Monde

La passion méconnue du prince Philip pour le design

Temps de lecture : 3 min

Pendant soixante ans, le duc d'Édimbourg a présidé des prix de design, soutenu des designers et promu leurs créations. Son obsession du «Good Design» l'a même accompagné jusqu'à sa dernière demeure.

Plusieurs prix de design portent le nom du prince Philip, mort le 9 avril dernier. | Mr Thinktank via Flickr
Plusieurs prix de design portent le nom du prince Philip, mort le 9 avril dernier. | Mr Thinktank via Flickr

Le prince Philip était un passionné de design, au point d'avoir lui-même imaginé le véhicule qui l'emmènera vers le caveau familial de la chapelle Saint George ce samedi 17 avril. Un premier modèle avait été commandé en 2005, et il l'avait peaufiné en 2016. Selon la presse anglaise, il s'agit d'un 130 Defender Gun Bus Land Rover hybride et entièrement redesigné par le duc d'Édimbourg pour son usage personnel. «Construit selon ses spécifications, dans un coloris vert bronze, avec châssis galvanisé et carrosserie fabriquée à la main», avaient alors précisé les spécialistes chargés de la customisation de la Land Rover sur leur page Facebook. Parfait pour la chasse, suffisamment vaste pour y loger un cercueil.

Son intérêt pour le design, lié à sa fascination pour l'ingénierie et les sciences, a joué un rôle indéniable dans l'organisation de la profession et le développement de l'enseignement de la discipline en Grande-Bretagne. En 1944, Winston Churchill créait le Council of Industrial Design pour aider le pays à se relever de la guerre. Sa mission était de promouvoir et soutenir, «par tous les moyens possibles, une amélioration du design des produits issus de l'industrie britannique».

Quinze ans plus tard, l'institution –devenue Design Council– et le prince Philip annonçaient l'avènement du «Duke of Edinburgh's Prize for Elegant Design». L'initiative se voulait une sorte «d'antidote à l'austérité » vouée à récompenser les solutions de design industriel à la fois «capables de résoudre des problèmes du quotidien » et esthétiques. Le premier gagnant fut le cultissime mini-frigo Prestcold Packaway, encore adoré et collectionné par les Britanniques.

L'approche majoritairement stylistique du design fut rapidement abandonnée pour mettre en valeur les designers plus que les objets. La nouvelle mouture du «Prince Philip Designers Prize» récompenserait aussi bien la dimension innovante de leurs créations que l'ensemble de leur carrière, ou leur rôle dans l'enseignement du design.

Le designer Robin Day fut notamment mis à l'honneur pour sa chaise empilable Polyprop en 1965 (une dizaine d'années après l'invention du polypropylène par l'Italien Giulio Natta, prix Nobel de Chimie 1963). Philip s'était enthousiasmé devant l'ingéniosité du concept de moulage par injection: la chaise pouvait être fabriquée en moins de deux minutes, pour un coût très faible, et ne nécessitait qu'un seul outil de production. Plus de 30 millions de chaises Polyprop se sont par la suite vendues dans le monde.

Le prince du «Good Design» et les «gadgets inutilisables»

De 1959 à 2011, l'année de ses 90 ans, le duc d'Édimbourg a présidé chaque jury, s'est plongé dans les candidatures, a rencontré les designers. Philip considérait que les designers de toutes disciplines contribuaient à renforcer l'économie et le rayonnement de la Grande-Bretagne dans le monde. Couturiers, designers d'objets ou architectes ont ainsi été récompensés, de Vivienne Westwood à Terence Conran, Norman Foster ou Thomas Heatherwick. Des designers moins établis pouvaient cependant retenir l'attention du prince; il lui est arrivé de soutenir des étudiants, les aidant à trouver des financements pour leurs recherches ou prototypes.

En parallèle de son rôle au sein du Design Council, il est devenu président d'honneur de la Society of Designers en 1969. En lui faisant octroyer une charte royale, il soutenait ainsi officiellement le développement et l'encadrement de la profession de designer industriel. Mais son engagement pouvait dépasser les frontières du Royaume-Uni: le «Prince Philip Prize for Australian Design» a été établi en 1967.

Il ne pouvait y avoir de «Prince Philip Designer Prize» sans le principal intéressé: le Design Council a suspendu l'événement en 2011. En hommage à son célèbre parrain, la Chartered Society of Designers a relancé le prix en 2016, y ajoutant le «Prince Philip Student Design Award». L'annonce avait enchanté le prince Philip qui, alors âgé de 95 ans et fidèle à lui-même, n'avait pas mâché ses mots: «C'est une chose d'inventer des produits, mais il faut des designers pour les rendre user-friendly. Je n'ose pas compter le nombre de gadgets que j'ai achetés ou qui m'ont été offerts et que j'ai trouvé simplement inutilisables tant ils échappaient à la compréhension. (…) J'espère que cela encouragera de talentueux étudiants à mesurer la valeur du “Good Design”

Newsletters

Stormzy, le rappeur qui met sa célébrité au service des communautés noires

Stormzy, le rappeur qui met sa célébrité au service des communautés noires

L'engagement politique de l'artiste londonien transpire dans ses textes et performances, mais aussi dans les multiples initiatives qu'il a lancées en faveur de la diversité.

Cannibales et maladies tropicales: la malédiction de la colonie de Port-Breton

Cannibales et maladies tropicales: la malédiction de la colonie de Port-Breton

À la fin du XIXe siècle, des centaines de colons français débarquent sur une île au nord-est de la Nouvelle-Guinée. Un siècle et demi plus tard, le souvenir tragique de leur colonie subsiste.

Le Canada brûlait encore plus qu'aujourd'hui il y a 150 ans, mais est-ce vraiment rassurant?

Le Canada brûlait encore plus qu'aujourd'hui il y a 150 ans, mais est-ce vraiment rassurant?

Une étude scientifique affirme que les feux étaient deux à dix fois plus nombreux entre 1700 et 1850.

Podcasts Grands Formats Séries
Slate Studio