Culture

Les meilleurs stand-up en streaming pour se marrer seul chez soi

Temps de lecture : 11 min

L'occasion de faire une provision de blagues trash et de réfléchir en profondeur sur l'existence.

Hannah Gadsby dans son spectacle Douglas, diffusé sur Netflix. | Capture d'écran via YouTube
Hannah Gadsby dans son spectacle Douglas, diffusé sur Netflix. | Capture d'écran via YouTube

Selon toute vraisemblance, les premières salles de spectacle pourraient rouvrir leurs portes le 19 mai prochain, l'État français ayant visiblement décidé que la lumière était désormais au bout du tunnel. Une décision pour le moins contestable, mais dont on peut comprendre que les artistes se réjouissent.

Plus l'échéance se rapproche, plus l'impatience risque de monter. Dans cette optique, la sélection de spectacles de stand-up ci-dessous, tous disponibles en ligne, saura certainement combler les derniers jours d'attente avant de retrouver des humoristes sur scène. L'occasion de se rappeler que le stand-up a dépassé le stade de la simple compilation de punchlines, et ce, depuis bien longtemps.

En France comme aux États-Unis, les humoristes se plient en quatre pour nous offrir des points de vue singuliers et clairvoyants sur l'existence. C'est un fait: le stand-up peut à la fois faire mal aux zygomatiques et beaucoup de bien à l'âme.

Daniel Sloss, affreux jojo existentiel

Il ressemble comme deux gouttes d'eau à Macaulay Culkin, gémellité dont il s'amuse lui-même au détour d'une réplique. Comme le Kevin de Maman, j'ai raté l'avion!, on lui donnerait effectivement le bon dieu sans confession, alors qu'il est en fait une petite terreur construite sur des traumas. Daniel Sloss est un sale gosse, mais un sale gosse de talent.

Ses deux derniers spectacles, Dark et Jigsaw, sont disponibles sur Netflix. Si on y trouve hélas quelques saillies gratuites et dispensables (dont quelques considérations sur l'obésité aux États-Unis), la noirceur de l'ensemble fait jubiler autant qu'elle chamboule. Dark s'attarde notamment sur le handicap de sa sœur et sur l'humour teinté d'amour avec lequel sa famille et lui ont tenté de gérer les épreuves de la vie. C'est aussi cruel que salvateur.

Dans Jigsaw, Sloss interroge notamment notre obsession du couple, ainsi que notre façon de nous convaincre que nous avons trouvé l'âme sœur à 10 kilomètres de chez nous, alors qu'il y a près de 8 milliards d'humains sur Terre. Et il le fait avec tant de clairvoyance que des milliers de couples ont rompu après avoir vu son spectacle. Cela pourrait être une blague mais c'est parfaitement sérieux.

Il y a à prendre et à laisser dans le contenu des shows de Daniel Sloss, mais ses spectacles nous apportent tout ce qu'on peut attendre d'une heure de stand-up: des rires inattendus (lorsqu'il conseille de s'épiler le sillon interfessier) et des leçons de vie qui ne nous quitteront pas de sitôt.

Sarah Silverman, crever l'abcès

Du trash et du fond: Sarah Silverman ratisse large dans son show A Speck of Dust, disponible sur Netflix. Il faut dire que la comédienne est à l'aise dans tous les domaines. En une heure et des poussières, tous les fluides corporels sont évoqués... ce qui n'empêche pas le spectacle d'être éminemment politique.

De plus en plus engagée politiquement (elle soutient notamment Bernie Sanders lors de ses deux campagnes présidentielles), Silverman utilise sa vie militante comme moteur d'une radiographie de cette Amérique dans laquelle elle ne se reconnaît pas toujours, mais dont elle maîtrise les luttes intestines. Le récit de son face-à-face avec des militantes texanes anti-IVG vaut son pesant de cacahuètes.

Si la mort et la maladie ne sont pas un passage obligé absolu pour réussir une heure de stand-up, A Speck of Dust aborde ces extrémités, et pour cause: Sarah Silverman y raconte comment une épiglottite (laryngite susceptible d'obstruer totalement les voies aériennes) a failli lui coûter la vie. On comprend alors mieux pourquoi celle qui n'a jamais caché qu'elle était chroniquement dépressive semble si heureuse de remonter sur scène pour raconter cette histoire. Et tellement d'autres.

