Société

Le Covid n'éteint pas le rêve de devenir pilote de ligne

Temps de lecture : 7 min

Un an que la pandémie chamboule nos plans de voyage et d'avenir. Dans certains secteurs comme ceux du tourisme et de l'aviation, l'atterrissage est difficile. Pourtant, les espoirs des pilotes en devenir ne dévient pas.

Malgré le Covid-19, les jeunes déboulent toujours dans les banques pour financer leur future école d'aviation. | Jon Flobrant via Unsplash
Malgré le Covid-19, les jeunes déboulent toujours dans les banques pour financer leur future école d'aviation. | Jon Flobrant via Unsplash

Le secteur du voyage paie un lourd tribut depuis le début de la crise sanitaire, de même que celui du tourisme –les deux étant étroitement liés. Les photographies d'avions immobilisés indéfiniment sur le tarmac ont déferlé sur la toile dès mars 2020. Les pertes des compagnies aériennes de la plupart des pays sont historiques, du Kenya à la Norvège en passant par la Nouvelle-Zélande et le Japon. Les gouvernements ont tenté de les soutenir financièrement pour pallier les milliers, parfois milliards d'euros de pertes engendrées par la crise.

Quelques gros titres parus dans les médias peuvent effrayer. Par exemple, Ryanair craint que 2021 soit la plus mauvaise année de son histoire. Au Portugal, la compagnie TAP ne réalise que 7% de ses opérations en février. Chez American Airlines, 13.000 salariés sont dans l'attente d'un licenciement. Pire encore en République tchèque, où la compagnie nationale Czech Airlines licencie l'ensemble de son personnel.

Dans l'Hexagone, Air France a déjà touché plus de 7 milliards d'euros d'aides de l'État, une somme colossale garantie sans contrepartie. Rappelons qu'en 2020, le groupe Air France-KLM a perdu 7,1 milliards d'euros. Pour compenser ces pertes, le ministre de l'Économie, des Finances et de la Relance Bruno Le Maire vient d'annoncer sur France Inter une nouvelle aide de l'État de 4 milliards d'euros, validée par Bruxelles qui exige des contreparties afin de ne pas défavoriser ses concurrents. Par conséquent, la compagnie devra renoncer à dix-huit créneaux d'atterrissage et de décollage à l'aéroport d'Orly (Val-de-Marne). La Commission européenne en réclamait vingt-quatre au départ.

Le ministre explique par ailleurs que «l'État pourra monter jusqu'à un peu moins de 30% dans le capital d'Air France», devenant alors son premier actionnaire. Ce nouveau coup de pouce est le «signe d'un engagement fort de l'État aux côtés de la compagnie Air France, aux côtés de ses salariés et pour garantir la pérennité d'une entreprise stratégique pour la nation française». Soutenir l'aviation, c'est aussi soutenir le tourisme en France, pays le plus visité au monde, avec plus de 89 millions d'arrivées de touristes internationaux en 2018.

Selon le cabinet Archery Strategy Consulting, certaines compagnies devraient réussir à passer la crise et même en sortir renforcées. Il s'agit surtout des compagnies dites low cost telles que EasyJet, Transavia ou Ryanair. Toujours d'après ce cabinet, les compagnies aériennes peuvent espérer un «retour à la normale» en 2024, soit un an plus tard que ce qu'annonçaient les premières prévisions.

La situation n'empêche pas de continuer à rêver d'une carrière dans les airs, qu'importe le temps que ce retour à la normale prendra. Malgré toutes les difficultés liées au Covid-19, des jeunes gens déboulent toujours dans les banques pour demander des prêts étudiants afin de financer leur future école d'aviation.

L'avenir perce encore à l'horizon

Après s'être endetté de 90.000 euros, Corentin a 27 ans lorsqu'il sort avec une licence. Devenir pilote, c'est son rêve depuis qu'il est tout petit. Prendre l'avion et multiplier les escales ne l'effraie pas, bien au contraire: il en raffole. Une fois en capacité de diriger un avion de ligne, il se rend compte que la pandémie met un coup de frein à ses attentes.

