Monde

L'obésité ne menace pas la sécurité des Etats-Unis

Temps de lecture : 9 min

Un rapport estime que 27% des Américains sont tros gros pour combattre.

«Je m'appelle Dewey Oxberger, mes amis me surnomment “Ox”. Vous avez peut-être remarqué que j'ai un léger problème de poids», disait John Candy à ses compagnons d'armes dans le film Les Bleus. «J'ai compris pourquoi je suis là. Pour perdre quelques kg. Je sortirai d'ici comme une machine de combat, svelte et implacable!»

Dans la «vraie vie», Ox, qui mesure 1,88 mètre et pèse 136kg n'aurait pas pu passer la porte des casernes. A l'époque, la sortie du film coïncidait avec le lancement d'un nouveau programme de contrôle du poids dans l'armée américaine.

On contrôlait déjà la taille et le poids des nouvelles recrues. Désormais, on calculera également le pourcentage de graisse présent dans leur corps.

Cela fait trente ans que ce film est sorti. Depuis, le taux d'obésité chez les adultes américains a doublé. Un rapport intitulé Too Fat Too Fight [Trop gros pour combattre] publié fin avril estime que 27% des Américains en âge d'être recrutés par l'armée (soit 9 millions de jeunes adultes) sont trop gros pour se battre pour leur patrie. Lors d'une conférence de presse à la fin du mois d'avril, le sénateur Richard Lugar, le secrétaire à l'Agriculture Tom Vilsack et un groupe de généraux et amiraux à la retraite ont mis en garde que le régime alimentaire «malsain» des Américains et des activités sportives insuffisantes sont devenus un danger pour la sécurité nationale des Etats-Unis .

La presse américaine s'est emparée de l'initiative de Mission: Readiness, une organisation sans but lucratif qui milite pour réformer les repas à l'école en vue d'améliorer l'efficacité des forces armées. Les «Military Leaders for Kids» [Chefs militaires pour les enfants], comme ils s'auto-baptisent, souhaitent que le gouvernement américain débloque 10 milliards de dollars supplémentaires pour les cantines scolaires sur les dix prochaines années. Ils préconisent également une interdiction de la malbouffe et des boissons gazeuses sucrées dans tous les établissements scolaires.

Le Pentagone change de politique

Autrefois, le département de la Défense avait fait pression pour que les cantines scolaires proposent des repas gratuits. Ainsi, les enfants ne seraient pas trop maigres et sauraient repousser la menace soviétique. Aujourd'hui, les généraux veulent troquer les nachos et les beignets pour des fruits et légumes frais. Tout ça pour que les jeunes soldats ne soient pas trop gras et puisse combattre al-Qaida.

Je suis tout à fait en faveur des repas nutritifs et à basses calories. Mais ce sont des foutaises que de raconter que l'obésité constitue une menace pour la sécurité des Etats-Unis. Le gouvernement diffuse des informations fallacieuses pour promouvoir les politiques de lutte contre l'obésité. Bien qu'il y ait de très bonnes raisons de s'inquiéter des habitudes alimentaires des jeunes Américains, le recrutement de l'armée n'en fait pas partie.

Même les Military Leaders for Kids reconnaissent que les temps sont propices pour les recruteurs de l'armée. En octobre, le département américain de la Défense a annoncé que, pour la quatrième année consécutive, l'armée avait rempli et même dépassé ses objectifs d'enrôlement. Selon l'Army Times, en 2009, le recrutement pour chaque branche de l'armée a atteint des niveaux records tant en termes de nombre que de qualité des nouvelles recrues.

Chiffres trompeurs

D'accord, nous disent les généraux, le problème n'est pas immédiat, mais il risque de se poser dans un futur proche. De 1995 à 2008, la proportion de recrues potentielles chez qui on a constaté un excès de graisse corporel a augmenté de deux tiers. Ce rapport indique également que le taux d'obésité chez les enfants a augmenté plus vite que chez les adultes, et que les jeunes Américains d'aujourd'hui risquent d'être la première génération à vivre moins longtemps que leurs parents. «Le problème à long terme [lié au fait que les jeunes ne remplissent pas les conditions d'intégration de l'armée] ne disparaîtra pas», met en garde le rapport.