Bo Burnham, roller coaster

En attendant son prochain Netflix special enregistré sans public, Inside, qui devrait débarquer avant la fin de l'année, on peut continuer à se régaler de l'unique Make Happy, qui fait rire, secoue et déconcerte. Bientôt à l'affiche de Promising Young Woman (qui devrait sortir le 26 mai) aux côtés de Carey Mulligan, Bo Burnham a également réalisé un formidable long-métrage, Eighth Grade, disponible sur Netflix. Ce type sait tout faire.

Tout en sautes de rythme et en dérapages contrôlés, ce spectacle ne va jamais où on l'attend. Burnham alterne des séquences musicales (hip-hop, country, ballades au piano) avec des morceaux de stand-up souvent brefs, le but étant de créer autant de rires que d'inconfort. Très maîtrisé, l'ensemble donne le tournis, révélant en filigrane la personnalité d'un jeune homme hyperactif et mélancolique (c'est un euphémisme).

Certains passages de Make Happy fonctionnent mieux que d'autres, mais c'est le lot de ce genre de spectacle qui rebondit en permanence, prend des risques et fait exploser les codes. Contrairement à des tas de shows à usage unique, celui-ci peut se voir à de nombreuses reprises tant son sens du rythme et sa direction artistique subjuguent encore et encore. «Sur une échelle de 1 à 0, êtes-vous heureux?», chante Bo Burnham en clôture de cet ovni qui remue positivement.

Patton Oswalt, un effet veuf

Vous l'avez probablement vu dans beaucoup de films et de séries, et entendu sa voix un peu partout (Rémy, le rat de Ratatouille, c'est lui). Mais Patton Oswalt est aussi un auteur multicartes (il écrit même des comic books) et un stand-upper réputé, dont trois spectacles sont disponibles sur Netflix. Le plus marquant se nomme Annihilation, spectacle datant de 2017 dans lequel il commence par égratigner l'administration Trump avant de se rabattre sur des sujets moins attendus.

Il y a du trash chez Oswalt, comme lorsqu'il s'imagine pitcher à ses producteurs un scénario de film pour enfants en n'utilisant que des références à des films pornographiques. Mais le plus mémorable n'est pas là: un an plus tôt, Michelle McNamara, la femme du comédien, est morte à l'âge de 46 ans, le laissant seul avec leur fille de 7 ans. Là, contrairement au traitement d'un Daniel Sloss, il n'est plus question d'humour noir. Juste d'essayer de rire un peu à propos d'une pure tragédie personnelle.

Quand Patton Oswalt raconte comment il s'y est pris pour annoncer à sa fille la mort de sa maman, puis sa stratégie pour lui faire oublier l'existence de la fête des mères, c'est l'attendrissement qui prime. Mais le rire n'est jamais loin, revenant progressivement et à pas de loup, comme après un deuil. On avait mal aux abdominaux d'avoir trop ri, et voilà qu'Oswalt nous colle un direct au foie: sacrée expérience.

Hannah Gadsby, aimer ce que nous sommes

Pour Hannah Gadsby, il y a eu un avant et un après Nanette. Proposé en 2018 par Netflix, le spectacle de la comédienne australienne a fait l'effet d'une bombe dans le monde du stand-up. Partant d'un postulat classique (faire rire à propos d'événements souvent tragiques ayant marqué son parcours de vie), le spectacle se muait progressivement en un cri rageur brandi en direction d'une société patriarcale responsable des violences subies par les femmes et les minorités de genre.

Dès le début de son dernier stand-up, également disponible sur Netflix, Gadsby prévient: l'essentiel de ses traumatismes ayant été abordé dans Nanette, ce nouveau show nommé Douglas empruntera des pistes résolument différentes. Ce qui ne l'empêche pas de mettre un sérieux coup de pied dans la fourmilière patriarcale, en dispensant notamment un cours d'histoire de l'art qui montre que certains motifs de la domination masculine semblent être là depuis la nuit des temps.

L'humoriste raconte aussi comment elle a pris conscience qu'elle était autiste, et ce que cela induit dans la façon dont elle perçoit le monde... et dont elle le raconte également. Dans Nanette, elle annonçait tout net qu'il était temps pour elle d'arrêter de faire rire à ses dépens. Moins majeur mais néanmoins riche d'enseignements, Douglas lui permet de poursuivre dans sa nouvelle voie: celle d'une personne prête à revendiquer qui elle est et à partager son regard peu ordinaire sur l'existence.

