Accentuer la chasse aux ghost guns (armes sans numéro de série, à assembler chez soi ou à imprimer en 3D) et les vérifications d'antécédents (les «background checks»): telles sont les premières mesures annoncées par le président des États-Unis Joe Biden après les fusillades successives survenues à Boulder (Colorado), Acworth (Géorgie) et Allen (Texas). Si elles paraissent marginales au regard des effusions de violence qui émaillent le pays, c'est d'abord et avant tout en raison du 2e amendement de la Constitution, âprement défendue par la Cour suprême qui, depuis 2008, a agi de manière à rendre le contrôle des armes de plus en plus délicat.
Pour comprendre les difficultés que rencontre le pouvoir législatif vis-à-vis du contrôle des armes, il convient de revenir en 2008. Dans la décision «District of Columbia v. Heller», la Cour suprême, par la plume du très conservateur juge Antonin Scalia, déclare que la première clause du 2e amendement de la Constitution, laquelle mentionne le terme «milice», est une «clause préliminaire qui ne limite ni n'étend la portée de la deuxième partie, le dispositif», ledit dispositif étant «le droit du peuple de détenir et de porter des armes ne sera pas transgressé». Ainsi, pour le juge originaliste, le 2e amendement «garantit le droit individuel de posséder et de porter des armes en cas de confrontation». Par conséquent, les dispositions du code du District de Columbia dont il était question dans l'affaire Heller ont été déclarées inconstitutionnelles.
Deux ans plus tard, une autre affaire impliquant des textes prohibant la possession d'une arme est venue s'ajouter à la jurisprudence Heller. Considérant que le 2e amendement ne s'applique pas aux États fédérés, la ville de Chicago et le village de Oak Park ont ainsi pris des dispositions visant à interdire la possession d'une arme à feu. La Cour a, une fois de plus, déclaré les textes concernés inconstitutionnels, déclarant que le 2e amendement est «incorporé» en vertu de la clause de procédure régulière («Due Process Clause») du 14e amendement.
«Dans l'affaire Heller, nous avons jugé que le 2e amendement protège le droit de posséder une arme de poing à domicile à des fins d'autodéfense. […] une disposition de la Déclaration des droits qui protège un droit fondamental du point de vue américain s'applique également au gouvernement fédéral et aux États. […] Nous considérons donc que la clause de procédure régulière du 14e amendement incorpore le droit du 2e amendement reconnu dans la décision Heller», conclut ainsi le juge Samuel Alito, auteur de l'opinion de la Cour. Ainsi, les marges de manœuvre du Congrès apparaissent comme particulièrement étroites, conduisant les corps législatif et exécutif à prendre des mesures à la marge.
Le système fédéral, obstacle à une régulation homogène
Compte tenu des particularités du système fédéral américain, il est extrêmement difficile pour le gouvernement fédéral de légiférer de manière homogène sur l'ensemble du territoire. Non seulement les États fédérés demeurent souverains, mais ils peuvent aussi refuser de prêter main forte aux autorités fédérales pour faire appliquer le droit fédéral: cette question fut abordée dans l'affaire «Printz v. United States» de 1997. Quatre ans après la promulgation du «Brady Handgun Violence Prevention Act» (texte exigeant une vérification d'antécédents avant l'achat d'une arme), la puissante National Rifle Association (NRA) a financé de nombreuses actions en justice afin d'aboutir à un jugement déclarant le texte inconstitutionnel car contraire au 10e amendement.
La décision, rédigée une fois encore par le juge Scalia, n'invalide pas la loi Brady. Elle donne néanmoins raison à la NRA en considérant que «le gouvernement fédéral ne peut ni émettre des directives exigeant des États qu'ils s'attaquent à des problèmes particuliers, ni ordonner aux agents des États, ou à ceux de leurs subdivisions politiques, d'adopter ou d'appliquer un programme réglementaire fédéral». Par conséquent, dans les États n'ayant pas prévu de vérification d'antécédents, l'application de cette directive fédérale s'opère au bon vouloir des autorités étatiques.
Lorsque les lois fédérales ne sont pas invalidées par la Cour suprême, elles se heurtent à la législation de certains États.
De même, les prérogatives qui sont celles accordées au Congrès par la Constitution ne permettent pas aux deux chambres de légiférer comme bon leur semble. Le pouvoir législatif s'appuie ainsi sur la «Commerce clause» pour justifier son action… avec plus ou moins de succès: si le «Gun Control Act» de 1968 a permis de réguler le commerce des armes inter-États et d'interdire la vente d'armes aux personnes ayant fait l'objet d'une condamnation ou considérées médicalement comme psychiquement inaptes, le «Gun-Free School Zones Act» de 1990 est passé sous les fourches caudines de la Cour suprême.
