L'obstination française à garder jusqu'à l'extrême limite ses écoles ouvertes force l'admiration. Voilà enfin un pays qui se préoccupe de sa jeunesse, a-t-on envie de s'exclamer. Là où d'autres, pour des raisons bassement sanitaires, se sont dépêchés de renvoyer leurs écoliers à la maison, la France, dans sa grande tradition humaniste, a choisi le chemin inverse. C'est à ce genre de détails qu'on reconnaît les grandes nations: dans l'adversité, elles conservent intacte la somme de leurs valeurs.
Certes, cette intransigeance a eu un coût: des vies ont été perdues, d'autres se sont abîmées dans des chambres de réanimation mais que pèsent ces tragédies quand on les compare à toutes ces précieuses semaines où la jeunesse de France a pu engranger un savoir qui lui permettra dans les années à venir de briller au firmament de la pensée européenne? Que compte une vie qui s'achève dans l'anonymat d'un service de réanimation face à la continuité d'un enseignement où l'on aura pris le soin d'apprendre aussi bien la répartition par secteur des exportations chinoises que le système de reproduction chez la grenouille poitevine?
Évidemment, les esprits chagrins pourront toujours dire que ce refus de fermer les écoles a dû rendre quelques enfants orphelins quand d'autres ont été prématurément privés de leurs grands-parents sans parler de tous ceux qui sont restés des jours, des semaines entières sans savoir si leurs parents, hospitalisés d'urgence, allaient un jour pouvoir rentrer à la maison. Et ne parlons même pas des dizaines de milliers d'enfants dont la vie, à travers celle de leur parent, va désormais suivre le cours des innombrables effets secondaires associés au Covid long.
Peccadilles, points de détail, anicroches, vous répondra ce brave Monsieur Blanquer. Il fallait avant tout permettre à la scolarité de suivre son rythme normal sans quoi on allait fabriquer une génération de crétins, d'illettrés et d'analphabètes qui une fois arrivée aux affaires, aurait plongé le pays dans un chaos indescriptible. Qu'on se le dise: on aura peut-être toute une classe d'âge traumatisée par les déboires médicaux survenus à leurs parents mais au moins ceux qui la composent connaîtront sur le bout des doigts aussi bien le tableau des éléments de Mendeleïev que la poésie suave de Ronsard.
Toutefois, afin de ne pas être accusé d'esprit partisan, il faut rendre à Blanquer ce qui appartient à Blanquer: grâce à la non-fermeture des cantines, des enfants venus de milieux défavorisés ont pu manger à leur faim. Et cela, permettez-moi de vous le dire, ce n'est pas rien. Évidemment que ce n'est pas rien, c'est même essentiel! On pourra tout de même se demander comment est-il possible que dans un pays comme la France, cinquième puissance économique mondiale, il faille compter sur l'école pour s'assurer que des enfants mangent à leur faim? N'est-il pas là le problème, le scandale, le gigantesque écueil qu'un ministre de l'Éducation préfère taire pour mieux se faire mousser?
Je ne suis pas pour fermer les écoles à tout prix, notamment les petites classes où de toute évidence l'apprentissage des savoirs fondamentaux s'accommode mal de l'absence d'un professeur en chair et en os. C'est une toute autre problématique en ce qui concerne les collèges et les lycées. J'ai du mal à accorder quelque crédit à cette idée qui voudrait que la suspension des cours, du moins dans leur déclinaison présentielle, engendre chez les adolescents des dégâts irréversibles.
On passe énormement de temps au lycée à apprendre des choses qui ne nous seront d'aucune utilité dans nos vies à venir. À bien des égards, la plupart du temps, les écoles sont plus des garderies que des temples où s'échangent des savoirs. Comment pourrait-il en être autrement? Aucun cerveau humain n'a jamais eu le pouvoir de rester concentré toute la sainte journée. Passé une heure ou deux, il s'épuise et se contente de flotter en surface. De toutes les façons, il suffit de constater le niveau intellectuel de la population en général pour se rendre compte à quel point l'école manque à tous ses devoirs et objectifs. D'une indigence qui frôle l'écœurement.
Autant dire que la décision de garder les écoles ouvertes n'avait rien d'un choix éducatif, c'était juste une manière comme une autre de permettre à la vie économique de continuer, ce qui en soi n'a rien de honteux. C'est tout. Si l'école est nécessaire en tant que lieu de socialisation, cette dernière, par temps de pandémie, a tout le loisir de s'effectuer hors les murs tant qu'elle se déroule en petit comité et en respectant les mesures de distanciation physique.
De penser que les collégiens allemands, britanniques ou italiens, dû à la fermeture prolongée de leur école, en garderont des séquelles éducatives, au contraire de leurs camarades français, relève de la supercherie intellectuelle, de la fanfaronnerie franchouillarde. D'une part parce que, bon an mal an, l'enseignement s'est continué à distance, et que d'autre part, cet enseignement, en distanciel ou en présentiel, a une portée toute relative quant à la constitution d'un authentique savoir académique.
À dire vrai, je serais bien plus inquiet pour un enfant qui aura eu un de ses parents atteint d'une forme de Covid grave que pour celui dont la scolarité aura connu une sorte de traversée du désert. Ce dernier, n'en doutons pas, s'en remettra bien vite tandis que le premier devra composer avec une douleur qui ne disparaîtra pas de sitôt.
Mais bon, vu que j'ai été un cancre d'écolier et de lycéen, vous n'êtes pas non plus obligés de me croire.
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