Culture

«For All Mankind», la meilleure série que vous ne regardez pas

Temps de lecture : 5 min

Cette série uchronique sur la NASA réécrit l'histoire de la course à l'espace –et cette fois-ci, les Américains sont à la traîne.

La série présente une vision plus inclusive de la course à l'exploration spatiale. | Capture d'écran For All Mankind via AppleTV+
La série présente une vision plus inclusive de la course à l'exploration spatiale. | Capture d'écran For All Mankind via AppleTV+

Et si les États-Unis n'avaient pas gagné la course à l'espace? Et si la NASA avait toujours un train de retard sur son homologue soviétique? C'est la question fascinante qu'explore la série For All Mankind, dont la deuxième saison est diffusée sur Apple TV+.

Créée en 2019, For All Mankind suit le destin de plusieurs employés de la NASA, astronautes, ingénieurs et bureaucrates, des années 1960 aux années 1980 –pour l'instant: la série n'a pas peur d'aller vite, et qui sait dans quelle décennie elle s'achèvera. Avec ses costumes rétro et sa bande-son vintage, le programme appelle tout de suite les comparaisons avec d'illustres séries d'époque comme Mad Men, Halt and Catch Fire ou encore The Americans.

Sauf qu'il s'agit ici d'une uchronie; une histoire alternative où le premier homme à marcher sur la Lune en 1969… est un Soviétique. Humiliés, les astronautes et employés de la NASA doivent alors redoubler d'intelligence et d'ambition pour tenter de rattraper leur retard sur l'ennemi. De puissance écrasante, les États-Unis deviennent les outsiders de l'histoire, ceux qui vont devoir compenser leur infériorité stratégique par une abondance d'ingéniosité. Et ce que For All Mankind suggère, c'est que la défaite va forcer les États-Unis à se montrer un peu plus humbles.

Une histoire alternative plus inclusive

Dans le deuxième épisode de la série, les Soviétiques sont les premiers à envoyer une femme sur la Lune. Dos au mur, l'administration américaine se sent obligée de rivaliser, et pour ne pas perdre la face, lance à contrecœur un programme de recrutement 100% féminin. Une décision cruciale qui aura un impact sur tout le reste de l'intrigue: en accordant une place plus importante aux femmes et aux minorités, on assiste progressivement à la naissance d'une NASA plus inclusive, loin des white man's clubs, et de plus en plus éloignée de notre réalité à nous.

Alors que la série démarre manifestement du point de vue de deux hommes, les as du programme spatial Ed Baldwin et Gordo Stevens, elle fait très rapidement un pas de côté (une direction également empruntée par l'excellente saison 2 de Halt and Catch Fire), et les intègre à un casting d'ensemble majoritairement féminin.

Dans notre réalité historique, les femmes n'ont eu une réelle place dans l'exploration spatiale qu'à partir des années 1980, et la première femme à marcher sur la Lune n'existe toujours pas. Mais dans For All Mankind, ce sont bien elles qui sont aux manettes. Dans la salle de contrôle, on trouve Margo Madison, une ingénieure sobre et dévouée au fort accent texan. En gravissant les échelons, elle prendra sous son aile Aleida, une jeune immigrée mexicaine dont le rôle dans la série n'apparaîtra clairement qu'après de nombreux épisodes.

Parmi les nombreuses astronautes, on trouve aussi certains des personnages féminins les plus enthousiasmants du moment. La plupart des héroïnes de la série font leur entrée en scène dans l'excellent épisode Les femmes de Nixon (S1E3), celui du recrutement de nouvelles pilotes. Il y a Tracy (Sarah Jones), femme d'astronaute et tête-brûlée, Ellen (Jodi Balfour), une ingénieure lesbienne discrète mais brillante, Danielle (Krys Marshall), la seule femme noire du programme qui travaillait auparavant au service des calculatrices, ou encore Molly Cobb, une pilote arrogante incarnée par l'incomparable Sonya Walger (Lost, Tell Me You Love Me).

Cette dernière est d'ailleurs inspirée par la vraie Jerrie Cobb, apprentie astronaute dans les années 1950 et pionnière qui n'a jamais pu se rendre dans l'espace. Ici, la série la transforme en héroïne captivante et lui offre enfin, en guise de revanche fictive, son voyage vers la Lune. Grâce à son concept uchronique, For All Mankind prend des libertés avec la réalité historique et mêle personnages de fiction et figures réelles: on y croise des astronautes célèbres comme Neil Armstrong, Buzz Aldrin ou Sally Ride, tandis que Deke Slayton, chef des astronautes de la NASA dans les années 1960, est incarné par le toujours excellent Chris Bauer (The Wire, True Blood, The Deuce).

Histoires d'ambition et scènes d'action exaltantes

Mais si la série évoque aisément des œuvres comme Mad Men et Halt and Catch Fire (sans forcément égaler leur génie), ce n'est pas seulement parce qu'elle explore l'histoire du XXe siècle américain, ou parce qu'elle met en avant des personnages de femmes évoluant dans des industries très masculines. C'est aussi et surtout parce que comme ces illustres prédécesseures, For All Mankind nous parle d'ambition dévorante, d'exaltation professionnelle, d'arrogance et de génie.

Les employés de la NASA ne sont pas présentés comme de fervents patriotes, mais surtout comme des personnages fiers et arrogants, qui choisissent sans cesse de sacrifier leur vie personnelle par amour pour leur métier. Comme dans les autres séries citées précédemment, notre allégeance change au fil des épisodes, oscillant entre plusieurs protagonistes faillibles, à la fois antipathiques et admirables, héroïques une seconde et puérils celle d'après.

Et puis For All Mankind, ce n'est pas juste «la NASA, mais avec plus de diversité». On doit la série à Ronald D. Moore, le créateur vénéré de Battlestar Galactica: c'est donc sans surprise qu'on y trouve des considérations géopolitiques conjuguées avec des séquences d'action spatiale haletantes. Une partie de la série se déroule à Houston et dans les locaux de la NASA, l'autre se situe dans l'espace, et même sur la Lune, centre d'intrigues de plus en plus importantes et de plus en plus rocambolesques. Grâce à son modèle uchronique, For All Mankind peut laisser place aux évolutions technologiques et aux missions les plus folles, sans risquer de paraître irréaliste. Une audace narrative qui s'avère grisante, la série faisant preuve de la même ambition que ses personnages: l'intrigue est propulsive et les bonds dans le temps nombreux.

For All Mankind n'est pas sans défauts: malgré son exploration fascinante d'une NASA plus inclusive, ses personnages racisés restent globalement moins développés que le reste du casting. Les débuts de saison, qui placent tous les pions sur l'échiquier, sont souvent les moins intéressants, et la durée des épisodes (plus d'une heure pour certains) peut rebuter, même s'il s'agit d'une des très rares séries où la longueur se fait rarement sentir. Les faux discours de vrais présidents américains, quant à eux, rappellent parfois les heures les plus sombres de Forrest Gump.

Mais à l'heure où le paysage télévisuel est rempli de mini-séries rapidement englouties et de récits de plus en plus courts incarnés par les plus grands noms d'Hollywood, For All Mankind séduit par son ampleur narrative, son excellent casting d'ensemble et son récit profondément sériel. Une série exaltante qui, à force d'inventivité, pourrait bien devenir une grande œuvre.

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