Tig Notaro, une autre musique

Sacré parcours que celui de Mathilde O'Callaghan Notaro, dite Tig. Le 30 juillet 2012, à l'âge de 41 ans, elle apprenait son double cancer du sein. Le 3 août, dans une salle de Los Angeles, elle en tirait une demi-heure de stand-up d'anthologie, dont seul le son a été enregistré. Disponible sur iTunes puis un peu partout, la piste audio a connu un succès monumental.

Trois ans après, dans Boyish Girl Interrupted, actuellement visible sur OCS, elle évoquait non seulement la mort de sa mère, mais aussi son cancer, terminant sa prestation en révélant au public les cicatrices de sa double mastectomie, comme pour le forcer à cesser de détourner le regard. Un moment puissant et bouleversant.

En 2015, l'artiste, à qui un documentaire entier a été consacré (Tig, visible sur Netflix), a rencontré Stephanie Allynne, une autre comédienne, qui lui a donné deux fils. C'est ce pan-là de son existence que raconte Tig Notaro dans Happy To Be Here, dans lequel elle développe un sens du storytelling bien à part, avant de terminer en musique. Toujours inspirante, toujours inattendue.

Kyan Khojandi, au-delà de «Bref»

Il serait temps d'arrêter de le réduire à Bref.: Kyan Khojandi est aussi et surtout un touche-à-tout visionnaire. Auteur, podcasteur, producteur, réalisateur, celui qui s'apprête à se lancer dans une carrière musicale (un premier titre de son futur album est déjà disponible) est également accro à la scène.

En attendant que son dernier seul en scène Une Belle Soirée reprenne le chemin des salles de spectacle, il est possible de voir gratuitement le précédent stand-up de Khojandi, Pulsions, qu'il a rendu disponible sur sa chaîne YouTube. Dans un spectacle coécrit avec son sidekick Navo, le comédien déroule la liste des pulsions qui animent la plupart des êtres humains, démarrant par le plus trivial pour briser la glace (considérations sur la masturbation) avant de glisser peu à peu vers plus sérieux (ce qui n'empêche pas la bonne vanne).

Comme Patton Oswalt ou Daniel Sloss, Kyan Khojandi laisse une place conséquente au sujet du deuil, parlant de la mort de son père avec profondeur et inventivité. Le final du spectacle, visuellement singulier, laisse tout simplement baba. Un visionnage à accompagner de la lecture du livre illustré par Boulet, qui a mis en images l'intégralité du texte de Pulsions avec le sens de la case qui le caractérise.

Pete Davidson, hagard hagard

Atteint d'un trouble de la personnalité borderline et touché par la maladie de Crohn, Pete Davidson est le fils d'un pompier new-yorkais qui trouva la mort le 11 septembre 2001. L'humoriste n'était alors âgé que de 8 ans. Vingt ans après, Davidson a déjà eu droit à son simili-biopic, The King of Staten Island, coécrit avec son réalisateur Judd Apatow.

Beaucoup de tatouages, beaucoup de drogues, beaucoup de filles: la vie du comédien est marquée par les excès. Dans Alive from New York, enregistré pour Netflix –l'une de ses meilleures blagues concerne justement la plateforme–, il revient sur plusieurs épisodes marquants de sa vie. Le jour où Louis C.K. (qui ne l'aimait pas) a essayé de le faire virer du «Saturday Night Live», sa rupture très médiatisée avec Ariana Grande (et ce qu'elle en a dit en chanson ou en interview)... Beaucoup de grands moments.

Attachant et désabusé, ce beau gosse un peu hagard («J'ai l'expression de quelqu'un à qui on a demandé de faire une division de tête») est le meilleur pote qu'on aimerait avoir: il manie le storytelling autant que l'autodérision, parle de cul mais aussi de sentiments, et parvient lui aussi à évoquer la mort de son père avec un ton qui provoque l'hilarité autant que l'émotion.

Mike Birbiglia, daddy cool

Sourire sympathique, allure bonhomme et chemises moches: a priori, Mike Birbiglia ressemble moins à un pro du stand-up qu'à votre gentil collègue du service comptabilité. Pourtant, le bougre a du savoir-faire, comme le prouvent Thank God for Jokes et The New One, ses deux derniers spectacles, tous deux disponibles sur Netflix.

L'un consiste essentiellement en une réflexion sur l'humour et ses conséquences, l'humoriste détaillant non sans profondeur ce qu'il a retiré de l'attentat de Charlie Hebdo. L'autre revient sur son non-désir d'être père... et sur le chemin qui l'a finalement amené à le devenir quand même.

