«C'est compliqué» est une sorte de courrier du cœur moderne dans lequel vous racontez vos histoires –dans toute leur complexité– et où une chroniqueuse vous répond. Cette chroniqueuse, c'est Lucile Bellan. Elle est journaliste: ni psy, ni médecin, ni gourou. Elle avait simplement envie de parler de vos problèmes. Si vous voulez lui envoyer vos histoires, vous pouvez écrire à cette adresse: [email protected]
Vous pouvez aussi laisser votre message sur notre boîte vocale en appelant au 07 61 76 74 01 ou par Whatsapp au même numéro. Lucile vous répondra prochainement dans «C'est compliqué, le podcast», dont vous pouvez retrouver les épisodes ici.
Et pour retrouver les chroniques précédentes, c'est par là.
Chère Lucile,
Je ne me sens pas intégrée et, de fait, à l'aise avec les amis, «la bande», de mon amoureux. Cela va faire dix mois que nous sommes ensemble, c'est quelqu'un de sociable, qui vit en colocation avec ses amis dont il est très proche. Leur maison est un espace d'accueil, de fêtes et de bons repas partagés. Cadre idyllique à la campagne et près de la mer, seulement, les jours précédant ma venue, j'appréhende…
Rien n'a jamais été dit, mais je ne me sens pas intégrée, à l'aise, vraiment accueillie par certaines personnes. Par exemple, je remarque que mon avis ne compte pas dans le choix d'un film; en soirée, je peux me sentir un peu seule; le matin, quand je me réveille, je traîne au lit avec mon amoureux pour ne pas avoir à descendre toute seule au salon… Pourtant, j'avais envie d'être accueillie, faire partie de la bande, être la «nouvelle copine super», c'est peut-être aussi l'égo qui parle. Je suis quelqu'un qui, pour m'ouvrir aux autres, à besoin de sentir un élan en face, une toute petite attention et hop, je me sens bien. Si je ne le sens pas, j'ai tendance à me positionner en recul, en vilain petit canard, ça m'est déjà arrivé au lycée, de ne pas me sentir intégrée au premier abord, et du coup me mettre en retrait le reste de l'année, aussi par timidité.
Quand je suis dans cette colocation, je suis dans la retenue, je me fais discrète, n'ose pas donner mon avis, faire de l'humour… Ce n'est pas horrible non plus, il y a quand même certains moments agréables où je lâche un peu prise, mais n'empêche que ça me mine. Je vois les mois défiler, alors que je pensais que cela passerait avec le temps.
Le problème aussi, c'est que c'est confus. Je ne sais pas si c'est ma vision et qu'il n'y a pas de souci de leur côté ou, au contraire, si je ressens cela, c'est qu'il y a un souci de leur côté…
Bref, je cogite et ça n'aide pas. J'ai vaguement essayé d'en parler à un des membres de la colocation à une soirée, mais ce n'était pas le bon contexte, la bonne heure, je ne sais pas s'il a vraiment compris. Quant à mon amoureux, le sujet revient régulièrement dans nos conversations, mais ça reste toujours un peu flou et je n'ai jamais osé lui demander de les sonder à ce sujet. À ce stade, je me dis qu'il faudrait peut-être leur en parler à tête reposée, si oui comment? Rien que l'idée me gêne…
En tout cas, sur le long terme, si je ne trouve pas un certain apaisement vis-à-vis de cette situation, j'ai peur que cela joue sur ma relation, étant donné qu'il veut vivre en communauté avec ses amis dans le futur. Si tu as un conseil, un retour d'expérience, je suis preneuse.
Emmeline
Chère Emmeline,
Je comprends que le sujet vous importe puisque c'est en relation directe avec les projets de vie de votre compagnon, et donc potentiellement les vôtres. Mais vous ne pourrez jamais vous intégrer totalement au groupe comme si vous aviez partagé les mêmes années d'amitié, les mêmes souvenirs, les mêmes épreuves et les mêmes joies.
Vous devez imaginer que la relation qui existe désormais entre votre compagnon, ses colocataires et vous vient à peine de débuter. C'est une nouvelle relation avec un nouvel élément, vous. Moins que l'angoisse de ne pas trouver une place dans une histoire préexistante, vous devriez vous concentrer sur la place que vous pouvez créer pour vous dans ce nouveau schéma. Vous ne pourrez pas les empêcher de faire des private jokes ou des références à des moments où vous n'étiez pas là, peut-être même à des moments où votre compagnon était avec une autre femme.
Ce ne serait pas très sensible à votre égard mais c'est possible. Ce dont vous avez besoin, c'est d'être rassurée par une histoire qui s'écrit avec vous. Comment? Probablement pas en convoquant un conseil de guerre ou en expliquant à votre compagnon que vous ne vous sentez pas intégrée. Enfin, rien ne vous empêche de lui en parler, mais il est possible qu'il ne sache juste pas comment changer cet état de fait et que cela le mette dans une situation compliquée où il se sentirais obligé de faire un choix entre eux et vous.
Ce dont vous avez besoin, c'est de partager des choses avec ces gens, comme si cette histoire venait réellement de commencer. C'est en organisant des moments partagés, en instaurant de nouveaux rituels, en contribuant à créer des souvenirs, que vous trouverez une place, votre place. Je parle évidemment dans le cas où vous auriez une réelle envie et un besoin fort de vous intégrer à cette bande de personnes. Ce n'est jamais obligatoire de s'intégrer parfaitement avec les amis de son conjoint ou de sa conjointe quand on commence une nouvelle histoire d'amour. C'est appréciable mais ce n'est pas une étape obligée. Je précise qu'il en va de même pour les parents du conjoint. Personne n'a l'obligation de se lancer dans une vaste opération séduction des proches de son conjoint parce que ce serait une condition sine qua non à la pérennité de la relation. Vous vous rendez compte de la pression et de la charge mentale que cela représenterait?
Vous, ici, vous désirez, et c'est compréhensible, vous sentir bien auprès de gens avec qui vous devrez peut-être partager un projet de vie. Alors mon conseil est le suivant: impliquez-vous dans ce projet de vie. Vous ne pourrez pas réécrire l'histoire et les années qu'ils ont partagées ont été et seront toujours sans vous. Sur le papier, il n'y avait pas besoin de rajouter un personnage à l'histoire. Mais vous êtes là, et vous voulez qu'on vous apprécie et qu'on vous respecte.
Je ne vous dis donc pas de vous forcer à créer des liens avec chacune de ces personnes individuellement mais bien de partager des choses qui seront vos propres souvenirs avec eux et leurs propres souvenirs avec vous. C'est un changement d'état d'esprit, tout simplement. Si vous n'avez pas de place dans le passé, vous avez une place dans le présent et le futur. Et c'est une place qu'il vous incombe de trouver toute seule sans chercher une quelconque perfection. Soyez vous-même dans cette relation nouvelle, sans mensonge et sans effacement et naturellement, vous ferez partie du décor. Et quand, dans quelques mois, on dira «tu te souviens de cette soirée?» ou «tu te souviens de ce week-end?», vous pourrez sourire parce que vous y étiez et que vous serez donc incluse. Vous avez déjà une place en réalité. Il vous manque juste les souvenirs.
«C'est compliqué», c'est aussi un podcast. Retrouvez tous les épisodes: