L'OLP a donné sonné ce samedi 8 mai son accord à des pourparlers indirects avec Israël, selon un dirigeant du mouvement Fatah, Jibril Rajoub. Cette annonce intervient à quelques heures d'une rencontre prévue entre Mahmoud Abbas et George Mitchell, l'émissaire américain. Néanmoins, avant même son déclenchement, le processus est accueilli avec beaucoup de scepticisme.
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Les Israéliens considèrent aujourd'hui en majorité que, plus le temps passe sans réelle négociation avec les Palestiniens, plus leur situation devient difficile. La notion de «deux Etats pour deux peuples» reste une épine plantée dans le talon d'Israël parce que chacun des protagonistes a du mal à expliciter ce que renferme cette théorie. Au sein même de la coalition gouvernementale israélienne, les deux courants antagonistes s'opposent sans pouvoir faire rejaillir un consensus minimum. Les partisans du Grand Israël et les sympathisants de la gauche admettent aujourd'hui que l'évacuation de la majeure partie de la Cisjordanie devient inéluctable parce qu'ils ont compris que le statu-quo conduit à un Etat binational. Le pays n'aura plus sa spécificité juive compte tenu du taux de natalité bien plus élevé des populations arabes.
Les nationalistes israéliens ont d'ailleurs changé de discours. Ils ne parlent plus d'annexion pure et simple de la Cisjordanie, à l'instar du Golan. Ils sont nombreux à s'inquiéter des conséquences de la présence d'une minorité arabe de plus en plus agissante. Réouven Rivlin, président de la Knesset, est l'un des rares à évoquer à demi-mot une solution qui ne pourra que faire grincer les dents: «Il est préférable d'octroyer la citoyenneté israélienne aux arabes de Judée et de Samarie que de devoir couper en deux le pays.»
Refus du gel des constructions
Mahmoud Abbas joue la montre. Il ne veut pas s'asseoir à la table des négociations tant que Benjamin Netanyahou ne se sera pas engagé à débattre de tous les dossiers, y compris les plus sensibles. Le Premier ministre israélien pensait pourtant faire un acte novateur le 23 avril en proposant la création d'un Etat palestinien dans des frontières provisoires en échange d'un report des débats sur Jérusalem. Il sait que la question tabou de la capitale reste le point central d'achoppement des discussions et qu'il faut l'évacuer à la fin des négociations. En s'attelant aux problèmes qui ont déjà des solutions consensuelles, les négociateurs pouvaient tisser la trame d'un accord progressif impliquant des concessions mutuelles. Mais les Palestiniens n'en veulent pas, surtout après avoir entendu les déclarations de Netanyahou à la télévision:
Il n'y aura pas de gel de la construction à Jérusalem-Est. Le processus de paix ne dépend que d'une chose: que l'on cesse de poser des conditions préalables aux négociations.
Le président de l'Autorité palestinienne ne peut accepter des solutions temporaires parce qu'elles sont refusées par son peuple:
Notre position est très claire. Il n'y aura aucune reprise des négociations sans gel des constructions, non seulement en Cisjordanie mais aussi à Jérusalem-Est.
Il s'est défaussé de la responsabilité de la reprise des négociations sur la Ligue Arabe qui s'est réunie le 1er mai. Le Secrétaire général Amr Moussa a informé que les Etats de la Ligue Arabe ont décidé de soutenir et de donner leur accord à la reprise des négociations avec Israël.
Nouveau geste symbolique
Netanyahou a négocié en coulisses avec George Mitchell, lors de son dernier déplacement en Israël, en cherchant à le convaincre de compenser le gel des constructions par la levée de barrages en Cisjordanie, la libération d'une vague de prisonniers, le retrait de l'armée de nouvelles villes et par l'allègement du blocus de Gaza. Il aurait même accepté de ferrailler avec l'aile droite de sa coalition en rouvrant certaines institutions palestiniennes à Jérusalem-Est, en particulier la Maison d'Orient, sorte d'ambassade de l'Autorité palestinienne. Il avait accepté par avance le risque d'un geste symbolique pouvant être interprété comme un droit implicite donné aux arabes sur une partie de Jérusalem.
Sa nouvelle offre ne contient pas d'avancées notables puisqu'elle reprend, à quelques détails près, son discours du mois de juin à l'Université de Bar Ilan. Elle a cependant l'avantage d'être suffisamment nébuleuse pour donner lieu à toutes les interprétations et permettre la reprise immédiate de pourparlers pouvant mener à un semblant d'accord. Mais, le refus palestinien de se joindre, sans conditions, aux discussions est ferme. Il s'explique par deux raisons. D'une part, le Premier ministre israélien hésite à donner au nouvel Etat palestinien les attributs d'un pays indépendant. Netanyahou accepterait seulement un «territoire alloué aux Palestiniens sans armée, sans contrôle de l'espace aérien, sans monnaie, sans entrée d'armes et sans possibilité de nouer des alliances avec l'Iran ou le Hezbollah». Mais cette base de discussion n'est pas à la hauteur des prétentions palestiniennes.
D'autre part, le Premier ministre palestinien Salam Fayyed poursuit sa propre idée qui consiste à d'abord consolider l'économie palestinienne pour acquérir une certaine indépendance vis-à-vis d'Israël. Il tient à sa déclaration unilatérale d'indépendance de la Cisjordanie en août 2011. «Nous ne renonçons pas à des négociations comme moyen pour créer un Etat mais, si nous n'y arrivons pas, nous nous réservons la deuxième possibilité de transformer notre rêve en réalité.» Les occidentaux ne le suivront pas dans son projet en raison notamment d'une impossibilité juridique. Les accords d'Oslo signés en 1995 stipulent qu'Israël et l'Autorité palestinienne «s'engagent à ne pas prendre de mesures unilatérales». L'indépendance décrétée par Fayyed constituerait donc une violation de ces règles et pourrait alors frapper de nullité les accords d'Oslo et la légitimité même de l'Autorité palestinienne qui en découle.
