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«Je suis peut-être un peu plus méfiant que la moyenne. Dans un parc, je ne vais jamais lâcher mon fils des yeux. C'est idiot, mais c'est ce qu'on appelle une déformation professionnelle.» Si Guilhem est si prudent, c'est qu'il a côtoyé les pires horreurs: meurtres, viols, trafic de drogue et même catastrophes naturelles. Et pour cause, son travail était de les raconter.
Ancien «fait-diversier» (c'est ainsi que l'on désigne les journalistes en charge des faits divers dans le métier), Guilhem raconte sa longue carrière au micro de Julie Marcelline Pujol dans Nude, podcast de témoignages intimes tout à fait réjouissant. Dans cette série intitulée «L'envers du fait divers», l'auditeur plonge dans les coulisses du métier de fait-diversier et dans les souvenirs d'un homme qui s'était jusque-là interdit toute introspection.
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Tombé dans la marmite
Au fur et à mesure des sept épisodes de cette série –la plus longue publiée par Julie Marcelline Pujol, plus habituée aux entretiens en une ou deux parties– Guilhem fend l'armure qu'il a mis tant d'années à se forger. Marqué dès son premier stage par l'attentat de la station RER de Saint-Michel, ce fils de magistrat pas très assidu à l'école a une révélation en couvrant cet événement choquant.
«Cet attentat m'a permis de comprendre que j'étais capable d'ouvrir un tiroir dans mon cerveau, de ranger ce que je voyais et de le supporter. Pour moi, c'est un véritable déclencheur: je sais que je suis fait pour ce métier, que je vais pouvoir affronter la souffrance des uns et des autres pour pouvoir faire mon métier. Je suis en mesure de survivre après ça», raconte-t-il dans le premier épisode. Suite à un stage, le jeune homme intègre une rédaction.
Au fil de sa carrière, Guilhem est envoyé en reportages pour couvrir des faits presque toujours tragiques: disparition du vol TWA-800 au large de New York, disparition de la famille Godard, sauvetage d'un groupe de spéléologues coincés sous terre pendant dix jours, avalanche meurtrière… Passionné par son métier, le jeune homme est prêt à tout pour faire ses armes et ramener un scoop.
«Ce qui m'excitait dans ce métier c'était d'aller au bout du bout pour avoir le témoignage, la déclaration, l'info que je cherchais. J'ai été formé par des derniers des Mohicans: les journalistes qui m'ont tout appris avaient 60 ans, ils avaient vécu l'âge d'or du journalisme. Il n'y avait pas internet, pour avoir des infos ils faisaient tout. Des photographes avec qui je travaillais m'expliquaient qu'ils étaient allés jusqu'à se planquer dans des placards du 36, quai des Orfèvres pour entendre ce qui se disait! C'était des filous! Et comme j'avais été formé comme ça, pour moi c'était normal», explique Guilhem.
Fuite en avant
Rien n'arrête le jusqu'au-boutiste qui délaisse beaucoup ses proches pour sillonner la France au gré des affaires vendeuses. «Je le regretterai par la suite parce que, évidemment, un jour mon amie me dit que ça ne mène à rien et que c'est préférable d'arrêter. C'est quand ça me tombe dessus que je me dis que j'aurais peut-être dû faire les choses différemment. Le journalisme, tu le vis comme tu veux: moi je l'ai vécu comme une maîtresse.» Une maîtresse qu'il finira par délaisser bien malgré lui à la fermeture du dernier titre pour lequel il travaillait. Une rupture difficile, qu'il prend malgré tout avec philosophie: «Ce n'est pas plus mal, je pense avoir fait le tour du monde des faits divers [...]. Si ça avait continué, peut-être que j'aurais été dans une répétition permanente de ce que je faisais. Pour moi, ça a été une aubaine», dit-il à posteriori.
Passant des faits à l'émotion, Guilhem se livre avec difficulté au micro de la journaliste, dont le travail de montage et de mise en sons est à saluer. Moins haut en couleur que celui de Philippe Pujol (qui s'était livré au même exercice dans l'excellente série «Désordres ordinaires» de Binge Audio), cet entretien a l'intelligence de soulever la question de l'aspect psychologique qui entoure cette profession hors du commun dans une témoignage que l'on sent cathartique pour l'ex-journaliste.