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PMA clandestines en France: Cryos et les mamans de l'ombre

Temps de lecture : 6 min

Cette banque de sperme danoise expédie des gamètes mâles dans plusieurs pays, dont la France.

Chez Cryos, les paillettes de sperme coûtent «au minimum entre 900 et 1.300 euros», un prix plus élevé que dans une clinique en Belgique. | Anna Shvets via Pexels
Chez Cryos, les paillettes de sperme coûtent «au minimum entre 900 et 1.300 euros», un prix plus élevé que dans une clinique en Belgique. | Anna Shvets via Pexels

C'est le grand jour pour Anna*. Assise dans la salle d'attente d'un cabinet de gynécologie, elle s'apprête à être inséminée pour réaliser sa procréation médicalement assistée (PMA). Pourtant, la loi française ne l'y autorise pas. En 2013, Anna débute cette démarche avec celui qui était alors son mari, à la suite de problèmes d'infertilité. Pendant quatre ans, le couple multiplie les essais dans l'espoir de devenir parents. En vain.

Attristés et fragilisés par ces échecs répétés, ils divorcent après huit ans de vie commune. Aujourd'hui âgée de 36 ans, Anna «souhaite toujours devenir maman». Désormais célibataire, la loi ne l'autorise plus à avoir recours à une PMA. En France, seuls les couples hétérosexuels souffrant d'une infertilité diagnostiquée par un médecin peuvent y avoir droit. Depuis l'automne 2019, un projet de loi prévoyant son ouverture à toutes les femmes, est à l'étude. Le 2 février 2021, la mesure a été rejetée en seconde lecture par les parlementaires, au désespoir des femmes célibataires et des couples lesbiens.

Anna voit «son horloge biologique tourner» et estime qu'elle ne peut plus «se permettre d'attendre». Découragée par le projet de loi qui reste en suspend, elle décide de réaliser sa PMA à l'étranger. Pour obtenir de l'aide et des conseils, elle s'inscrit sur des groupes Facebook où, par le biais de photos et de récits écrits, des milliers de femmes partagent leurs expériences de PMA. En lisant certains commentaires, Anna découvre «stupéfaite» la possibilité de contourner la loi et de réaliser sa PMA en France. Le tout, en passant par l'entreprise danoise Cryos.

Une alternative clandestine qui s'échange sur les réseaux sociaux

Créée en 1987, à l'ouest de Copenhague au Danemark, Cryos est la plus grande banque de sperme au monde. Parmi un panel d'environ 850 donneurs, elle propose à la vente des gamètes mâles qu'elle expédie dans plusieurs pays à l'étranger, dont la France. Une fois inscrites sur le site internet, les femmes célibataires contactent Cryos «pour avoir accès à une liste de gynécologues français “partenaires” qui acceptent de réaliser les inséminations malgré la législation», détaille Anna.

Interrogée sur cette pratique, l'entreprise danoise n'a pas souhaité nous répondre. Intéressée par cette alternative, Anna trouve les réponses à ses questions sur le compte Instagram Maman solo par choix. Derrière ce pseudonyme se trouve Mam, animatrice radio de 38 ans. Il y a deux ans, à la suite d'une rupture, la Lyonnaise décrète qu'elle «ne veut plus dépendre d'un homme pour réaliser son rêve de maternité» et décide d'avoir un bébé seule. Sur les réseaux sociaux, elle découvre la possibilité de réaliser sa PMA en France grâce à l'entreprise Cryos.

Bien que cette pratique soit illégale, Mam est rapidement séduite. «Je trouve ça aberrant que des citoyennes françaises doivent aller se faire inséminer à l'étranger alors que nous avons les infrastructures nécessaires pour aider les femmes qui ont envie d'être maman de le devenir», s'insurge-t-elle avant d'ajouter: «Si c'était à refaire, je le referai de la même façon!» Pour Mam, la première insémination est la bonne. Sa fille est aujourd'hui âgée de 4 mois. Reconnaissante d'avoir eu la possibilité de devenir maman en France, Mam partage son expérience en faisant «des vidéos et des lives» afin d'aider des femmes qui voudraient, comme elle, se lancer dans «un parcours Cryos».

Un pouvoir de décision sur le choix du donneur

En achetant ses paillettes de sperme via l'entreprise danoise, Mam garde «un pouvoir de décision» sur le choix de son donneur. Un «argument primordial» qui l'a encouragée à réaliser sa PMA en France. «Je n'avais pas envie qu'on choisisse à ma place. Si j'étais allée dans une clinique à l'étranger, je n'aurais pas eu d'informations sur le donneur», explique-t-elle.

Taille, poids, nationalité, groupe sanguin, couleur de peau, des yeux ou des cheveux, l'entreprise Cryos propose de choisir son donneur selon une grande variété de critères. Sur son site internet, chacun d'entre eux est représenté par une photo de lui enfant. Les portraits sont complétés par une courte présentation écrite relatant les motivations du don de sperme, la formation ou encore la personnalité des donneurs.

