Société / Sports

L'enseignement du yoga n'est pas réglementé en France, et c'est dommageable

Temps de lecture : 5 min

Source de vocations, cette discipline ne cesse d'attirer des aspirants professeurs. Mais faute, parfois, de formation sérieuse, la pratique peut être hasardeuse. 

À quel saint se vouer pour se former à une pratique où l'on voit les méthodes se multiplier sans instance fédératrice? | Elly Fairytale via Pexels

 
À quel saint se vouer pour se former à une pratique où l'on voit les méthodes se multiplier sans instance fédératrice? | Elly Fairytale via Pexels  

«Apporter la lumière dans les ténèbres», telle est la définition du mot «guru». Dans l'Inde traditionnelle, le guru transmet sa connaissance du yoga par un échange quotidien. Pour devenir maître à son tour, l'élève apprend pendant maintes années. Fantasmée ou décriée, cette relation est pourtant essentielle dans la transmission de cette discipline.

En Occident, cette transmission n'est plus comparable à celle qui prévaut dans l'Inde traditionnelle. Les élèves passent d'un professeur à un autre, apprennent en regardant des vidéos ou des livres. Il n'y a pas de diplôme d'État ou de formation publique pour enseigner le yoga. Chaque école développe sa méthodologie et ses degrés d'exigence.

Une pratique qui n'est pas sans risques

Les corps tanguent et suent au-dessus des tapis. Ce cours de hatha yoga à Tours réunit une vingtaine d'étudiants. Des élèves enchaînent les postures. Mélanie*, une élève au centre de la salle, se met soudainement à crier. Son genou vient de se déplacer.

En 2019, l'institut de données Kantar comptabilisait 3 millions de pratiquants de yoga en France. Il est de coutume d'en parler comme d'une médecine alternative, qui soigne les maux de dos et autres douleurs chroniques. Malgré ces propos, cette pratique peut déclencher des blessures pour celles et ceux qui vont au-delà de leurs limites. Sur une période d'un an, 10,7 % des pratiquants de deux studios de yoga ont présenté une blessure à la suite de leur pratique, selon le Journal of Bodywork and Movement Therapies.

Valérie*, professeure de vinyasa yoga en province, s'est formée dans un studio parisien. Elle porte un regard critique sur sa formation: «J'ai suivi une formation de professeur de 200 heures. La pratique posturale –les cours focalisé sur les positions– était très régulière, mais l'ensemble de la formation manquait d'un volet philosophique et surtout pédagogique.» Sur Instagram, la gymnastique élégante des apprentis yogis a la peau dure: «La performance est attirante, mais ça donne une image biaisée de ce qu'est le yoga. Ces formations conviennent à des circassiens, des danseurs. Il faut avoir une connaissance précise de son corps. Les blessures ne sont pas rares», ajoute Valérie*.

En 2012, le New York Times publiait un article dans lequel il mentionnait les dangers encourus lors d'une pratique trop extrême. Être attentif à ses propres limites et celles de ses élèves n'est pas évident. Pascal Rivière, président du conseil départemental de l'Ordre des masseurs-kinésithérapeutes d'Indre-et-Loire, considère le yoga comme une pratique sportive. «Dans le yoga, il n'y a pas de contre-indications générales mais individuelles.» Marie France Livebardon, diplômée de l'Institut français de yoga et médecin psychiatre à Montpellier, va dans le même sens: «Les limites dans le yoga sont celles que l'on sent dans son corps. Toute la difficulté est de les écouter.»

Dans la jungle des formations

Pour devenir professeur, une organisation est régulièrement citée sur les réseaux: Yoga Alliance. Contactée, elle n'a pas répondu à nos sollicitations. Comme elle l'explique sur son site, les élèves qui terminent des formations de professeur dans une de ses écoles ont automatiquement droit à la certification internationale de l'organisme. Cette organisation à but non lucratif se déclare comme une référence dans l'enseignement du yoga. Mais ce système n'est pas forcément gage d'une formation de qualité et l'organisation n'a d'ailleurs aucune valeur institutionnelle en France.

