Parents & enfants

Comment j'ai décidé de dire «oui» à tout ce que me demandaient mes enfants

Temps de lecture : 6 min

J'ai eu peur que toutes les restrictions liées au Covid finissent par influencer mon cerveau. Il est temps de se préparer à la liberté à (re)venir.

Dans un monde où notre liberté a été restreinte, c'est un soulagement de pouvoir dire aux enfants «oui, allez-y, faites ce qui vous plaît». | engin akyurt via Unsplash
Dans un monde où notre liberté a été restreinte, c'est un soulagement de pouvoir dire aux enfants «oui, allez-y, faites ce qui vous plaît». | engin akyurt via Unsplash

Je suis dans un tel état psychologique que je m'identifie aux personnages de films pour enfants de Netflix. Je pense que cette indication me situe assez bien sur l'échelle de la fatigue.

Il n'empêche, ce film a vraiment résonné en moi.

Ça s'intitule Yes Day et je ne peux honnêtement pas dire qu'il s'agit d'un chef-d'œuvre qui révolutionne le 7e art.

Mais ses vingt premières minutes ressemblent à la mise en image parfaite de ce que j'ai tenté d'expliquer à plusieurs personnes ces derniers jours.

On y voit quoi dans ce film? Jennifer Garner qui nous raconte comment elle a toujours été une personne qui disait oui, une personne ouverte à l'aventure, pleine d'envies, prête pour les surprises. Et puis, elle s'est mariée, elle a eu des enfants et son grand «oui» à la vie s'est transformé en une litanie de «noooon».

C'est précisément ce que je ressens en ce moment. Au début, quand les enfants commencent à ramper et à attraper, on prononce, sans s'en rendre compte, quelques «non» doux mais fermes. Et puis, plus leurs capacités psychomotrices (et leur obstination) progressent, plus on multiplie les «non».

Ce qu'on ne raconte pas assez, c'est l'étape d'après. Celle qui m'a vraiment épuisée. Qui m'épuise encore.

L'étape suivante, c'est la prise de décision permanente. La période où les gentils enfants, à force qu'on leur dise «non», ont compris qu'il valait mieux demander avant de faire et conséquemment passent leur journée à vous bombarder d'interrogations. «Je peux prendre un bonbon? Je peux prendre ma douche demain? Je peux faire mes devoirs plus tard? Je peux reprendre un laitage? Je peux aller au bout du parking? Je peux envoyer un message à mon copain?»

Vous allez me dire qu'ils sont bien élevés et vous demander où est le problème. Alors d'abord, il semblerait que j'ai réduit leur niveau d'autonomie à peu près à zéro à force de dire «non». Ensuite, j'ai généré une situation de parentalité intensive dans laquelle ils sont tout le temps en train de me solliciter.

Mais ce qui me pose vraiment un problème, c'est la surcharge cognitive liée à la nécessité de décider autant de choses. Déjà, moi, je n'aime pas trop prendre des décisions. Ou alors si, mais des décisions radicales, des trucs qui potentiellement peuvent changer votre vie. Je m'intéresse assez peu aux décisions quotidiennes, du genre «on mange quoi ce soir?». Choisir, décider, trancher me fatigue. J'ai passé des années de vie de couple à répondre alternativement «je sais pas» et «comme tu veux». Sauf qu'aucune de ces deux phrases ne fonctionne avec les enfants.

Mais là, en prime, il y a 1. le fait que l'enfant reste planté devant vous et attend une réponse immédiate, 2. il est capable de répéter la question jusqu'à obtenir une réponse. Tout cela me met une pression dingue.

Et en plus, comme si cela ne suffisait pas, j'ai peur de me tromper de réponse et de le regretter amèrement. Comment cela est-il possible?

La réponse va influer sur le cours des choses

Vous allez comprendre avec un exemple concret. Prenons une question récurrente. Je suis dans la cuisine en train de préparer le dîner. Autant dire que mon degré de saturation est déjà maximal puisqu'il a fallu que je prenne une décision nulle, à savoir le menu. Et puis, faire à manger tous les soirs m'est extrêmement pénible. En général, précisément au moment où vous êtes en train d'enlever du feu la casserole d'eau et de pâtes bouillantes, l'enfant arrive dans la cuisine, ce qui vous force à lever la casserole à deux mains pour la passer au-dessus de sa petite tête, et c'est assez acrobatique. Et alors que vous égouttez vos spaghettis, il vous demande d'une voix charmante: «Je peux regarder la tablette?»

Vous êtes occupée, vous n'avez pas envie de négocier et franchement, ça vous arrangerait que la créature ne reste pas au milieu de la cuisine. Donc vous avez envie de répondre «oui». Mais mon cerveau, lui, entraîné par des années de parentalité, anticipe la suite. Je vois qu'on va manger d'ici 12 minutes, que son épisode durera au mieux 20 minutes (au pire 38), donc qu'il n'aura pas fini au moment de passer à table et qu'il va se mettre à hurler et faire la gueule parce que je l'aurais empêché de regarder la fin, ensuite il va y avoir une ambiance horrible pendant le repas et la suite de la soirée va aller de mal en pis. J'ai toujours la main sur la passoire mais avec mon extraordinaire don extralucide, je peux me projeter dans un avenir où, une heure plus tard, l'enfant me jette le tube de dentifrice au visage et balance son pyjama dans la cuvette des toilettes parce que j'aurai dit «oui» au dessin animé.

