Une envie d'uriner constante et une affreuse douleur au moment de la miction, comme des aiguilles qui se plantent le long de l'urètre. Voilà les symptômes décrits par presque toutes les personnes atteintes de cystite. Nous avons interrogé quatre d'entre elles et toutes se souviennent de leur premier épisode.
Cette sensation, cette douleur si particulière, s'est installée comme une épée de Damoclès: elles continuent à la guetter et à la craindre. On estime qu'une femme sur deux aura au cours de sa vie une cystite (infection urinaire simple[1]). Certaines n'en auront qu'une seule fois, pour d'autres c'est un rendez-vous mensuel.
Des années d'errance
Pour Laurence, 61 ans, les ennuis commencent à 8 ans lors d'un camp scout: «Je ne comprenais pas exactement ce qu'il se passait, j'avais tout le temps envie d'uriner, il m'était impossible de rester debout et je demandais sans cesse à aller aux toilettes. Face aux refus des encadrants, j'ai fini par m'uriner dessus et je me suis faite grondée.» Comme elle, des milliers de femmes souffrent de cystites à répétition qui surviennent à différents moments de la vie. Si les enfants ne sont pas épargnés, on estime qu'il y a trois grandes périodes chez les femmes au cours desquelles surviennent les cystites: l'éveil à la sexualité, la période de gestation et la ménopause.
Clara, 21 ans, a découvert sa sexualité en même temps que ses premières cystites. «Entre 16 et 18 ans j'ai eu plusieurs épisodes quasiment après chaque rapport. J'étais avec mon premier copain et je ne comprenais pas vraiment ce qu'il se passait, je n'avais pas les mots pour décrire, ou mettre un mot sur ce qui m'arrivait.» Au lycée, difficile de le cacher. Pour autant, la jeune fille souffre parfois tellement qu'elle en pleure. «C'était difficile d'en parler même avec mes copines. La question c'était plus: comment se procurer un antibiotique et surtout ne plus avoir mal?»
Une préoccupation que partage Maélise, qui passe de médecin généraliste, en gynécologue et urologue afin de soigner son mal. «J'ai le souvenir précis de la pire cystite de ma vie, un jour où je n'étais pas chez moi. J'avais un voyage en train prévu ce jour-là. J'ai voulu essayer d'obtenir un antibiotique. Impossible en pharmacie, aucune disponibilité chez SOS Médecins. J'ai fini par faire appel à ma mère qui m'a dépannée.»
«Entre 16 et 18 ans j'ai eu plusieurs épisodes quasiment après chaque rapport.»
Lucy, 22 ans, elle aussi multiplie les passages chez des soignants. «J'ai compris qu'il fallait que je change de médecin généraliste le jour où il m'a dit que les cystites étaient normales et que toutes les femmes en étaient atteintes.» Aujourd'hui enceinte de trois mois, elle a vu ses cystites prendre une nouvelle tournure et se faire toujours plus présentes. Sa nouvelle sage-femme, consciente de cette recrudescence, lui a prescrit des examens cytobacteriologiques des urines mensuels jusqu'à son terme prévu pour octobre 2021.
Laurence a également vu beaucoup de médecins. «Quand j'étais jeune fille et que j'ai commencé à consulter pour mes problèmes de cystites récurrentes, on me faisait des prélèvements avec des sondes dans l'urètre. Des souvenirs très douloureux. Heureusement aujourd'hui on ne pratique plus ces méthodes», relate-t-elle. Dorénavant, lors d'une consultation avec un généraliste, ce dernier aura souvent recours à la prescription d'un ECBU ou d'un test sur bandelette et donc à analyser l'urine de la patiente recueilli sans passer par un prélèvement urétrale.
La prescription d'antibiotiques en une prise de type fosfomycine ou de traitement antibiotique à plus long terme est aussi très commune. De même que les éternels «conseils hygiéno-diététiques» rappelés à toutes les femmes atteintes de cystites de la part de l'ensemble des soignants consultés, des médecins aux pharmaciens: «Boire beaucoup d'eau, uriner après chaque rapport, s'essuyer de l'avant vers l'arrière (et surtout pas l'inverse) quand on est aux toilettes, porter des sous-vêtements en coton et pas des vêtements trop serrés.» Maélise connaît la chanson. Laurence, elle, déplore ne pas en avoir eu connaissance dès son plus jeune âge.
