«Attendre encore jusqu'à l'été, voire l'automne, pour peut-être, je dis bien peut-être, pouvoir être vacciné?! Hors de question!» Martin, 28 ans, se présente sans retenue comme «un fraudeur de la vaccination». Il fait partie de ceux qui sont parvenus à obtenir la précieuse injection, sans pour autant rentrer dans les critères de vaccination établis par le gouvernement. Leurs méthodes? Des passe-droits de connaissances travaillant dans le milieu médical, de fausses ordonnances ou simplement un arrangement avec leur médecin.
C'est avec la complicité de son généraliste que Martin a pu obtenir son sésame: une ordonnance pour se faire vacciner dans un centre de vaccinations de la région Occitanie. Alors qu'Emmanuel Macron a dévoilé fin mars un nouveau calendrier vaccinal, Martin ne regrette pas une seule seconde son geste. «J'ai peur pour ma santé, explique le jeune homme, asthmatique sévère depuis son enfance. Je ne suis pas dans les critères de vaccination alors que l'on sait que l'asthme est un facteur aggravant. Sauf que comme je suis jeune, je n'ai pas le droit d'être rassuré et protégé, peste-t-il. Je dois prendre sur moi, en priant pour ne pas attraper ce virus qui pourrait salement m'amocher. Je ne comprends pas pourquoi l'asthme n'a pas été intégré dans la liste des critères prioritaires.»
Retrouver sa vie d'avant
Martin n'est pas le seul à se sentir oublié par la politique de vaccination du gouvernement. Pour Marine Crest-Guilluy, médecin généraliste à Marseille, de nombreux patients «à la limite» des critères de comorbidité vivent comme une injustice leur exclusion de la campagne de vaccination.
«C'est compliqué pour les personnes qui ne rentrent pas dans ces critères très factuels et très précis alors même qu'elles sont à risque. Cela peut être un patient en insuffisance cardiaque qui au lieu d'être aux 30% de fraction d'éjection requis est à 29%, ou alors un asthmatique chronique sous traitement qui présente un réel facteur aggravant mais qui pourtant ne peut pas être vacciné, explique-t-elle. C'est difficile de leur expliquer qu'ils n'ont pas le droit au vaccin. Le problème de cette campagne de vaccination, c'est qu'elle range les gens dans des cases, or en médecine il n'y a pas de case parfaite. En tant que soignant, il est difficile de refuser la vaccination à un patient que l'on sait à risque sous prétexte qu'il ne rentre pas dans les critères établis par un énarque. Certains médecins font donc ces ordonnances, à leurs risques et périls.»
En effet, la prescription d'une ordonnance ou d'un certificat de complaisance peut entraîner des poursuites juridiques pour le médecin responsable. De même que le recours à de fausses ordonnances. Mais pas de quoi en dissuader certains. «Un de mes amis s'est carrément transformé en faussaire. Il a photoshoppé une fausse ordonnance où il s'est inventé une malformation cardiaque et c'est passé, confie Cécile, 55 ans, résidant en région parisienne. Il m'a proposé de m'en faire une mais je n'ai pas osé, trop peur de me faire prendre. Je me suis quand même débrouillée pour être vaccinée grâce à une amie qui travaille dans un centre de vaccination. Elle m'a mise sur une liste pour être appelée en fin de journée lorsqu'il leur reste des doses.»
«J'avais simplement besoin de savoir que quand la vie reprendrait son cours normal, je pourrais en profiter moi aussi.»
Cécile ne s'en cache pas: si elle a souhaité se faire vacciner le plus vite possible, c'est dans l'espoir de pouvoir voyager de nouveau, profiter des bars et restaurants ou retourner au cinéma lorsque tout rouvrira. Passeport vaccinal, pass sanitaire ou certificat de vaccination, face aux différentes mesures envisagées à travers le monde, l'injection reste la méthode la plus sûre de pouvoir retrouver les joies de la vie sociale et culturelle.
