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Revendiquer un attentat raté: une fausse bonne idée?

Temps de lecture : 5 min

Certains islamistes affirment que l'attaque de Times Square n'est pas parvenue à effrayer les Américains.

Le Tehrik-e-Taliban Pakistan (TTP) a-t-il tenté de faire sauter Times Square? C'est ce que voudrait nous faire croire une vidéo diffusée après la tentative d'attentat à la voiture piégée du samedi 1er mai (diffusée dans un premier temps, elle a été retirée de YouTube). Dans un autre enregistrement, l'émir Hakimullah Mehsud, chef du TTP (qui était sensé avoir été tué par un drone américain en janvier dernier), annonce une série d'attaques visant les villes américaines.

Aucune preuve sérieuse ne laisse pour l'instant penser que ce groupe terroriste (à qui l'on impute plusieurs attaques meurtrières contre l'armée et l'Etat pakistanais, aujourd'hui pris d'assaut dans sa forteresse tribale) était en mesure de frapper à New York -il a toutefois été accusé d'avoir préparé un attentat visant le métro de Barcelone, en 2008. Un Américain d'origine pakistanaise, Faisal Shahzad, a néanmoins été arrêté lundi soir à JFK alors qu'il allait prendre un avion pour Dubaï. Inculpé mardi de cinq chefs d'accusation par un tribunal de Manhattan (dont «terrorisme»), il risque la prison à perpétuité. Le suspect aurait reconnu son implication et aurait fourni des «informations et des éléments de preuve intéressants» à la police.

Du point de vue de la stratégie de communication, l'identité des véritables responsables importe peu. Les forums jihadistes sont en ébullition depuis la grande nouvelle: Mehsud est vivant, et le TTP a l'intention de frapper aux Etats-Unis. Pour autant, les commentaires ne sont pas toujours positifs. Les détracteurs affirment que l'attaque de Times Square n'est pas parvenue à effrayer les Américains; pire, elle a été qualifiée de «travail d'amateur». Cette consternation nous rappelle que la première arme d'un terroriste n'est pas la voiture piégée: c'est la peur. Voilà une leçon des plus intéressantes pour les responsables locaux et fédéraux devant communiquer au lendemain d'un attentat terroriste.

Les deux premières vidéos (sur la première on entend Qari Hussain, responsable de l'entraînement des terroristes kamikazes du TTP; sur la seconde, c'est Hakimullah qui s'exprime) sont très similaires dans leur structure. Elles durent environ une minute, la qualité du son laisse à désirer, le tout sur fond d'illustrations animées; on y retrouve beaucoup d'images et de motifs semblables. Hussain revendique l'attaque de Times Square, mais le logo jihadiste n'apparaît pas sur sa vidéo; il est donc permis de douter de son authenticité. Dans son enregistrement, Hakimullah prétend que les villes américaines sont devenues la cible principale du TTP; le logo d'Umar Studios, l'unité de production audiovisuelle du TTP, est bien, cette fois, présent. Les deux films ont d'abord été diffusés sur YouTube, et ils sont sous-titrés en anglais. La similarité graphique des deux vidéos laisse penser qu'elles ont été produites rapidement, et sans doute par les mêmes personnes; la qualité audio médiocre pourrait toutefois signifier que l'enregistrement des deux déclarations s'est fait par téléphone.

La troisième vidéo de Mehsud est de meilleure facture.

Hakimullah y apparaît en personne; il prétend l'avoir enregistré le 4 avril, et fait référence à plusieurs théories entourant sa mort, sans doute pour prouver que l'enregistrement date bien d'après celles-ci. Si la vidéo d'Hakimullah a vraiment été tournée début avril, elle précède les enregistrements audio utilisés dans les autres films. Mehsud prétend que sa courte déclaration a été enregistrée le 19 avril; de son côté, Hussain évoque la mort de l'émir Abou Omar al-Baghdadi (de l'Armée Islamique d'Irak), qui date également du 19 avril. Ce qui tendrait à prouver que la vidéo d'Hussain, qui a été diffusée en premier, a été réalisée en dernier.