Il s'imaginait être convoité par les compagnies aériennes, gagner un bon salaire, profiter des avantages de l'équipage et vivre une vie pleine d'aventures et de voyages. Mais voilà un an qu'il reste beaucoup à la maison, sort peu. Il pense souvent au fait que son rêve est repoussé. Malgré son mental d'acier et sa motivation sans limite, il lui arrive de craquer.

Corentin, futur pilote de 27 ans, imite le mouvement d'un avion au salar d'Uyuni (Bolivie). | Photo founie par Corentin

Sa nature optimiste lui permet de saisir cette crise comme une opportunité pour réimaginer les possibilités et ainsi concevoir le métier davantage dans sa globalité. «Les jeunes pilotes devront aller chercher du travail en s'expatriant, en essayant de nouvelles techniques de transport, voilà ce qui est motivant, confie-t-il. On a quand même de l'espoir pour le futur.»

Repousser son rêve, mais jusqu'à quand? Bien qu'il n'en ait aucune idée, il reste convaincu que la situation s'améliorera bien à un moment. Lui qui fut bercé par le célèbre film Arrête-moi si tu peux ne se voit exercer aucun autre métier. En attendant que le marché rouvre, il a pris un job alimentaire. Le délai de remboursement de son emprunt bancaire a été différé à dans trois ans, ce qui lui laisse une marge de temps pour se trouver un poste en cockpit d'ici là, une fois que le trafic aérien aura repris.

Arrête-moi si tu peux, film de Steven Spielberg (2003). | Capture d'écran

Biberonné au même film, Julien a récemment soufflé ses vingt-cinq bougies. Sa grande passion: se rendre à l'aéroport d'Orly afin d'observer les décollages et atterrissages de ces oiseaux faits d'acier et d'aluminium. Le bruit du réacteur qui s'enclenche et l'odeur du café mélangée à celle du kérosène ont marqué sa jeunesse lors de ses voyages entre Paris et Pointe-à-Pitre. Lorsqu'il se trouve devant un avion, il se sent ridiculement petit à côté de ce gros appareil. Ce qu'il aime par-dessus tout, c'est la sensation d'être une infime partie minuscule dans le ciel.

Depuis quelques semaines, le jeune homme cherche la banque qui lui prêtera 120.000 euros afin de financer sa formation de pilote. Certaines écoles proposent de délivrer une licence de pilote en équipage multiple (MPL), un contrat réalisé entre l'établissement et une compagnie aérienne qui permet –en cas de réussite– d'être embauché chez elle pendant une période longue (de deux à dix ans).

«Je suis hyper confiant quant à la reprise, assure-t-il. En 2008, la crise économique a été dure pendant deux ans. Ça a été une hécatombe pour les pilotes de ligne, puis c'est reparti.» Comme après les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis ou en 1990 avec la guerre du Golfe, qui est venue stopper du jour au lendemain les embauches des pilotes de ligne. Julien est conscient que cette activité qui le passionne depuis toujours tend à être de nature cyclique.

En attendant d'intégrer une école de pilotes, Julien s'exerce en conduisant un Robin DR400 sur son temps libre. | Photo fournie par Julien

S'il intègre cette année une école, le Parisien estime qu'à la fin de sa formation dans deux ans, le trafic aérien aura repris de façon convenable. À son sens, la crise du Covid-19 ne tuera pas ce métier ni cette industrie, ça les fera évoluer. Corentin rejoint Julien lorsqu'il affirme que «le besoin de voyager et de se connecter les uns aux autres reprend toujours le dessus.»

Les gens ont toujours (et davantage) soif de voyage

Entre lassitude liée aux divers confinements, fatigue émotionnelle et sentiment de privation, le désir de voyager ne désemplit pas, bien au contraire. D'après une étude de Booking[1], les signaux sont au vert pour le secteur du transport aérien.

Pendant le premier confinement de mars 2020, 59% des Français interrogés ont précisé qu'ils avaient hâte de pouvoir voyager à nouveau, quand 65% d'entre eux indiquaient qu'ils comptaient profiter davantage des opportunités de voyager. Cette tendance se confirme avec 22% de Français qui prévoient de plus voyager à l'avenir, afin de rattraper le temps perdu à cause des fermetures de frontières, de sites... Aussi, près d'un Français sur deux (45%) disait attendre la vaccination pour repartir sur les routes.

