«Je suis passée par une sale période: j'ai perdu mon travail, j'étais déprimée, j'ai eu une grosse pelade, j'ai perdu 11kg.» Sofia, 28 ans, a commencé le CBD en mars 2020. «J'avais arrêté de travailler juste avant le Covid et je devais commencer un nouveau job en avril, mais ça n'a pas eu lieu avec la crise. Ça m'a plongé dans une phase dépressive. J'étais arrivée à un point où je ne supportais pas de discuter avec mes proches, je n'étais même plus ouverte à une discussion entre amis», explique-t-elle. Sofia consomme du CBD sous différentes formes, en tisane avec de la camomille et de la verveine, ou par combustion. «Ça me calme, je me sens détendue. Ça m'aide aussi parce que j'ai un problème d'endométriose. Avec le CBD, je ressens beaucoup moins les douleurs, mon corps est plus léger, plus détendu», confie-t-elle.
Le CBD, abréviation de cannabidiol, est une molécule extraite du chanvre, aux effets relaxants et disponible en vente libre. «Dans la plante cannabis, il y a plus de 500 actifs. Les deux les plus importants et les plus connus sont le THC et le CBD», détaille le Dr Pascal Douek, auteur du livre Le cannabis médical, une nouvelle chance, aux éditions Solar. Le THC, c'est cette substance responsable des effets du cannabis dont l'effet psychotrope, qui touche le système nerveux ou la psyché. «Les produits commercialisés à base de CBD, eux, sont des produits dénués de THC», ajoute Pascal Douek. En France, seuls les produits à base de cannabidiol contenant moins de 0,2% de THC sont autorisés à la vente.
Sofia n'est pas la seule à en consommer. En huile, liquide pour e-cigarette, tisanes, fleurs séchées ou même produits cosmétiques, chacun y trouve son compte. C'est le cas de Laetitia et Shane, d'anciennes adeptes du cannabis récréatif passées au cannabis dit «bien-être», soit le cannabidiol, délaissant ainsi l'effet «défonce» au profit d'un effet plus «zen». Au point d'en faire leur métier. Elles testent régulièrement des produits à base de CBD, envoyés par les boutiques elles-mêmes, et partagent leurs recommandations sur le groupe Facebook qu'elles ont créé en octobre 2020, cumulant aujourd'hui près de 4.000 membres.
Anxiété, stress, problèmes de sommeil
Après deux chirurgies lourdes et la perte de 90 kg, Laetitia, 45 ans, a trouvé une alternative pour soigner ses maux: «J'ai toujours l'estomac fragile, l'appétit coupé, des douleurs intenses et un mal-être, de l'anxiété. Le CBD m'aide beaucoup au niveau de l'estomac, ça l'apaise et m'ouvre l'appétit.» Elle l'avoue, la crise sanitaire l'a poussée à en consommer davantage: «J'étais plus stressée, plus angoissée. J'ai quatre enfants et j'avais cette pression constante de les avoir toujours à la maison.»
Shane, 44 ans, souffre elle de la maladie de Scheuermann, une dystrophie rachidienne qui apparaît au cours de la croissance et provoque une cyphose dorsale douloureuse. Travailleuse de nuit, elle est aussi insomniaque et ne parvient pas à trouver le sommeil avant 4h ou 5h du matin. «En ce moment, j'en consomme en huile ou en tisane, ça m'aide à m'endormir un peu mieux. J'en prends aussi quand j'ai des crampes dans la colonne vertébrale, quand les nerfs se coincent. Ça apaise les douleurs», témoigne-t-elle. Avant d'arrêter son traitement médicamenteux, Shane a demandé conseil à son médecin traitant, qui lui a recommandé de prendre du CBD.
«La crise sanitaire n'a fait que révéler ce phénomène: les gens en consommaient déjà, mais en cachette.»
Toutes deux regrettent la diabolisation qui est faite de cette molécule. «On a constaté une recrudescence du nombre de nos membres. Ils sont arrivés vite, et notamment beaucoup de personnes âgées. La crise sanitaire n'a fait que révéler ce phénomène: les gens en consommaient déjà, mais en cachette. Pour la plupart d'entre eux, ils en prennent pour des raisons thérapeutiques. Beaucoup sont aussi d'anciens consommateurs de THC qui ont réussi à arrêter avec le CBD», confie Laetitia. Selon une étude publiée en février 2021 et réalisée au Royaume-Uni sur échantillon de 387 personnes, les 4 principales raisons citées pour la consommation de CBD sont l'anxiété (42,6%), les problèmes de sommeil (42,5%), le stress (37%) et la santé et le bien-être en général (37%).