Enfin, une note vocale est disponible pour pouvoir entendre leur voix. Pour 200 euros, l'entreprise danoise propose également d'avoir accès à des photos des donneurs à l'âge adulte. Chez Cryos, les paillettes de sperme coûtent «au minimum entre 900 et 1.300 euros», un prix plus élevé que dans une clinique en Belgique où le prix varie «entre 250 et 280 euros mais où l'anonymat est imposé», explique Anna. Au total, pour réaliser leur PMA en France, Mam et Anna ont respectivement déboursé 1.000 et 1.700 euros.

Un avantage financier

Pourtant, Mam et Anna considèrent que réaliser leur PMA en France représente «un avantage financier». «On peut se dire que c'est facile, on saute dans un avion et on se retrouve en Espagne, mais il faut payer les billets d'avion et plusieurs nuits d'hôtels sur place. Tout le monde n'a pas les moyens d'assumer toutes ces dépenses en plus de l'acte en lui-même», s'agace Mam.

À cela vient s'ajouter un autre avantage, estiment les femmes interrogées. En France, les frais médicaux annexes «comme les échographies, les prises de sang ou les médicaments» peuvent être remboursés grâce à la sécurité sociale, explique Anna pour qui c'est «un aspect très important». D'expérience, elle sait que l'insémination peut échouer et qu'il est «probable de devoir recommencer plusieurs fois et de payer tous ces frais de nouveau». Au-delà de l'«avantage financier», Anna se dit rassurée d'être suivie en France. «À l'étranger, il y a la barrière de la langue et la peur de ne pas avoir choisi la bonne clinique. On se demande si on ne va pas se faire arnaquer», explique-t-elle.

Des gynécologues qui mettent leur carrière en jeu

Il est difficile d'estimer le nombre de gynécologues français qui acceptent d'aider des femmes célibataires dans le cas de Mam et d'Anna. Mais ils sont rares. Anna a mis plusieurs semaines avant de trouver un médecin qui accepte de la prendre en charge. «Le premier que j'ai contacté ne prenait plus de nouvelles patientes parce qu'il avait beaucoup de demandes. Parmi les autres noms que Cryos m'a communiqué, j'avais soit eu de mauvais retours sur les groupes Facebook, soit ils débutaient dans le domaine. Je ne voulais pas prendre le risque de perdre tout cet argent», se souvient Anna.

Pierre* fait partie de ces gynécologues. Il travaille avec Cryos depuis trois ans. Un commun accord pour lequel il ne reçoit pas d'argent de l'entreprise danoise. Il accepte gratuitement qu'elle transmette ses coordonnées à des femmes célibataires ou lesbiennes. En moyenne, il reçoit une à deux patientes par semaine venant de la part de Cryos. Parmi elles, il observe «un partage égal entre des femmes célibataires ou des couples de femmes». Pierre travaille également avec d'autres banques de sperme en Europe comme SellmerDiers ou European Sperm Bank.

D'après l'article 511-24 du code pénal, Pierre risque cinq ans d'emprisonnement et 75.000 euros d'amende en aidant ces femmes à concevoir un enfant. Un enjeu qui ne lui fait «pas peur».

«Le vrai risque, c'est que mon gynécologue se fasse radier de l'ordre des médecins.»
Mam, maman d'un enfant né par PMA

Le gynécologue estime que «le désir d'avoir un enfant fait partie de la liberté des femmes». Il juge «normal, en tant que médecin, de les aider dans la mesure du possible». Malgré son engagement, Pierre reste discret et facture chaque insémination comme «une consultation classique».

Le Syndicat national des gynécologues et obstétriciens de France «sait que ces pratiques clandestines existent» et «ne les encourage pas». Pourtant, Bertrand de Rochambeau, son président, précise que si un gynécologue «venait à être mis en danger, le syndicat sera à ses côtés parce qu'il aura aidé une femme en difficulté». À ce jour, «aucun gynécologue n'a été inquiété pour une telle pratique», ajoute-t-il. Face à ces gynécologues «qui mettent leur carrière en jeu» pour aider les femmes dans son cas, Anna admet être «extrêmement reconnaissante». Un sentiment partagé par Mam, consciente qu'elle «ne risque pas grand-chose en tant que patiente». «Le vrai risque, c'est que mon gynécologue se fasse radier de l'ordre des médecins», dit-elle.

Pierre reconnaît qu'il y a «une forme de complicité qui se crée avec ces femmes». «Nous sommes dans quelque chose qui n'est pas légal. Il y a le lien du secret dans lequel on est lié», raconte le gynécologue. Après leurs prises en charge, Pierre continue de recevoir «des faire-part de naissances, des photos et des nouvelles des enfants» des femmes qu'il a aidées. Autant de preuves de reconnaissance qui l'encouragent à continuer d'accompagner de nouvelles patientes dans l'ombre de la loi. La prochaine s'appelle Anna.

* Les prénoms ont été changés.

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