Certains ont été hospitalisés, d'autres avaient des facteurs de risque quand d'autres encore, jeunes et en bonne santé, ont développé un Covid bénin ou modéré. Mais, plusieurs semaines sinon des mois après l'infection, ils souffrent encore d'un ou plusieurs symptômes affectant considérablement leur qualité de vie. Parfois, aussi, des symptômes sont apparus à distance de la maladie.
S'il semble assez normal de ne pas être en excellente forme après avoir passé des semaines intubé et placé dans un coma artificiel et/ou en conservant des séquelles telles que des lésions pulmonaires, il semble plus étonnant que des patients puissent continuer de souffrir à distance de leur infection initiale sans pour autant qu'ils conservent des traces visibles lors des investigations médicales.
Une errance diagnostique
À travers le monde, ce sont les patients qui ont commencé à sonner l'alarme dès le début de la pandémie. En France, l'association Après J20 s'est montée sous l'impulsion d'une jeune psychologue qui, dès avril, faisait part sur Twitter du constat d'une persistance épuisante des symptômes et du manque d'informations disponibles à ce sujet.
Manque d'info pr les gens qui continuent à avoir des symptômes au delà de J20. Ca serait bien de mettre en commun nos ressentis pr se sentir moins seul.e alors j'ouvre ce sondage/fil pr ceux qui galèrent encore après J20. Commentaires bienvenus
— Lapsyrévoltée (@lapsyrevoltee) April 12, 2020
Le RT est doux #COVID19 #apresJ20
Si le Covid-19 en lui-même est encore assez méconnu, ces symptômes durables ne sont absolument pas documentés et de nombreux médecins tranchent immédiatement et sans preuve en faveur d'une explication simple: il s'agirait purement et simplement de l'expression de troubles psychologiques, renvoyant alors les patients à un mur sinon à un certain mépris et les laissant dans l'anxiété d'une errance diagnostique.
Dans le même temps, le nombre de personnes contaminées par le Covid-19 augmente et à mesure, le nombre de patients souffrant de ce qui s'appelle désormais le Covid long croît également et les témoignages se multiplient.
En mai 2020, des médecins commencent vraiment à s'intéresser au sujet, comme la professeure Dominique Salmon-Cerron, infectiologue à l'Hôtel Dieu à Paris qui lance une étude portant sur ces symptômes durables et ouvre une consultation dédiée à ces patients. C'est aussi le cas de l'équipe du Pr Xavier Monnet, médecin réanimateur à l'hôpital de Bicêtre, qui a suivi des patients hospitalisés quatre mois après leur sortie avec l'étude Comebac. Durant l'été et l'automne, d'autres consultations spécialisées ouvrent dans les CHU français afin d'offrir une prise en charge adaptée et de nombreuses études de suivi des patients sont lancées à travers le monde pour mieux comprendre ce Covid long.
Reconnaissance par l'OMS
En août 2020, l'OMS reconnaît l'existence de séquelles à long terme du Covid. En février, elle appelle les autorités sanitaires du monde entier à en faire une priorité tant les malades se heurtent à «de l'incrédulité ou à un manque de compréhension» pour reprendre les mots de Hans Kluge, le directeur de l'organisation sanitaire onusienne en Europe.
"Last month my colleague @mvankerkhove contacted a group called Long COVID SOS, representing patients with long-term effects from #COVID19. This afternoon I had the privilege of speaking with them. They told us about their experience & the ongoing challenges they face"-@DrTedros
— World Health Organization (WHO) (@WHO) August 21, 2020
Le même mois, la Haute autorité de santé (HAS) publie des «réponses rapides» servant de recommandation aux professionnels de santé. Fin mars 2021, c'est au tour de la direction générale de la santé (DGS) d'émettre une recommandation sous la forme d'un DGS-Urgent.
Selon la HAS, la persistance de symptômes plusieurs semaines ou mois après les premières manifestations, a été décrite chez plus de 20% des patients (hospitalisés ou non) après cinq semaines et plus, et chez plus de 10% des patients après trois mois. Chez les patients hospitalisés, selon l'étude Comebac, ce pourcentage s'élève à 51%. Quatre mois après leur hospitalisation, ceux-ci témoignent de symptômes qui n'étaient pas présents avant l'infection.
Un déni des causes organiques
Pour les patients, c'est une reconnaissance importante qui leur permet de sortir de leur isolement et d'être de mieux en mieux entendus par le corps médical, même si leurs symptômes sont encore méconnus. On sait que le temps de la science est long, autrement plus long que celui des patients empêchés de reprendre une vie normale. Il faut dire que le tableau clinique est souvent lourd: difficultés à respirer, cœur qui bat la chamade sans raison, fatigue intense, maux de tête, pertes de goût et d'odorat qui durent…
À présent, l'enjeu est de mener des recherches pour comprendre et prendre en charge les patients: «Ce Covid long concerne aujourd'hui potentiellement un nombre significatif de patients et il convient de lister et d'effectuer une évaluation des symptômes pour comprendre ce qui relève du Covid long et ce qui relève d'autre chose», explique le Pr Monnet. «Dans le même temps, les médecins devraient s'abstenir de prendre leurs patients pour des idiots et doivent pouvoir dire “je ne sais pas”», ajoute la Dre Corinne Depagne, pneumologue à Lyon.
«Seize pourcent des patients qui ont été hospitalisés pour un Covid souffrent d'un essoufflement persistant.»
