Lors de la première journée du procès Kerviel, le président a interdit aux journalistes de liver les audiences, sous peine de se voir retirer leurs accréditations. Dominique Pauthe a exigé que les téléphones portables soient éteints mais a autorisé les ordinateurs portables ainsi que la connexion wi-fi, tout en interdisant absolument le live des audiences.
Nous republions à cette occasion un article de Bastien Bonnefous (qui suit le procès Kerviel pour Slate.fr) sur la justice en direct.
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Depuis le 25 avril, la chaîne de télévision Planète Justice a commencé à diffuser une série de quinze documentaires sous le titre explicite «En direct du tribunal». Chaque dimanche en première partie de soirée, le téléspectateur va pouvoir pénétrer dans un prétoire et observer comment, «d'Avignon à Melun», est rendue la justice au nom du peuple français.
Si cette série a été réalisée après avoir obtenu une autorisation écrite du président de chaque tribunal concerné, elle ne relance pas moins un débat ancien en France: la possibilité ou pas de filmer des procès. En l'état, les textes législatifs sont clairs. L'article 38ter de la loi du 29 juillet 1881, modifié en décembre 1954, prévoit que «dès l'ouverture de l'audience des juridictions administratives ou judiciaires, l'emploi de tout appareil permettant d'enregistrer, de fixer ou de transmettre la parole ou l'image est interdit». Quiconque se soustrait à la loi encourt une amende de 4.500 euros. En théorie, le public, les parties ou la presse ne peuvent donc assister à un procès avec un appareil capable d'enregistrer du son et/ou de l'image (caméra, appareil photo, téléphone, dictaphone, nagra...). Seuls un crayon et un carnet sont autorisés pour retranscrire les débats.
Pourtant, les exemples existent en France de procès au caractère exceptionnel qui ont été filmés «pour l'Histoire». Citons les procès relatifs à la période de l'Occupation: procès Barbie (1987), procès Touvier (1992), procès Papon (1997). Citons également 10e Chambre, le film-documentaire réalisé en 2003 par le photographe Raymond Depardon sur la 10e chambre correctionnelle du tribunal de Paris, à la suite d'un précédent travail audiovisuel sur les comparutions immédiates, Délits flagrants, diffusé en 1994.
Comme Depardon en son temps, Planète Justice justifie sa démarche par la volonté de «montrer comment est rendue aujourd'hui en France la justice ordinaire». Une logique didactique et citoyenne, qui s'appuie sur un principe essentiel de notre procédure pénale: la publicité des débats. Un principe rappelé par ailleurs par la Cour européenne des droits de l'homme. L'enjeu -rendre notre justice lisible au nom de la transparence et du droit à l'information- est de taille, à l'heure où l'institution est décriée par le peuple comme un pouvoir autiste coupé des réalités.
Dérives, mode d'emploi
Reste que si l'idée semble bonne a priori, son application soulève des problèmes aussi bien techniques que déontologiques. C'est ce qu'avait établi en 2005 la commission Linden, saisie par le ministère français de la Justice. Dans son rapport, celle-ci avait pointé plusieurs «effets néfastes»de la publicité des procès.
1- Le danger de «starisation»: «La présence d'un tiers aussi prégnant qu'une caméra de télévision peut modifier le comportement des uns et des autres lors du procès, en provoquant soit des dérives de “starisation” qui peuvent atteindre aussi bien les magistrats que les avocats ou leurs clients, soit des comportements excessifs qui auraient pour finalité d'instrumentaliser le procès au bénéfice de certains acteurs de celui-ci», écrit le rapport. Quiconque connaît l'égo de certains magistrats, avocats ou accusés, peut mesurer la pertinence de l'argument.
2- Le danger d'une «justice réalité»: pour la commission, la «logique économique» de l'audiovisuel pourrait faire courir le risque de «voir transformer la justice en spectacle ou en “justice réalité” qui conduirait, en fait, à transformer le territoire national en une vaste salle d'audience dans laquelle tous les spectateurs seraient juges». Coupable, tapez 1. Non coupable, tapez 2. Sans oublier une question fondamentale qui en découle: les conditions de diffusion des audiences. Doit-on diffuser le procès dans son intégralité, quitte à garder les moments d'extrême longueur et d'ennui peu télégéniques, ou les chaînes de télévision auraient-elles le droit de réaliser un montage plus court -pour une diffusion lors des journaux télévisés- au risque de tordre la réalité des débats?
3- Le danger de «pressions» multiples: «La médiatisation de certaines affaires est de nature à amplifier les risques qui existent déjà, à rendre divers acteurs beaucoup plus identifiables et repérables, et donc plus vulnérables», estime la commission. Les procès d'affaires de grand banditisme ou de terrorisme, par exemple, peuvent en effet mettre en danger la sécurité de certains témoins ou de certains jurés*.
