Société

Comment se portent nos amitiés au fil des confinements?

Temps de lecture : 4 min

Depuis un an, les réseaux sociaux permettent, entre autres, de conserver ces liens mis à mal par la crise sanitaire.

«Les personnes se rendent compte que certains amis sont formidables dans la difficulté et que d'autres le sont moins.» | Cdd20 via Pixabay 
«Les personnes se rendent compte que certains amis sont formidables dans la difficulté et que d'autres le sont moins.» | Cdd20 via Pixabay 

Le constat de l'été 2020 n'était pas positif. Comme l'avait expliqué la journaliste Bessma Sikouk, le premier confinement a mis à mal nos amitiés. Depuis, l'été s'est écoulé, suivi d'un deuxième confinement national en automne, et maintenant un troisième, généralisé à la France hexagonale. L'amitié reste un enjeu central dans nos vies bousculées et exigües. Elle doit être désormais aménagée en fonction des restrictions: interdiction de déplacement au-delà d'un certain périmètre, couvre-feu, fermeture des bars, restaurants et lieux culturels permettant de se retrouver.

Claire Bidart, sociologue spécialisée dans l'étude de l'amitié, a travaillé sur l'enquête Vico «La vie en confinement», dont les résultats ont été publiés le 12 mai 2020. Dans la conclusion, l'équipe s'interrogeait sur l'impact qu'aurait cette expérience. Questionnée par Franceinfo au début de cette année, elle a pu revenir sur cette recherche avec un plus grand recul.

Son constat reste mitigé: beaucoup de disparités selon les groupes sociaux, et d'incertitudes quant à l'avenir. «On a des récits de renforcement où les personnes se rendent compte que certains amis sont formidables dans la difficulté et que d'autres le sont moins. Mais, au total, je ne suis pas sûre que ce “tri” soit une bonne chose parce qu'il va renforcer les inégalités qui étaient déjà là. […] Les gens vont se refermer sur l'entre-soi, alors que le brassage social est déjà amoindri et que l'on ne fait pas de nouvelles rencontres.»

Amitiés par écrit

C'est justement pour faire de nouvelles rencontres que Marine Normand, directrice de Madmoizelle, avait monté au début du premier confinement l'initiative «Pour l'amour de la correspondance». «Avec ma pote Charlotte, on se disait que c'était compliqué de rencontrer des gens, alors qu'on en avait l'habitude. On a une autre passion commune: celle d'écrire. J'adore envoyer des cartes postales sur mon temps libre, donc on se disait, pourquoi pas mettre en place un dispositif pour mettre les gens en contact pour s'écrire. Je me suis occupée du contenu en ligne, et Charlotte a géré la base de données pour coupler les personnes selon leur profil. On a eu 138 personnes qui voulaient faire des rencontres en dehors des applications dédiées ou de leurs cercles proches habituels.»

Mail de présentation de l'initiative «Pour l'amour de la correspondance». | Capture d'écran

«Le plaisir d'attendre le mail d'un inconnu dans sa boîte, prendre le temps d'écrire et présenter ses passions comme si on avait 14 ans, c'est toujours chouette. Les gens étaient beaucoup en demande pendant le premier confinement qui était vraiment infernal. Maintenant, on commence hélas à s'y habituer et il y a moins de chômage technique, donc de temps à occuper que pendant cette parenthèse désenchantée. Il y a eu deux ou trois déconvenues mais sinon ça a bien pris.»

Toujours curieuse de nouer de potentielles nouvelles amitiés, j'ai répondu à cet appel de l'amour de la correspondance. C'est ainsi que j'ai fait la rencontre de Jeanne. «Ma chance a été de voir la proposition de Marine sur Instagram de mettre en relation des gens pendant le confinement, histoire de jouer aux correspondants, comme au collège. J'ai tenté et, bingo, je suis tombée sur une personne hyper intéressante, avec qui on se comprend sur bien des sujets et avec qui j'ai échangé de longs mails pendant le confinement. Toujours en contact, je continue à partager avec celle que j'appelle “ma correspondante”.» Depuis un certain temps, nous ne nous envoyons plus de longs mails, préférant les messages privés sur Instagram, plus rapides et spontanés.

Jeanne confie que depuis la fin de l'été 2020, ces relations ne sont pas toutes faciles à entretenir. «J'ai du mal à voir mes ami·es changer d'avis drastiquement sur la pandémie quand cela les arrange.» Elle évoque aussi la difficulté de maintenir des rapports apaisés avec ceux et celles vivant plus loin d'elle. Avec la distance, certains oublient les problèmes qu'elle rencontre dans son quotidien et elle est lassée de leur rappeler. «À l'inverse, certaines amitiés sont restées les mêmes et me rassurent aujourd'hui, lorsque je constate que les efforts dans ce domaine sont voués à durer», tempère-t-elle.

«Sans pression»

Pour Marie, qui vit dans l'Est de la France, et sa meilleure amie résidant en Suisse, la solution s'appelle Telegram, et plus précisément, les messages vocaux de l'application. «On peut se parler comme en direct de façon synchrone et en canal asynchrone, avec la chaleur de la voix, les intonations, l'impression d'être proches physiquement.» Elles se parlent ainsi presque tous les jours, s'échangeant des messages écrits et vocaux plus ou moins longs (une phrase à la volée dans la rue à «des messages de 15-20 minutes»), parfois aussi des vidéos pour se montrer le bon geste d'une recette de cuisine ou l'application d'un anti-cernes. «Avec la fermeture des frontières et le fait que la Suisse est hors de l'Union européenne, on ne peut plus du tout se voir jusqu'à nouvel ordre. Le confinement nous a beaucoup impactées, les messages vocaux compensent quasi parfaitement l'absence physique de l'autre, notamment en cas de coup dur.»

«On se croirait à une soirée pyjama qui ne finirait jamais.»
Marie

Ce mode de communication a aussi pour avantage de conserver à la fois «un contact permanent toute la journée sans être trop sollicitée et envahie l'une par l'autre, sans pression», ayant chacune un travail et des enfants à charge. «Et puis, ça me rajeunit, on se croirait à une soirée pyjama qui ne finirait jamais, confie-t-elle en souriant. Je n'aurais jamais connu ça sans les contraintes du confinement.» Ainsi, quand elles pourront enfin se revoir, après une poignée d'heures de trajet et un passage de frontière, leur «amitié fusionnelle un peu adolescente» sera intacte et chacune au fait des derniers événements de la vie de l'autre.

Même si préserver nos amitiés durant ce confinement sans fin exige une attention supplémentaire, tout n'est pas pour autant perdu. Ces relations particulières peuvent résister à bien des contraintes, celles du temps et de la distance physique imposées par la vie sous Covid-19, et même la mort. Le documentaire L'amie héroïque ou la puissance du lien de Leïla Djitli donne la parole à trois proches de la psychanalyste et philosophe Anne Dufourmantelle «qui avait la passion de l'amitié». Malgré son décès brutal, c'est un souvenir intensément vivant et précis qu'elle laisse, retranscrit par leurs voix aimantes. «Anne était radieuse et finalement elle a eu une mort radieuse», l'expression d'un sentiment amical éternel, que même la douleur de la perte ne gâche pas. Une raison de plus pour cultiver nos liens amicaux dès maintenant.


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