Sur la vidéo, Mehsud est assis et l'on ne peut distinguer ses jambes; elles pourraient avoir été touchées par l'attaque de drone de janvier dernier -attaque qui, pensait-on, lui avait coûté la vie. Sa voix ne manque pas de vigueur, mais sa performance trahit quelques faiblesses. Il jette plusieurs regards à quelqu'un, à gauche de la caméra; on remarque également plusieurs coupures et montages, ce qui est loin d'être anodin: en général, les vidéos de grands chefs terroristes ne sont constituées que d'un seul et long plan fixe. Peut-être Mehsud butait-il tout simplement sur certains mots, mais au total, une chose est certaine: l'équipe de postproduction a eu un réel impact sur le résultat final.

Hussain et Mehsud utilisent des arguments similaires pour justifier les attaques visant les Etats-Unis. Les deux condamnent l'engagement militaire américain en Afghanistan et en Irak, et évoquent Aafia Siddiqui, neuroscientifique pakistanaise condamnée pour tentative de meurtre aux Etats-Unis, suspectée d'avoir participé à l'élaboration d'un programme d'armement non conventionnel pour le compte d'al-Qaida. Cette référence n'est pas de celles que l'on retrouve dans la plupart des déclarations anti-américaines des jihadistes, mais elle est de plus en plus populaire dans les groupes islamistes du Pakistan (violents ou non) désireux de se poser en défenseurs de l'honneur des femmes musulmanes.

Mehsud et Hussain parlent tous deux des divers fronts du jihad hors du Pakistan, mais ici leur vision varie quelque peu. Hussain fait directement référence à l'Irak et à al-Baghdadi, tandis que Mehsud met l'accent sur l'Arabie Saoudite, le Yémen et Gaza; ces derniers temps, la propagande de la branche principale d'al-Qaida s'intéresse plus à ces trois régions qu'à l'Irak. La référence à al-Baghdadi est importante: c'est un message d'unité, un symbole de l'alliance entre le TTP et al-Qaida. Hussain appartient à une tribu pachtoune du Sud-Waziristan; il n'a rien en commun avec al-Baghdadi - sinon un lien idéologique, noué par al-Qaida.

Sur les forums jihadistes, la majorité des réactions qui ont fait suite à l'attentat raté de Times Square et à la diffusion des vidéos ont été positives. Les internautes jihadistes croient Hussain lorsqu'il dit être le responsable de l'attentat manqué, et ce bien que plusieurs responsables occidentaux aient nié la possibilité de l'existence d'un lien opérationnel. Dans leurs messages, ils s'enthousiasment de voir Mehsud en vie. Mais certains s'inquiètent, et se demandent si l'attaque ratée ne va pas affaiblir la réputation des jihadistes. Ils espèrent que cette tentative d'attentat a plongé l'Amérique dans la terreur, mais sont déçus de constater que les médias l'ont déjà qualifiée de «travail d'amateur». Les jihadistes aiment la peur, et cette fois-ci, il n'y en a pas assez à leur goût.

La bombe de Times Square a certes été désamorcée, mais nul ne sait pour l'instant quel sera son importance et son impact politique. Après un attentat, la bataille de communication est toute aussi importante que l'incident lui-même; dans ce cas précis, le TTP et ses partisans crient à la victoire, malgré l'absence d'explosion et l'origine encore incertaine des explosifs. Mais leur message est facilement attaquable -et ce justement parce que la bombe s'est avérée n'être qu'un pétard mouillé. Les terroristes ont recours à la violence pour effrayer leurs ennemis, ce qui leur permet de s'emparer de l'initiative politique; mais cette tactique ne fonctionne que lorsque les victimes d'un attentat se laissent terroriser. On peut considérer la tentative d'attentat de Times Square comme un nouvel appel à la vigilance pour la population et les secouristes; mais quelle que soit la véritable identité des responsables, il faut également y voir une opportunité. Une chance pour les Etats-Unis de contester l'arrogant discours des jihadistes, qui se disent forts et puissants -car ce discours constitue justement l'un de leurs nombreux points faibles.

Brian Fishman

Traduit par Jean-Clément Nau

Photo: Hakimullah Mehsud / capture d'écran

À LIRE ÉGALEMENT: Les trois leçons à tirer de l'attentat raté de Times Square et Notre série «Pourquoi n'y a-t-il pas eu de nouveau 11-Septembre?

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