Les spécialistes commencent à en savoir de plus en plus même si des interrogations demeurent. «Seize pourcent des patients qui ont été hospitalisés pour un Covid souffrent d'un essoufflement persistant. Pour la plupart d'entre eux, le taux d'oxygène dans le sang n'est pas diminué et le scanner ne retrouve pas la persistance de lésions importantes», note le Pr Monnet. La Dre Corinne Depagne explique: «On voit des symptômes persistants, notamment cardiaques et respiratoires tachycardie et dyspnée, chez des patients qui n'ont pas été hospitalisés et qui n'ont pas eu de forme grave. À l'exploration, les patients dyspnéiques ont des capacités pulmonaires normales mais on retrouve souvent une hypocapnie (taux anormalement bas de dioxyde de carbone dans le sang) qui correspond à une tendance à l'hyperventilation. C'est-à -dire que ces patients ont tendance à respirer plus vite qu'il ne le faudrait.»
C'est notamment cette absence de signe à l'imagerie (scanner, IRM, échographie) qui interroge: «Il n'y a pas de lésion pulmonaire, pas de cicatrices. On ne peut pas vraiment dire qu'il s'agit de séquelles puisque les troubles n'ont rien à voir avec les atteintes initiales. Rien à l'imagerie ne correspond avec les troubles fonctionnels. Il y a peut-être une atteinte au niveau du tronc cérébral», poursuit la pneumologue.
Des symptômes réversibles?
Si certains de ces symptômes auxquels s'ajoutent une fatigue persistante se retrouvent dans différents syndromes post viraux, le Pr Monnet et son équipe ont montré une particularité avec le Covid-19: «Le symptôme persistant qui est plus spécifique au Covid-19, ce sont les plaintes cognitives comme les troubles de la mémoire et de l'attention et qui sont rapportées par 21% des patients hospitalisés», signale-t-il. Ces troubles sont particulièrement anxiogènes pour les patients qui ont l'impression de perdre le contrôle sur leur esprit en même temps que sur le fonctionnement de leur corps.
Certains soignants ont tendance à mettre un peu tout sur le dos de cette anxiété, quitte à nier l'organique. Pour Sabine Sportouch, psychologue clinicienne en service de médecine intensive-réanimation de l'hôpital Bicêtre, tout n'est pas si simple. «C'est une question qu'il faut prendre avec beaucoup de délicatesse, nous enjoint-elle. Il n'est pas évident de déterminer ce qu'il y a exactement sous le terme de Covid long. Parmi les séquelles somatiques, il faut pouvoir comprendre ce qui relève de la représentation et de l'anxiété, sinon de l'angoisse post traumatique.» Avoir souffert d'une maladie qui fait les gros titres des informations, qui est potentiellement mortelle, le tout dans un contexte pandémique anxiogène laisse des traces. «J'ai vu des gens qui restent bouleversés parce qu'en perdant un souffle normal, ils se sont sentis mourir. Certains ont aussi perdu des proches», témoigne la psychologue.
On peut supposer que certains patients éprouvent aujourd'hui une sorte de culpabilité du survivant. «Ils peuvent se sentir mal de s'en être sortis alors que d'autres, parfois des membres de leur famille, sont morts. Alors, ils ont peut être besoin de rester encore un peu dans la maladie pour comprendre et avancer», conclut Sabine Sportouch qui insiste sur le fait qu'un accompagnement psychologique est fondamental en parallèle du suivi médical.
«Les patients atteints de SRAS avaient aussi présenté des effets durables qui s'étaient améliorés au fil du temps.»
Du côté du suivi médical, le Pr Monnet partage des recommandations simples: «Les patients affectés par ces symptômes durables doivent être suivis sous le prisme de l'expertise en lien avec le trouble rencontré. Pour une dyspnée, ils verront un pneumologue, pour une insuffisance rénale, un néphrologue, pour des céphalées, un neurologue ou un interniste…» La Dre Depagne invite les patients à suivre des protocoles de réhabilitation: «Lors des tests d'effort, nous nous rendons compte que les personnes sont désadaptées à l'effort. Il faut effectuer une réhabilitation à l'effort spécifique et adaptée qui n'est pas celle des insuffisants respiratoires chroniques. Les patients vont mieux après cette réhabilitation.»
Même si des patients ont un besoin immense de mettre du sens et des mots sur leurs troubles, la pneumologue les invite à ne pas chercher à multiplier les consultations, ni les examens médicaux dès lors qu'il a été effectué un bilan de base reposant, selon les prescriptions du médecin, sur un angioscanner thoracique, une échographie cardiaque et des dosages sanguins. «Il vaudrait mieux ne pas multiplier les examens car l'hyper médicalisation renforce l'anxiété», affirme-t-elle. Des propos un peu nuancés par Sabine Sportouch: «Ces examens peuvent accentuer l'anxiété, ils peuvent aussi la calmer ou la détourner sur un objet concret.»
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S'il y a encore beaucoup à apprendre sur le Covid long, reste que les médecins pensent qu'il n'est pas irréversible. «Il est probable que ces symptômes régressent avec le temps. Seul le suivi au long terme des patients symptomatiques permettra de confirmer cette hypothèse», expose avec prudence le Pr Monnet. Et la Dre Depagne d'ajouter: «Les patients atteints de SARS-CoV-1 avaient aussi présenté des effets durables qui s'étaient améliorés au fil du temps.»