François Lorin est formateur à l'Institut français de yoga (IFY) et vice-président de l'Union européenne de yoga (UEY). Pour lui, cet engouement soudain pour cette pratique est suspect: «Les formations courtes entretiennent une confusion entre yoga et pratique posturale.» À l'IFY, les élèves apprennent pendant quatre ans: «Nous essayons de bien préparer les gens, mais aussi de leur faire faire un travail sur eux-mêmes. Il y a des caractéristiques essentielles pour être professeur, comme l'honnêteté et la sincérité», souligne-t-il. Les formations plus longues doivent se substituer à la relation autrefois entretenue par le guru et son élève. «Choisir un enseignant de yoga c'est plus difficile que choisir un dentiste!», ironise le formateur.

«Peut-être qu'il faudrait envisager une éthique commune entre tous les professeurs, avec une charte de bonne conduite envers les élèves.»
Laïla Farrah, professeure de vinyasa

Certaines écoles préfèrent parler de «lignée». Le terme est employé pour désigner une transmission du yoga dans un cadre précis (école, institut) avec une relation individuelle du professeur à l'élève. L'ashtanga fait partie de cette tradition. La pratique consiste en un enchaînement des mêmes postures avec un travail particulier du souffle. Pour Aurélie Grahek, professeure d'ashtanga niveau 2 à Lyon, il faut du temps pour trouver un enseignement de qualité: «Après dix ans de pratique, je suis allée me former au Sharath Yoga Center en Inde. La structure pédagogique est différente, on fait partie d'une communauté de spécialistes. On a une relation individualisée avec un professeur sur le long cours. A contrario, les Yoga Teacher Training n'ont rien à voir avec ce que l'on apprend là-bas. La formation est courte et relativement impersonnelle.»

Pour devenir professeur, l'école suivie par Aurélie exige deux à cinq ans de pratique avec un professeur autorisé de l'institut. Ensuite, il est possible d'accéder par des séjours à une autorisation de niveau 1 ou 2. Après quinze à vingt-cinq ans de formation, c'est le terme de «certification» qui est accordé.

Le yoga iyengar, la voie thérapeutique

Certains élèves avec des problèmes physiques peuvent se diriger vers le yoga iyengar, dont l'accent est mis sur la précision des alignements. Dans cette méthode, l'utilisation de supports permet d'adapter les postures à la physiologie et aux limites des élèves.

Catherine*, élève d'une salle iyengar, est convaincue des bénéfices de ce type de pratique: «Avant, je poussais mon corps à fond. Et puis j'ai eu un cancer. Je m'en suis remise. Cette méthode m'aide à écouter mes douleurs.» Manon, élève d'un studio iyengar à Tours, était à la recherche d'une stabilité intérieure: «Avant, je n'avais pas conscience de mon corps. J'ai commencé par du yoga vinyasa et ensuite on m'a orientée vers le yoga iyengar, qui permet plus d'ancrage.»

Dans la méthode iyengar, le chemin est long pour devenir professeur. Stéphane Lalo, professeur au Centre iyengar de Marseille, explique que l'apprentissage doit se faire dans la patience: «Un élève doit pratiquer pendant trois à dix ans au minimum avant de pouvoir commencer une formation de professeur iyengar. Nous essayons de ne pas rentrer dans une relation commerciale, et donc nous ne proposons ces formations qu'à un nombre limité de pratiquants motivés et sérieux.»

En France, le yoga est considéré par l'État comme une activité commerciale. «N'importe qui peut vous signer un papier en disant: “Je vous certifie professeur de yoga”», juge Stéphane Lalo. De plus, la diversité des pratiques fait que les écoles ne s'accordent pas toujours sur la réglementation à mettre en place.

Laïla Farrah, professeure de vinyasa, s'interroge cette réglementation: «Peut-être qu'il faudrait envisager une éthique commune entre tous les professeurs, avec une charte de bonne conduite envers les élèves.» D'après François Lorin, certains enseignants ont renâclé face à une réglementation «par peur que le yoga soit réduit au travail postural». L'État n'a pour l'instant rien légiféré mais les fédérations ont du mal à s'entendre. «Cependant, depuis la pandémie, le dialogue s'est un peu plus établi», se réjouit-il. En septembre 2020, plusieurs enseignants ont créé l'Union des professionnels de yoga. Avec une ambition: fédérer tous les studios, écoles et enseignants de France.

* Les prénoms ont été changés

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