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Vivre avec
Apprendre à vivre avec la cystite, c'est aussi apprendre à en parler. «C'est presque la première fois que je l'évoque», se surprend Laurence. Par volonté de ne pas déranger ou tout simplement de ne pas se plaindre, la sexagénaire a peu abordé cette pathologie qu'elle a pourtant traîné pendant près de vingt ans. Cependant, le rapport avec cette maladie de l'intime tend à changer. Dès le début, Maélise en a parlé à sa mère et à ses tantes, toutes concernées par les mêmes douleurs. «J'encourage aussi mes amies à se confier», ajoute-t-elle, afin de créer du dialogue, faire de la prévention et donner les quelques trucs et astuces qui peuvent endiguer un début de crise.
Lucy connaît des épisodes de cystites depuis le collège, mais c'est en revenant du lycée en 2018 qu'elle a créé un groupe Facebook privé d'aide et de soutien pour les personnes qui en souffrent. «J'en avais vraiment marre. En pleurs, je disais à ma mère, que je n'en pouvais plus.» Démunie et seule face à sa peine, Lucy avait besoin de partager son quotidien, ses astuces et tentatives de trouver des solutions. Après plus de deux ans, une dizaine de nouvelles demandes chaque semaine et une communauté bienveillante et réactive, le groupe est un succès pour sa créatrice. Seule administratrice de la page, elle prend le temps de lire chaque publication avant de la partager et modère au mieux les témoignages et commentaires. Ici, pas de «ban» si l'on cite des marques en bien ou en mal. Au contraire, «c'est le but, tant que ça reste dans le sujet».
À l'instar de celle de Lucy, les pages et comptes dédiés fleurissent sur les réseaux sociaux qui traitent de près ou de loin à la santé des femmes. On y transmet ses témoignages, on y parle de douleur et de ressenti.
Ces espaces de parole nouvelle génération remplacent les forums ou même des groupes de parole. Pour la cystite en particulier, ces lieux de rencontre et d'échange permettent à chacune de se sentir écoutée et soutenue lors d'une nuit de douleur assise sur la cuvette des toilettes.
S'en débarrasser
Mais comment se débarrasser de cette peine qui devient parfois chronique? Selon des spécialistes, il faudrait dépasser les quatre cystites par an pour être considérée comme victime d'infections récidivantes. De plus, très vite arrive la problématique de la résistance aux antibiotiques, encore débattue au sein du corps médical.
C'est le cas de Laurence, qui au fil de ses cystites persistantes dans ses jeunes années jusqu'au sortir de l'adolescence a connu le chemin de croix des antibiotiques qui ne la soulagent plus. Une fois même, celle qui est aujourd'hui débarrassée de ce mal a expérimenté une très forte allergie à un des médicaments prescrits. Résultat: une mycose vaginale, intestinale et bucale se caractérisant par un champignon noir sur la langue. «Ça a été très difficile à vivre, surtout ce champignon.» Pour se sortir de ces effets secondaires, elle est allée demander de l'aide à un homéopathe, mais ne saurait dire s'il l'a, ou non, délivrée de ses problèmes. Depuis ses grossesses et accouchements, Laurence a vu une baisse très significative du nombre de cystites, et sa ménopause n'a pas de nouveau intensifié la fréquence: «J'en ai eu encore une ou deux, [...] un antibio et ça passe.»
Pour Clara, seule ici à s'en être débarrassée, la réponse se trouvait dans une remise en question de sa sexualité. Pendant près de trois ans, la lycéenne puis jeune adulte qu'elle était a souffert de cystites très présentes, toutes (ou presques) survenues après des rapports sexuels. En couple avec un garçon de son âge, elle a petit à petit, et bien souvent par elle-même, dû apprendre les règles hygiéniques permettant d'éviter ou de ralentir les infections urinaires post-coïtales, comme le fait d'uriner après un rapport pénétratif. «On était à un âge où c'était un peu tabou et on ne se rendait pas compte de ce qui était normal.» Par «normal», Clara entend aujourd'hui dialogue, mais aussi l'importance de la lubrification. «Il y a un vrai manque d'éducation sexuelle. Pendant des années, les cystites ne m'ont pas aidée à plus m'épanouir de ce côté», déplore la jeune femme.
Aujourd'hui, la remise en question du sexe phallocentré, le dialogue avec son partenaire et l'utilisation de lubrifiants lui permettent d'éviter la case infection urinaire. Mais beaucoup ne sont pas aussi chanceuses, malgré l'application de mesures similaires.
1 — La cystite dans son explication médicale ne touche que les personnes dotées d'un vagin. Une homme trans peut donc avoir des cystites et saurait se reconnaître dans notre description. Une personne dotée d'un penis peut souffrir d'une infection urinaire, mais il ne s'agira pas d'une cystite. Retourner à l'article