Le Premier ministre palestinien, conscient de ce blocage juridique, veut cependant passer en force pour obliger les Américains à être plus actifs. Il prouve sa détermination en décidant d'organiser des élections locales le 17 juillet 2010 en Cisjordanie, mais aussi à Gaza sans tenir compte de l'opposition du Hamas. Il refuse de se comporter en chef militaire mais en leader politique capable de modeler un Etat grâce à des actes concrets sur le plan économique et politique. Il se dessine une image de révolutionnaire pacifique qui a réussi à réformer l'économie palestinienne en lui donnant une croissance à deux chiffres et qui est parvenu à éradiquer la bureaucratie et la corruption. Il a convaincu les arabes israéliens de traverser la «ligne verte» et de se fournir dans ses propres centres commerciaux pour y favoriser la consommation et gonfler les réserves financières de l'Autorité palestinienne. Le Trésor israélien fait d'ailleurs preuve d'une certaine générosité en n'exigeant pas le versement de la TVA, plus de 280 millions de dollars, afférente à ces achats «étrangers».
Réunification du peuple palestinien
Salam Fayyed pense obtenir, grâce à sa réussite économique, les galons d'homme d'Etat capable de prendre des décisions dramatiques pour restaurer son autorité à Gaza. Il peut choisir la méthode démocratique d'élections qui n'auraient pas les faveurs des dirigeants du Hamas parce qu'ils ne sont pas prêts à se défaire d'un territoire géré avec une poigne de fer. Le choix de la méthode forte comporterait plus de risque mais aurait l'avantage, en cas de réussite, de crever l'abcès du conflit Fatah-Hamas et de réunifier le peuple palestinien. Il aurait besoin pour cela d'une autorisation conjointe israélo-égyptienne qui serait donnée à la police palestinienne pour traverser en force le terminal de Rafah en direction de Gaza, comme l'avait fait jadis Yasser Arafat quand il avait voulu restaurer son pouvoir sur la bande. Mais ce conflit armé risque de dégénérer en embrasement général de la région car il est probable que le Hamas retournera ses armes contre Israël en l'accusant d'avoir suscité ou aidé ce putsch.
La proposition de Netanyahou de reprendre les négociations tend uniquement à montrer sa bonne volonté vis-à-vis des Américains. Mais en échange, il attend d'eux qu'ils prennent une position plus ferme contre l'Iran et contre la Syrie qui joue sa partition par Hezbollah interposé. Il engage ici sa dernière tentative pacifique pour isoler l'Iran de ses alliés palestiniens afin que les Etats-Unis n'attendent pas en vain le bon vouloir des membres de l'ONU.«Nous préférerions que les Etats-Unis mènent la lutte contre l'Iran, mais Israël se réserve toujours le droit de se défendre».
Pessimisme ambiant
Mahmoud Abbas est contraint de refuser les propositions israéliennes parce qu'elles sont inacceptables par tous les clans palestiniens. Il préfère donc que les Américains lui imposent leur propre plan de paix pour donner l'impression qu'il subit des pressions américaines fortes auxquelles il ne peut résister. Il a d'ailleurs envoyé un message clair en ce sens à Barack Obama pour lui demander, qu'à l'occasion de sa visite en mai à Washington, un nouveau projet américain lui permette d'accepter, contraint et forcé, des négociations indirectes. George Mitchell arrive à nouveau en Israël dans la semaine et les diplomates pensent qu'il est porteur de nouvelles propositions contraignantes pour les deux parties. De son côté, Benjamin Netanyahou sait aussi que son parti ne le suivra pas, ni dans les concessions et ni dans une éventuelle division de Jérusalem. D'ailleurs ses faucons de droite se manifestent déjà et se comptent aux réunions du comité central du Likoud.
A moins d'une révision déchirante des deux protagonistes, aucun accord ne semble en vue tandis que le statu quo perdurera à la grande joie des palestiniens et des partisans du Grand Israël. Barack Obama est quant à lui trop empêtré en Afghanistan pour imposer sa pax americana. Le pessimisme règne donc parmi les intellectuels israéliens au point que deux politologues, de tendance opposée, soient parvenus à un consensus. Les professeurs Emanuel Navon, membre du Likoud et Denis Charbit, étiqueté à gauche, sont sceptiques sur la volonté des Palestiniens de parvenir à un accord définitif et ont donc conclu que la séparation devient inévitable dans l'intérêt de l'Etat juif. Ils souhaitent que le gouvernement israélien, après un préavis d'une année stérile en discussions, utilise le mur de séparation comme frontière pour la création unilatérale d'un Etat palestinien.
Cette séparation permettrait à Israël de se confronter dorénavant à un Etat et non pas à un groupement d'organisations terroristes. Elle pourrait être aussi l'occasion à des villes arabes israéliennes, limitrophes du mur, d'être intégrées à la Palestine ainsi créée. Les jeunes arabes israéliens de ces villes semblent avoir manifesté ce choix après avoir arboré à plusieurs reprises, en toute liberté, le portrait d'Hassan Nasrallah affublé des drapeaux du Hamas et du Hezbollah confirmant ainsi que la rupture avec Israël était totalement consommée.
Jacques Benillouche
Photo: novembre 2009, à Gaza. REUTERS/Suhaib Salem