Le tout est grinçant sans être trash, et souvent plein de tendresse, et avant tout rempli d'amour à l'égard de celle qu'il cite à tout bout de champ: Jen, sa femme. La façon dont il l'évoque rappelle ces moments où Pierre Desproges faisait référence à celle qu'il appelait «la mère de mes enfants»: avec recul, respect et une bonne dose de second degré.

Jen Kirkman, bien des désillusions

I'm Gonna Die Alone (And I Feel Fine): le simple titre du stand-up de Jen Kirkman suffit à démontrer que non, il ne sera guère question de chaleur humaine durant cette heure d'humour. La quarantaine galopante sous des airs de jeune fille, Kirkman revient sur son aversion absolue pour les enfants ainsi que sur l'échec de son mariage avec l'auteur Neil Mahoney (qui est décédé en janvier, soit bien après l'enregistrement de ce show).

Oui, il est possible de trouver le bonheur en dehors des schémas classiques, explique la comédienne. Ce qui ne veut pas dire qu'elle ait trouvé le mode d'emploi pour être heureuse dans sa propre existence. Amer, assez dépourvu de lumière, le spectacle est néanmoins très drôle de par le ton impitoyable de l'humoriste qui n'épargne ni ses semblables ni sa propre personne.

Hanté par la peur du vieillissement, le spectacle disponible sur Netflix commence avec une histoire de poils pubiens grisonnants pour se poursuivre un peu plus loin avec le long récit de cette période au cours de laquelle Jen Kirkman joua les «cougars» (c'est elle qui emploie le terme). On précisera d'ailleurs que le prologue et l'épilogue du show font sans doute partie des plus réussis en la matière, là où ces ajouts désormais traditionnels sont souvent très superflus.

Thomas Wiesel, blues helvète

Dans ce spectacle enregistré en Suisse, le Suisse Thomas Wiesel fait parfois des blagues réservées aux Suisses. Et pourtant, même sans connaître les régions à propos desquelles il ironise, ni le nom des politiciens et politiciennes qu'il égratigne, on rit de bon cœur. Car c'est avant tout par sa froideur apparente et son sens de la formule que l'humoriste helvète se distingue.

Enregistré dans un théâtre de Lausanne, le spectacle (disponible gratuitement sur pasquinade.fr, mais aussi sur sa chaîne YouTube) est loin de ne parler que du pays de l'humoriste. Thomas Wiesel multiplie les considérations sur l'existence, s'attarde sur sa vie sexuelle foireuse, et s'empare de sujets plus sérieux sans rien perdre de son ton distancié.

Le comédien raconte notamment comment il a découvert qu'il était stérile, sans négliger le moindre détail. Il relate aussi ses déboires avec le magazine gratuit d'une chaîne de supermarchés suisse, qui pour célébrer la fête des mères lui a commandé une lettre à sa propre mère... sans savoir que celle-ci était morte sept ans auparavant. Pas là pour faire pleurer sur son sort, l'artiste rend paradoxalement l'ensemble tout à fait lumineux.

Hors catégorie: Natalie Palamides, une perf qui marque

Chemise de bûcheron ouverte laissant apparaître un torse velu, grosse moustache, imposantes lunettes de soleil: Nate débarque sur scène en chevauchant une minimoto. Il y aura des protéines en poudre, des canettes de bière à n'en plus finir, de la bagarre avec un spectateur, bref, tout un attirail destiné à lui permettre de montrer qu'il est un homme, un vrai.

Sauf que Nate est incarné par une jeune femme cisgenre, Natalie Palamides, qui livre une performance jusqu'au-boutiste qui crée l'inconfort dans un premier temps... et la réflexion dans un deuxième. Car si ce qui se produit sur scène atteint souvent des sommets de grotesque (ce qui est totalement voulu), tout est destiné à interroger le rapport de Nate à sa propre masculinité, à la virilité dont il se veut un apôtre, mais aussi aux femmes.

Mieux vaut ne pas en révéler davantage, mais Nate va loin, très loin, et le malaise dans la salle est si palpable qu'il parvient à contaminer celles et ceux qui sont juste installés devant Netflix. L'inclassable spectacle de Natalie Palamides n'a pas grand rapport avec du stand-up, mais il est à recommander à qui aurait déjà épuisé l'ensemble des shows recommandés plus haut.

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