Un sentiment partagé par le Dr Douek: «On voit un double phénomène. D'une part, le niveau d'anxiété et de dépression a fortement augmenté avec le confinement. Il y a eu des dégâts très importants au niveau psychologique et psychiatrique. Et en parallèle, il y a un nouveau marché qui émerge, celui du CBD. Des boutiques fleurissent un peu partout et beaucoup d'articles racontent que le CBD, c'est miraculeux. Ces deux mondes se rejoignent.» Spécialiste du cannabis médical, il reconnaît les bienfaits de cette molécule mais attire l'attention sur son utilisation limitée. «L'objectif du CBD [celui commercialisé en boutique, ndlr] est d'apaiser le stress et l'anxiété, favoriser le sommeil et réduire les douleurs légères, les apaiser. C'est un effet bien-être et non thérapeutique, on n'est pas dans le soin ou la prise en charge médicale, on est dans le bien-être uniquement», plaide le médecin.
Des dérives marketing liées au flou juridique
Pascal Douek regrette le manque de réglementation qui entoure ce nouveau marché en plein boom: son utilisation est tolérée mais il n'existe pas de cadre légal clair. Il y a eu une mission interparlementaire, entre juillet et octobre 2020, sur le chanvre bien-être dans laquelle les parlementaires ont auditionné toutes les parties prenantes et ont fait un état des lieux de la situation en France. Dans ce rapport, ils reconnaissent que le développement de ce marché est freiné par des «incertitudes juridiques fortes» et «une grande frilosité des pouvoirs publics».
Puis, en novembre 2020, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a décidé de juger illégale l'interdiction du CBD en France. Elle a estimé qu'il ne constituait ni un stupéfiant ni un médicament, mais bien une marchandise qui doit pouvoir circuler librement sur le territoire de l'Union européenne. Ainsi, la Mildeca (Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives) reconnaît la légalité du cannabidiol, mais interdit toute allégation thérapeutique, à moins qu'il n'ait été autorisé comme médicament par l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM).
Depuis cet arrêt européen, le nombre de boutiques explose en France: d'une centaine en 2018, on en comptabilise plus de 400 en 2021, selon le syndicat professionnel du chanvre. «On ne peut pas rester dans une situation de flou sur le plan réglementaire. Ce marché doit être encadré. Il faut que les produits affichent clairement ce qu'ils contiennent. Il faut aussi un encadrement sur les doses à ne pas dépasser et sur la formation des personnes qui en vendent», prévient Pascal Douek.
Car certains l'ont bien compris: il y a de l'argent à se faire. «C'est un nouveau monde. C'est l'eldorado pour quelqu'un qui veut monter son business. Dans les produits commercialisés à base de CBD, on ne sait pas vraiment ce qu'il y a. Il n'y a pas de réglementation, pas d'encadrement, pas de contrôle. Vous ne savez pas ce que vous achetez. On est au tout début du système, et c'est bien là le problème. Ça attire des gens qui n'y connaissent rien et il y a des abus», s'inquiète-t-il. On se retrouve dans la même situation que pour le marché des cigarettes électroniques à ses débuts.
Sur le plan de la recherche scientifique, quelques rares études, dont celle du comité d'experts de l'OMS, ont démontré un réel intérêt du CBD et le fait qu'il soit peu toxique, pas addictif et sans effet euphorisant. Mais les moyens alloués pour en apprendre davantage sur le sujet sont quasi inexistants. Médicalement, le CBD peut aider dans le cas de maladies lourdes pour lesquelles les médicaments existants n'ont pas permis d'obtenir un soulagement. Dans ce cas, ce sont uniquement les pharmaciens et médecins qui délivrent ces produits pharmaceutiques. Pour l'épilepsie, par exemple, il existe un médicament contenant du cannabidiol ayant obtenu une autorisation de mise sur le marché en France. Disponible sur prescription depuis décembre 2018, Epidiolex permet de prévenir et traiter les crises sévères chez l'enfant.
«Il faut être vigilant», explique le Dr Pascal Douek. «Le CBD, il faut essayer de le compartimenter: il y a une partie traitement qui relève du domaine des médecins, des pharmaciens, etc., et il y a une partie bien-être. On ne prend pas de CBD quand on est malade. On va chez le médecin», conclut-il.