Au terme d'une gymnastique législative pour le moins originale, le Congrès avait interdit le port d'armes en «zone scolaire» (écoles et alentours) en avançant que «la possession d'une arme à feu dans une zone scolaire peut entraîner des crimes violents et que l'on peut s'attendre à ce que les crimes violents affectent le fonctionnement de l'économie nationale […]». Cette interprétation particulièrement large de la «Commerce clause» n'a pas été celle de la Cour du juge en chef William Rehnquist, pour qui «la possession d'une arme à feu dans une zone scolaire locale n'est en aucun cas une activité économique qui pourrait, en se répétant ailleurs, affecter substantiellement une quelconque forme de commerce inter-États». Le Congrès n'a donc eu d'autre choix que de revoir son texte.
En outre, comme le notait le New York Times en 2011, lorsque les lois fédérales ne sont pas invalidées par la Cour suprême, elles se heurtent à la législation de certains États, parfois particulièrement indulgente: «the Gray Lady» révélait ainsi que des personnes ayant fait l'objet d'une condamnation ont pu s'armer à nouveau et ce en dépit des dispositions fédérales en vigueur. Un mouvement qui s'est par ailleurs renforcé à la suite de la décision Heller de 2008.
Si la situation paraît complexe, le président des États-Unis a envisagé de remettre sur la table le «Federal Assault Weapons Ban» et d'engager de nouvelles réformes visant les bourses aux armes qui permettent parfois de se soustraire aux vérifications d'antécédents (le «gun show loophole»).
Bourse aux armes et fusils d'assaut, prochaines cibles?
Ressusciter un texte mort en 2004? C'est une option envisagée fin mars par Joe Biden. En vigueur durant dix ans, la loi fédérale interdisant les fusils d'assaut pourrait faire son grand retour. Ce n'est cependant pas la première fois que le texte revient: introduit par la sénatrice démocrate Dianne Feinstein en 1993 après une série de fusillades particulièrement meurtrières, il avait interdit la fabrication d'armes semi-automatiques destinées à un usage civil ainsi que les chargeurs à grande capacité. En vigueur pour une durée de dix ans, le texte a été réintroduit par la sénatrice Feinstein entre 2003 et 2008, puis en 2013, sans succès. Au regard de la configuration politique actuelle du Sénat, il sera extrêmement difficile, sinon impossible, de recueillir les 60 voix nécessaires au vote de clôture, indispensable pour mettre fin à l'obstruction parlementaire («filibuster»).
Seconde piste évoquée par le 46e président: légiférer sur le vide juridique des bourses aux armes («gun show loophole»). Fréquentées tant par des vendeurs agréés que par des particuliers, ces bourses aux armes permettent parfois de se soustraire aux «background checks», étant donné que les vendeurs particuliers ne sont pas soumis à l'obligation de tenir un registre des ventes et de réaliser une vérification d'antécédents, contrairement aux vendeurs agréés FFL (Federal Firearms Licensee), tenus de réaliser cette vérification auprès du NICS (National Instant Criminal Background Check System).
Quand bien même le président américain parviendrait à faire évoluer la législation vers davantage de contrôle, il pourrait toutefois être confronté à un nouvel obstacle en provenance de la juridiction suprême. Une décision à venir pourrait saper un peu plus les mesures visant à réguler le port d'arme.
«NYSRPA v. Corlett», la prochaine Heller?
Prérogative davantage étatique et locale que fédérale, la régulation des armes pourrait connaître un nouveau revers. La Cour suprême devra bientôt se prononcer sur l'article 400 (2) du Code pénal de l'État de New York, lequel dispose que le droit de porter une arme est soumis à l'octroi d'une licence, laquelle est subordonnée à l'existence d'un motif réel et sérieux («proper cause»). En l'état actuel de la législation de l'État, il est pratiquement impossible de pouvoir porter une arme dans l'espace public.
Robert Nash et Brandon Koch, plaignants dans l'affaire «New York State Rifle & Pistol Association Inc. v. Corlett», ont essuyé un refus d'octroi de permis de port d'arme après que leur demande «n'a pas réussi à démontrer un “motif valable” pour porter une arme à feu en public à des fins d'autodéfense et n'a pas démontré un besoin spécial d'autodéfense qui les distinguait du public en général». Soutenus par la New York State Rifle & Pistol Association, les plaignants avancent que le 2e amendement protège le droit de porter une arme en dehors de son domicile à des fins d'autodéfense. Précédemment, la Cour d'Appel pour le 2e circuit avait confirmé le jugement en première instance, considérant que la «proper clause» ne constitue pas une violation du 2e amendement.
Au regard des décisions Heller et McDonald, la Cour suprême considérera-t-elle que le droit de porter une arme tel que garanti par le 2e amendement peut être subordonné à l'existence d'un motif réel et sérieux? L'opinion du juge Alito dans l'affaire McDonald permet d'en douter: «Notre décision dans l'affaire Heller indique sans ambiguïté la réponse. L'autodéfense est un droit fondamental, reconnu par de nombreux systèmes juridiques de l'Antiquité à nos jours, et dans l'affaire Heller, nous avons affirmé que l'autodéfense individuelle est “l'élément central” du droit garanti par le deuxième amendement.»