Pourtant, les dernières statistiques suggèrent que les taux d'obésité ont atteint un palier chez les enfants et chez les adultes, et que la masse corporelle des nouveau-nés (qui est en corrélation avec le futur gabarit de l'adulte) est en baisse. De même, il est inexact de dire que le taux d'obésité chez les enfants «augmente plus vite» que chez les adultes, puisque ces deux mesures s'effectuent sur des échelles différentes. Et mieux vaut que je ne me lance pas sur l'idée bidon selon laquelle l'espérance de vie des Américains va chuter pour la première fois de l'histoire. (Voici, pour compenser, un court exposé sur le discours abracadabrant à propos de l'obésité infantile.)

Alors combien de Dewey Oxbergers l'Amérique compte-elle? Le même groupe de haut gradés a publié un autre rapport au mois de novembre. Il indique que 75% des 17-24 ans aux Etats-Unis ne remplissent pas les conditions d'intégration de l'armée. En mars, le spécialiste des statistiques du recrutement au Pentagone, Curtis Gilroy, a cité les mêmes chiffres devant la Commission des forces armées de la Chambre des représentants. Il a précisé que 35% des recrues potentielles sont écartées pour raisons médicales, l'obésité étant un des principaux motifs. 18% sont disqualifiés en raison de leur dépendance à la drogue ou à l'alcool. 5% ont des antécédents criminels, 6% ont trop d'enfants à leur charge et 9% entrent dans la Catégorie 5 en raison de leur faible note au Test d'aptitude des forces armées.

Il est vrai que si on additionne ces chiffres, on obtient à peu près 75%. Mais un tel calcul se fonde sur l'hypothèse que les groupes précités ne se recoupent pas. Autrement dit, les 18% de jeunes Américains ayant des problèmes d'alcoolisme ou de dépendance à la drogue sont totalement distincts des 5% ayant un casier judiciaire criminel. Et les 35% qui sont exclus pour des motifs médicaux sont à tous les autres égards des candidats idéaux à l'enrôlement. (Je n'ai pas réussi à trouver la preuve que ces données ont fait l'objet d'une collecte précise et adéquate.)

Dans un nouveau rapport, les généraux à la retraite s'intéressent exclusivement à une portion du camembert: les 9 millions de jeunes adultes qui sont trop lourds pour entrer dans l'armée. Ce chiffre provient du Bureau du recensement et, là encore, il semble écarter la possibilité que certaines de ces personnes sont peut-être -de toute façon- bêtes, dépravées, droguées ou ayant des responsabilités familiales trop importantes pour servir leur patrie. En ce sens, ces chiffres déforment la réalité et veulent faire croire que chacune de ces personnes aurait pu revêtir un uniforme si leur surpoids ne s'était pas mis en travers.

Les vraies questions

Ce qui mérite d'être examiné, c'est le nombre d'adolescents qui semblent très motivés pour entrer dans l'armée, mais qui échouent aux épreuves physiques précisément parce qu'ils sont trop gros.

Selon les chiffres donnés dans ce rapport, chaque année, en moyenne 10.000 hommes et femmes tombent dans cette catégorie. Si les recruteurs avaient donné à chacun de ces soldats en puissance une pilule magique de perte de poids en 2009, le nombre de recrues de l'armée aurait grossi... mais de seulement 3%. Ce n'est pas négligeable, mais on est loin des chiffres qui ont accaparé la presse américaine: 27% et 9 millions!

L'autre vraie question est de savoir si le surpoids est si handicapant pour les militaires. On peut aisément imaginer les difficultés d'une personne obèse (au sens médical) au combat. Le rapport Too Fat To Fight raconte l'expérience de Todd Corbin, un caporal-chef qui a sauvé la vie de son chef de patrouille blessé. Il a pris l'homme blessé sur son épaule et a fait un sprint à travers le feu ennemi. Que ce serait-il passé si le soldat en question pesait plus de 150kg?