Bien sûr, le piège, c'est qu'il n'y a pas vraiment de bonne réponse parce que si je dis «non», il est possible qu'il parte en criant dans sa chambre et renverse méthodiquement ses bacs à jouets.

Mais le souci, c'est que cette scène se reproduit une multitude de fois dans la journée. Derrière chaque question des enfants, j'entrevois des calculs ultra-complexes sur des univers parallèles où j'essaie d'équilibrer les forces qui régissent le monde et le psychisme des enfants.

Il me demande «Je peux regarder la tablette?»
Et moi je suis comme ça:

Le plus simple, à titre préventif, c'est souvent de dire «non».

Mais alors on devient Jennifer Garner dans Yes Day (on y revient, oui). On dit tout le temps «non» à tout.

J'ai bien sûr tenté des «comme tu veux, mais je te préviens, on passe à table dans dix minutes» mais sans trop de succès, l'enfant étant alors trop heureux pour anticiper la frustration qu'il va ressentir.

Alors, j'ai commencé à lâcher.

J'ai commencé à dire «oui».

Et si c'était eux qui nous indiquaient la voie?

Quand je l'ai appelé pour manger et qu'il m'a demandé «Je peux regarder la fin de mon dessin animé?» j'ai dit «oui».

Il a levé une tête circonspecte. Lui-même avait du mal à y croire. Il se demandait où était le piège. Il n'y en avait pas.

Oui, tu peux prendre ta douche demain. Oui, tu peux aller au bout du parking. Oui, tu peux envoyer un message à ton pote. Oui, tu peux reprendre un laitage si tu as faim mais il y a aussi des pommes. Oui, tu peux faire tes devoirs après. Mais non, tu ne prends pas un bonbon.

J'ai compris que maintenant, mon problème était d'apprendre à leur dire «oui». Après des années à interdire, il était temps de desserrer l'étau et de leur faire confiance. Cette histoire d'âge de raison à 7 ans n'est pas sans fondement. À partir de là, on commence à revoir ses «oui». Ce qui est difficile, c'est de doser ce qui était «non» et peut devenir «oui». À partir de quel âge ils peuvent rester un peu seuls à la maison? À partir de quand ils vont à la boulangerie sans adulte?

Et si, pour cela, c'était eux qui nous indiquaient la voie? En plus, la plupart du temps, ils ne demandent rien de dingue, parce qu'on ne les a pas si mal éduqués pendant des années. Même pour un yes day (un jour dans l'année où, après avoir posé certaines règles de sécurité, les parents disent «oui» à tout ce que veulent faire les enfants), je suis certaine que ce ne serait pas extravagant. (C'est d'ailleurs ce que confirme Jennifer Garner qui pratique la chose depuis neuf ans avec ses enfants, d'où l'idée du film. Elle explique qu'ils voulaient se coucher tard, s'asseoir à la place conductrice de la voiture, et acheter des tickets de Loto.) Et je me dis que le chemin vers l'adolescence, ça va être, aussi, ça. Ouvrir une série de «oui».

La vie n'est pas qu'une série de restrictions dans un monde hostile

J'imagine que c'est un chemin que font tous les parents. Mais il a une connotation particulière en ce moment. Parce que nous vivons une époque où nous, les adultes, on nous dit «non» à tout. Non, on ne peut pas dîner avec nos amis, non on ne peut pas faire la fête, non on ne peut pas aller prendre un café, non on ne peut pas aller au cinéma.

Non, non, non.

Ou alors peut-être, plus tard, sous certaines conditions qui restent à définir.

À titre personnel, j'ai peur que ces interdictions finissent par influencer mon cerveau. Que ma première réaction à tout soit: non, pas possible, trop dangereux/compliqué. Que je sois contaminée par une sorte d'autocensure permanente, alors que le sentiment de liberté était sans doute la drogue la plus puissante que j'ai testée.

Alors, dans un monde où notre liberté a été à ce point restreinte, c'est un soulagement très personnel de pouvoir dire aux enfants «oui, allez-y, faites ce qui vous plaît». Je me dis que c'est nécessaire de leur apprendre que, contrairement à ce qu'ils pourraient croire en regardant le monde des adultes en ce moment, la vie, ce n'est pas qu'une série de restrictions dans un monde forcément hostile et dangereux. Et en leur disant «oui», peut-être que je me réentraîne aussi un peu à cette liberté qu'on a perdue si facilement.

Ce texte est paru dans la newsletter hebdomadaire de Titiou Lecoq.

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