En décembre 2007, le numéro 2 d'al-Qaida, Ayman al-Zawahiri, a répondu à une série de questions posées par les membres d'un forum internet jihadiste. Bien peu nombreux furent ceux qui saisirent la portée de l'évènement: en acceptant d'organiser cette séance de questions-réponses en ligne, le terroriste reconnaissait implicitement que la popularité de son organisation était en chute libre. L'échange ressemblait à s'y méprendre à une manœuvre visant à reconquérir les sympathisants d'al-Qaida. Et c'était bel et bien le cas.
Depuis les attaques du 11-Septembre, les membres de ce groupe terroriste ont tué des milliers de musulmans; rien qu'en 2010, ils ont fait d'innombrables victimes en Irak, et des centaines d'autres en Afghanistan et au Pakistan. Le groupe prétendant défendre l'oumma islamique, ces massacres ne pouvaient que porter un coup terrible à sa crédibilité. Les fidèles étaient en train de perdre la foi qu'ils avaient placée en al-Qaida, et Zawahiri en était pleinement conscient.
La séance de 2007 s'est fort mal passée. Lorsque les internautes lui demandaient comment il pouvait justifier le meurtre de civils musulmans, il restait sur la défensive, se fendant de commentaires difficilement compréhensibles (qui faisaient référence à d'autres déclarations difficilement compréhensibles qu'il avait déjà faites sur le sujet). Une question de ce type fut posée par Mudarris Jughrafiya, un professeur de géographie: «Pardonnez-moi, M. Zawahiri, mais qui tue (avec la bénédiction de votre excellence) les innocents à Bagdad, au Maroc et en Algérie? Le meurtre de femmes et d'enfants est-il selon vous en accord avec le jihad?»
Al-Qaida est donc mal en point —mais attention: un serpent acculé est loin d'être inoffensif. Foreign Policy a donc décidé d'offrir à ses lecteurs la première analyse exhaustive de la situation de l'organisation: le Vade-mecum d'al-Qaida, un compte-rendu détaillé de l'évolution de sa hiérarchie, de ses méthodes et de sa stratégie au cours des dix dernières années; un aperçu, aussi, de ce qu'elle pourrait devenir.
Au fil du dossier se dessine le portrait d'un groupe terroriste avant-gardiste qui, s'il lance de plus en plus d'attaques violentes, est néanmoins en train de perdre la guerre des idées dans le monde islamique.
Ce n'est pas parce que les Etats-Unis sont en train de gagner —la plupart des musulmans ont une très mauvaise opinion des Américains en raison des guerres livrées en terre d'Islam et des affaires de mauvais traitements infligés à leurs prisonniers. Les musulmans se sont tout simplement détournés de la sombre idéologie d'Oussama ben Laden. Entre 2002 et 2009, les opinions favorables du chef terroriste (et des attentats-suicides qu'il préconise) ont chuté de moitié en Indonésie et au Pakistan, les deux pays musulmans les plus peuplés. En Irak, l'impitoyable déchaînement de violence sectaire orchestrée par Abu Musab al-Zarqawi a fait voler en éclat le soutien dont avait pu jouir al-Qaida dans la région, et a entaché sa réputation dans l'ensemble du monde arabe.
Par ailleurs, le jihad n'est pas parvenu à atteindre ses buts principaux. L'objectif premier de Ben Laden était de pousser les pays du Moyen-Orient au changement de régime; de balayer leurs gouvernements, depuis le Caire jusqu'à Riyad, et d'en faire des théocraties sur le mode taliban. Il veut bouter les armées et l'influence de l'Occident hors de cette région, et pense que le fait d'attaquer l'«ennemi lointain», les Etats-Unis, mettra à mal les pays arabes soutenus par l'Amérique (les «ennemis rapprochés»). Mais en dépit de ses dons de leader et son charisme, Ben Laden a provoqué l'inverse de ce qu'il voulait obtenir.
Près de dix ans après les attaques du 11-Septembre, les derniers refuges de Ben Laden dans la chaîne de montagne de l'Hindu Kush sont pris d'assaut, et les soldats américains patrouillent dans les rues de Kandahar et de Bagdad.
Pour autant, si la «guerre contre le terrorisme» semble avoir remporté la victoire, celle-ci est incomplète. Les militants jihadistes menés par Ben Laden se révèlent étonnement résistants, et al-Qaida continue de représenter une sérieuse menace pour les intérêts occidentaux à l'étranger. L'organisation est encore en mesure de lancer une opération pouvant tuer des centaines de personnes, comme le prouve la récente tentative de Noël 2009, sur le vol 253 de la Northwest Airlines. L'histoire nous a appris qu'un ensemble de groupuscules déterminés peuvent faire couler le sang pendant plusieurs années, qu'ils bénéficient ou non du soutien de la population. Les leaders d'al-Qaida pensent certainement que leur lutte épique menée contre l'Occident pour la défense de l'Islam véritable s'étendra sur plusieurs générations.
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Peter Bergen
Traduit par Jean-Clément Nau