Discrimination physique au recrutement

Le problème est qu'on exclut parfois les soldats gros pour des raisons qui n'ont rien à voir avec leurs aptitudes physiques sur le terrain. Selon la politique de l'armée, on peut renvoyer un soldat dont les dimensions corporelles ne conviennent pas, même s'il est en parfaite santé. Pour faire partie de l'armée, un jeune Américain qui mesure 1,80 mètre doit peser moins de 88kg ou avoir un taux de graisse corporelle inférieur à 26%. (D'autres secteurs sont un peu plus souples: chez les gardes-côtes, par exemple, on peut peser jusqu'à 105kg.) Cette règle est applicable même si le candidat excelle au Test de forme physique de l'armée américaine (APFT). Sur ce point, la réglementation est sans équivoque: les prouesses dignes d'un athlète ne compensent pas des cuisses trop grosses.

C'est d'ailleurs un des prétextes bien connus à éviter. Ceux qui aspirent à devenir soldat disent parfois: «je vais réussir l'APFT, alors pourquoi devrais-je perdre du poids?». S'agissant du corps, la réglementation stipule qu'un excès de chair flasque dénote avant tout un «manque de discipline personnelle». Un autre document dit que «cela porte atteinte à l'aspect physique des militaires». Selon cette logique, le surpoids n'est pas seulement un problème de santé, c'est un défaut de personnalité. Ah oui, et quand vous êtes trop gros, vous avez l'air moche.

Je ne veux pas laisser entendre que l'armée pratique de la discrimination uniquement à l'égard des corpulents. Les standards physiques très élevés s'appliquent également aux maigres. Aux petits. Et aux grands.

(Vous pensiez que seule l'armée de géants de la Prusse était trop sélective. Eh bien sachez que si vous êtes un homme de plus de 2 mètres ou une femme de plus de 1,80 mètre, vous ne pouvez pas intégrer les corps des Marines américains.) Les personnes souffrant d'acné grave et incurable peuvent également être exclues du service militaire, ainsi que quiconque ayant des dents en moins, des doigts en trop ou des ongles de pieds incarnés trop gros.

Certains de ces critères à respecter semblent tenir davantage du concours de beauté que du combat de l'ennemi en plein désert. Peu importe si vous êtes capable de faire autant de pompes que le type d'à côté. En l'absence d'une «autodiscipline visant à maintenir une distribution convenable du poids et [à répondre] aux critères rigoureux d'aspect», vous n'êtes pas bienvenu(e) au sein de l'armée américaine.

Récapitulons. Le Pentagone veut enrôler un maximum de soldats robustes. Cependant, il traite tous ceux qui sont gros comme s'ils avaient un gravissime défaut. Selon ce rapport, des centaines de nouveaux enrôlés sont libérés chaque année parce qu'ils ne parviennent pas à contrôler leur poids. (Les généraux à la retraite accusent ce taux d'«usure du personnel» d'engendrer des coûts d'entraînement supplémentaires de 60 millions de dollars [45 millions d'euros].)

La guerre contre l'obésité reste complexe

Contre le surpoids des militaires, la discipline n'est pas en cause. Pour ces soldats, même l'environnement hyper-contrôlé des casernes de l'armée (et les systèmes de motivations des sergents instructeurs) ne peuvent conduire à une perte de poids durable.

L'organisation Mission: Readiness l'a compris: les régimes et le sport ne marchent pas à long terme. C'est pourquoi elle recherche une solution structurelle à l'obésité, à travers une réforme des repas scolaires. S'il ne s'agit pas de maîtrise de soi, comment s'attaquer à ce problème? Et les Américains sont-ils vraiment trop gros pour se battre?

Daniel Engber

Traduit par Micha Cziffra

À LIRE ÉGALEMENT SUR L'OBÉSITE: La pauvreté rend obèse, L'Indice de Masse Corporelle est une mesure obsolète de l'obésité et Santé: la graisse protège notre corps.

Photo: Des soldats américains saluent leurs camarades tombés au combat à Fort Hood (Texas) Jessica Rinaldi / Reuters

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