légende (Trigun, Death Note, Summer Wars, Hunter x Hunter, One-Punch Man...), crée en 2011 MAPPA, pour Maruyama Animation Produce Project Association.
Au départ, le jeune studio s'allie avec Tezuka Productions pour produire des œuvres de taille telles que Cowboy Bebop ou Samurai Champloo (encore lui). En 2017, MAPPA sort l'anime Gambling School sur Netflix. De là, le studio commence à singulariser les contours de son identité visuelle: un clair-obscur de couleurs chaudes sur fonds sombres, une fluidité dans les mouvements des personnages, une bande originale recherchée, des expressions faciales très fines et réalistes, le tout sur un arrière-plan peu joyeux. L'ensemble est réalisé avec très peu de 3D. Depuis, les succès s'enchaînent: Dororo, The Promised Neverland, Dr. STONE, ou encore Fire Force font couler beaucoup d'encre.
L'œuvre devrait être courte
Sur les 143 chapitres du manga, l'adaptation de la saison 1 n'en a couvert que 64. Dans une interview récemment donnée à l'émission «Mando Kobayashi», Gege Akutami confesse être déjà en train de prévoir la fin. Il déclare ainsi que le manga, commencé il y a seulement trois ans, «pourrait se conclure d'ici deux ans», soit en 2023. Aussi, il précise que si le futur de Yuji Itadori et Megumi Fushiguro est scellé dans son esprit, il lui reste à écrire l'avenir du démon Sukuna dont il n'est pas encore sûr.
Yuji as King Arthur on the cover of Weekly Shonen Jump issue 21•22 pic.twitter.com/hv6IgWa0H1
— Jujutsu Kaisen (@JujutsuKaisen) April 25, 2021
En attendant la deuxième saison, MAPPA prévoit de réaliser un film d'animation tiré de l'œuvre du mangaka. Basé sur le tome 0 de l'œuvre, Tokyo Toritsu Jujutsu Koutou Senmon Gakkou devrait sortir fin 2021 dans les cinémas japonais. Ce film aura sans doute une certaine importance dans la suite de l'histoire de Gege Akutami. Concernant la saison 2, il faudra patienter jusqu'en 2022.
À voir sur Crunchyroll.