A l'étranger
Prudente, la commission Linden avait conclu à la possibilité de diffuser les procès, mais sous certaines conditions très strictes, comme celles d'assurer la protection des personnes, notamment des témoins et jurés, et d'autoriser les seules captation et diffusion intégrales des procès en interdisant les coupures publicitaires ou le sponsoring. A ce jour, aucune suite officielle n'a été donné à ce rapport.
La question de la publicité des procès ne se pose pas qu'en France. En Allemagne et en Grande-Bretagne, où la pratique est proscrite, le débat existe. En Italie, en Finlande ou en Norvège, l'enregistrement d'audiences est laissé à l'appréciation des juges et doit présenter un caractère «pédagogique». Seuls les Etats-Unis ont donné un large accès aux caméras dans les prétoires d'une vingtaine d'Etats, mais les juridictions fédérales, comme la Cour suprême par exemple, gardent portes closes. Le libéralisme outre-Atlantique est tel qu'il existe depuis 1991 une chaîne de télévision - Court TV, rebaptisée TruTv - consacrée majoritairement à la retransmission de procès. Une retransmission qui s'effectue néanmoins en léger différé de quelques secondes pour permettre de couper certains éléments liés à la sécurité (noms des jurés, adresse des témoins...).
Live-blogging et twitter
Les nouvelles technologies ont créé récemment une autre dimension au problème. Désormais, avec internet, les réseaux sociaux ou twitter, le direct ne se limite plus exclusivement à la télévision et à la radio. Une nouvelle écriture journalistique se multiplie de plus en plus dans les prétoires : la retransmission des audiences en vrai-faux direct par live-blogging ou via twitter.
En mars 2008, 20minutes.fr a été le premier site d'informations français à retransmettre «en live»plusieurs audiences du procès du tueur en série Michel Fourniret et de son épouse Monique Olivier devant la cour d'assises de Charleville-Mézières. Installé dans une salle vidéo voisine de la cour d'assises, le journaliste du site (dont l'auteur de ces lignes) tapait quasiment en temps réel l'essentiel des échanges.
Une telle expérience a été renouvelée en juin 2009 par La Nouvelle République lors du procès de Véronique Courjault devant les assises de Tours. Cette fois, la couverture intégrale des débats était assurée pendant deux semaines et en direct par deux journalistes du service multimédia du quotidien régional, via le logiciel Coveritlive, également utilisé par le site du quotidien La Montagne pour ses suivis d'assises. Jusqu'à présent, ce type de pratiques journalistiques était surtout réservé à des événements sportifs ou politiques (matchs, meetings...). Enfin, à l'automne 2009, il était possible de suivre le procès Clearstream sur twitter, plusieurs médias ayant décidé de «twitter» les audiences.
Vide juridique?
A chaque fois, ces pratiques ont provoqué des interrogations, voire l'irritation de plusieurs journalistes de radio ou de télé, s'estimant floués en étant obligés de laisser à la porte du tribunal leur caméra ou leur nagra alors que des confrères transcrivaient en direct les débats sur leur ordinateur portable. Alerté d'un possible vide juridique, le ministère de la Justice a néanmoins estimé, après examen, que la loi était respectée, la transmission se faisant à partir d'une prise de notes et non pas d'un enregistrement.
Reste que plusieurs chroniqueurs judiciaires de presse écrite ont pointé, parfois sur leur propre blog, les limites des comptes-rendu en live, dont les principaux écueils seraient à leurs yeux le manque de recul et d'analyse. La transcription brute des débats peine bien souvent en effet à rendre une atmosphère. Un procès est certes parfois la scène de moments spectaculaires -de la rétractation à la barre d'un témoin à l'aveu d'un accusé dans son box. Mais c'est avant tout un lieu de petits riens -soupirs, mimiques, silences...- difficiles à rendre «en live». Décédé en 2001, le journaliste Jean-Marc Théolleyre, légende des robes noires qui assura pendant quarante ans la chronique judiciaire au Monde, conseillait toujours à ses confrères débutants de «noter les silences». Pas simple en 140 signes sur twitter.
* En matière de terrorisme, il existe déjà depuis 1987 des cours d'assises spéciale, composées exclusivement de magistrats professionnels remplaçant les jurés populaires. Une telle mesure a été prise après le procès en 1986 de trois membres du groupe terroriste Action directe, durant lequel des menaces avaient été proférés à l'encontre des jurés.
Bastien Bonnefous
Photo: La Cour d'appel de Paris Charles Platiau / Reuters
LIRE EGALEMENT SUR LA JUSTICE: Loïc Sécher: la justice mauvaise perdante et Clearstream: la justice privatisée.