«Je n'étais pas spécialement inquiète pour ma santé, j'avais simplement besoin de savoir que quand la vie reprendrait son cours normal, je pourrais en profiter moi aussi, que je ne serais pas condamnée à regarder mes parents partir en croisière ou aller au restaurant, pendant que j'attends encore des mois avant de pouvoir prendre un verre entre amis, admet Cécile. Je ne le crie pas sur tous les toits, car je sais que beaucoup de gens aimeraient être vaccinés et doivent encore attendre. Je sais que certains me trouveront égoïste, mais j'ai eu cette opportunité et je l'ai saisie.»
«Un médecin ne doit pas juger les patients, c'est la règle numéro un. On doit les écouter. Lorsqu'ils veulent être vaccinés, quitte à contourner le calendrier officiel, c'est souvent par peur du virus ou pour retrouver leur vie d'avant. Ce sont deux raisons tout à fait légitimes, estime Marine Crest-Guilluy. Tout le monde a déjà eu recours à des passe-droits dans sa vie, que cela soit pour obtenir un prêt bancaire ou décrocher un job. Je ne pense pas que l'on puisse condamner ces personnes. Je ne vois pas non plus pourquoi on irait poursuivre des médecins ou infirmiers qui auraient vacciné des personnes non prioritaires, puisque de toute façon l'important, c'est que l'on soit tous vaccinés.»
La peur du virus
Le piétinement de la campagne vaccinale, les délais toujours interminables pour prendre rendez-vous ou l'incertitude quant à la livraison des doses de vaccins sont à l'origine de la démarche de l'ensemble des témoins. La peur de ne pas être vacciné avant des mois les a motivé à resquiller.
«Si j'avais été certain d'être vacciné à une date précise, j'aurais pris sur moi, je l'assure, mais à force de naviguer à vue comme on le fait depuis des mois, je panique un peu, j'ai peur de choper le Covid dans la dernière ligne droite, confie Julien, 45 ans qui a bénéficié d'une première injection il y a une semaine grâce à un cousin infirmier. J'ai envie d'être vacciné pour me protéger, protéger mes proches, et puis pour avoir l'esprit plus tranquille.»
«L'anxiété et la peur du virus devraient être reconnues comme des critères de vaccination, affirme Marine Crest-Guilluy. Plus on est stressé, plus on est susceptible d'attraper la maladie, les défenses immunitaires sont en baisse, l'angoisse prend le dessus... En revanche, si le vaccin permet bien de se tranquilliser l'esprit, il n'empêche pas les contaminations. Cela demande une énergie folle d'expliquer aux patients que le vaccin ne protégera pas leur proches car il n'empêche pas les contaminations.»
Un vaccin sur la base du volontariat
Point commun entre les fraudeurs de la vaccination: l'envie, dès le lancement de la campagne de vaccination, de recevoir une injection. Face au calendrier très strict, beaucoup se sont sentis frustrés, voire l'ont ressenti comme une violation de leurs droits individuels. «C'est du délire, je veux me faire vacciner depuis le premier jour mais j'ai dû attendre des mois et frauder, alors que ma voisine du dessus qui a 90 ans refuse bec et ongles de se faire vacciner, fulmine Julien. C'est son droit absolu, mais dans ce cas donnez-moi sa dose! Je trouve ça injuste: si on veut un vaccin, on devrait pouvoir y avoir accès.»
Chloé, 37 ans, vaccinée grâce à une ordonnance de complaisance rédigée par son médecin traitant, n'en pense pas moins: «Quand j'ai appris que je n'avais pas le droit d'être vaccinée avant des mois, j'étais folle. Je sais que c'est pour parer au manque de doses, mais je ne trouve pas ça normal. On a subi le même confinement et les mêmes restrictions, quel que soit notre âge, donc pourquoi cette “discrimination” au vaccin?» s'étonne la jeune femme qui assure comprendre la nécessité de vacciner en priorité le personnel soignant ou les personnes souffrant de comorbidité, mais n'adhère pas à «cette liste d'attente basée sur la pyramide des âges. Je connais autant de seniors que de jeunes qui veulent se faire vacciner, pourquoi dire oui aux uns et non aux autres?»