Pilote, un rêve d'enfant qui divise

Au début du mois d'avril, la maire Europe Écologie-Les Verts de Poitiers, Léonore Moncond'huy, a fait couler beaucoup d'encre. Au conseil municipal du 29 mars, elle a défendu le choix de supprimer une partie des subventions accordées à trois aéroclubs de la ville, arguant que «l'aérien» ne devrait «plus faire partie des rêves d'enfants aujourd'hui».

Entre-temps, les responsables politiques ont vivement réagi, de Marine Le Pen (RN) à Jean-Luc Mélenchon (LFI) en passant par Éric Ciotti (LR) et Jean-Baptiste Djebbari (LREM). La maire de Poitiers a répondu sur le plateau de TF1 et tenté de réparer sa maladresse en disant s'être «engagée dans l'écologie pour pouvoir offrir aux enfants des rêves responsables et désirables pour l'avenir». Le 6 avril sur France Inter, Léa Salamé a demandé à Bruno Le Maire si «l'aérien doit continuer de faire rêver les enfants». Pour le ministre de l'Économie, ça ne fait aucun doute.

En 2021, les pilotes doivent diversifier leurs compétences

Depuis le début de la pandémie, l'Association des professionnels navigants de l'aviation (APNA) a mis en place un recensement afin de connaître le nombre de pilotes en attente de poste en cockpit –qui ne sont pas forcément au chômage. Pour le moment, 1.430 se trouvent dans cette situation. Selon son président Geoffroy Bouvet, la licence de pilote ne procure plus directement l'employabilité. Il conseille donc aux pilotes en puissance de se préparer à un plan B, car la concurrence sera rude.

Pour devenir pilote, il indique que le mieux est de se diversifier en développant –en plus des compétences techniques acquises en formation initiale de pilote– des compétences dites non techniques que l'on peut acquérir avec d'autres formations ou d'autres expériences professionnelles, de préférence dans le monde aéronautique. La maturité, la personnalité et la capacité à gérer les risques sont essentielles pour franchir l'étape de la sélection. Corentin, le futur pilote de 27 ans, fait remarquer que depuis dix ans, des fonctions de system manager se sont agrégées à celles de pilote.

L'état du marché reste instable et encore plus difficile à prévoir aujourd'hui avec la pandémie, la vaccination semblant être la clé pour sortir de cette crise. Geoffroy Bouvet invite les jeunes aspirant·es à «ne pas désespérer». D'après lui, «c'est encore mieux d'être formé en phase de crise car seuls les plus motivés se présentent à la formation» de pilote de ligne. À la fin de celle-ci, l'aviation devrait avoir repris son cours, comme après chaque moment de désillusion dans le métier. «Heureux sont les pilotes optimistes», rit Corentin, dont l'espoir et la détermination ne faiblissent pas.

1 — Enquête commandée par Booking.com et menée auprès d'un échantillon d'adultes ayant effectué au moins un séjour d'affaires ou de loisirs au cours des douze derniers mois et prévoyant de voyager à nouveau au cours des douze prochains mois (si/quand les restrictions de voyage seront levées). Au total, 20.934 personnes issues de vingt-huit pays ont été interrogées (dont 999 aux États-Unis, 496 au Canada, 497 au Mexique, 997 en Colombie, 999 au Brésil, 499 en Argentine, 995 en Australie, 499 en Nouvelle-Zélande, 999 en Espagne, 996 en Italie, 996 en France, 999 au Royaume-Uni, 996 en Allemagne, 498 aux Pays-Bas, 499 au Danemark, 499 en Suède, 498 en Croatie, 1.001 en Russie, 498 en Israël, 997 en Inde, 994 en Chine, 499 à Hong Kong, 497 en Thaïlande, 496 à Singapour, 499 à Taïwan, 997 en Corée du Sud, 500 au Vietnam et 995 au Japon). Les personnes interrogées ont répondu à un sondage en ligne au mois de juillet 2020. Retourner à l'article

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