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Sur Facebook, Viktor Orbán est le meilleur influenceur de Hongrie

Temps de lecture : 5 min

Le dirigeant magyar et son camp politique parient sur une importante présence numérique, parfois mâtinée d'humour, afin de rajeunir leur auditoire et se maintenir au pouvoir.

Viktor Orbán prononce un discours lors de la fête nationale du 20 août, en 2020, au Parlement de Budapest. | Attila Kisbenedek / AFP
Viktor Orbán prononce un discours lors de la fête nationale du 20 août, en 2020, au Parlement de Budapest. | Attila Kisbenedek / AFP

«Hahó Facebookosok!» («Salut les Facebookeurs!»). En ce 23 février 2021, ton patelin et tablette en main, Viktor Orbán appelle ses abonnés à remplir une consultation nationale en ligne sur la gestion de la crise sanitaire. Le réseau social de Zuckerberg incarne la vitrine de prédilection du dirigeant hongrois. Qu'il emmène des cornichons maison au bureau, accorde son interview du vendredi matin à la radio publique, ferraille avec Bruxelles, allume les bougies de l'Avent ou se fasse injecter le vaccin chinois, Orbán abreuve de photos et de vidéos son million de fans, soit 10% de la population magyare.

Au début de la pandémie, la page d'Orbán le montrait récupérant, sans protection, des masques et des respirateurs provenant de Chine à l'aéroport international Franz Liszt, enchaînant les rendez-vous sur une bande-son ultra testostéronée digne d'une production de Michael Bay, et réunissant son conseil de guerre anti-Covid sur une musique épique, en mode les super-Magyars contre le virus.

Aujourd'hui, la troisième vague frappe durement la Hongrie mais Orbán parade toujours sur Facebook, où on le voit signer des décrets, réceptionner 450.000 doses du vaccin Sinopharm et narguer un adversaire au Parlement.

Une stratégie imitée par ses ministres

Certaines figures du gouvernement imitent l'implication de leur patron sur la plateforme californienne pourtant accusée de partialité et de censure. La ministre de la Famille, Katalin Novák, met en avant les mesures natalistes de l'exécutif la semaine et dévoile les pâtisseries qu'elle confectionne le week-end. La ministre de la Justice, Judit Varga, consacre une vaste partie de son fil à tacler la gauche, les libéraux et la Commission européenne. Le ministre de l'Économie, Mihály Varga, partage ouvertures d'usines, échanges avec les décideurs, investissements et programmes de soutien aux entreprises en difficulté.

Facebook permet à Orbán de ratisser large à un an des élections législatives.

Tandis que le ministre des Affaires étrangères, Péter Szíjjártó, documente ses périples diplomatiques avec l'aide d'une équipe de spécialistes. «Au-delà des dix-sept collaborateurs du service de presse du ministère, un staff de dix personnes incluant notamment deux photographes, un monteur et deux caméraman œuvre à son service. Ceci explique probablement pourquoi Szijjártó est le ministre le plus populaire sur les réseaux sociaux. Alors que seulement 80.000 personnes le suivaient au printemps 2020, le contingent a dépassé les 200.000 en quelques mois», écrivait mi-janvier l'hebdomadaire HVG.

Si Novák, Varga et d'autres piliers de la majorité Fidesz ont investi Twitter, Orbán fuit le déversoir favori de Donald Trump, dont il espérait la victoire en novembre. Néanmoins, outre l'armada de médias papier, radio et web soumis au régime, Facebook permet au tribun magyar de ratisser large à un an d'élections législatives s'annonçant plus difficiles que les précédentes face à un front uni d'opposition. Son compte Instagram (101.000 followers) et son nouveau site officiel en anglais complètent une stratégie numérique soigneusement étudiée alternant messages politiques et humour calibré pour internet.

Chou farci et cravates de Berlusconi

En parcourant la rubrique fun facts du portail primeminister.hu, le visiteur apprend notamment qu'Orbán maîtrise l'art du «tue-cochon», adore le chou farci, vénère le film Il était une fois dans l'Ouest, conserve des cravates offertes par Berlusconi et laissa deux dents lors de son premier match de hockey. Dans l'onglet vie personnelle, Orbán est à la fois «père de famille» (cinq enfants), «homme de foi» (calviniste), «intellectuel» rencontrant penseurs et artistes, «campagnard» originaire du village de Felcsút (1.600 habitants) et «sportif» (en l'occurrence, ancien joueur de foot et mordu de ballon rond).

Des vignettes dans l'onglet vie personnelle, sur le site du Premier ministre hongrois. | Capture d'écran via primeminister.hu

Dans la catégorie homme de pouvoir, il serre la main des dirigeants éminents de la galaxie national-populiste: le polonais Kaczyński, le slovène Janša, le chinois Xi Jinping, le serbe Vučić, le groupe de Visegrád (Hongrie/Slovaquie/Tchéquie/Pologne), l'israélien Netanyahou, dont il a puisé ses campagnes anti-Soros, le britannique Johnson, son camarade russe Poutine dont il est le meilleur allié dans l'UE, son autre grand allié le turc Recep Tayyip Erdoğan auquel il déroule le tapis rouge et le brésilien Jair Bolsonaro. Macron et Merkel sont relégués tout en bas à droite sous la dénomination «l'axe franco-allemand».

Sur son site, Viktor Orbán affiche ses rencontres avec de grands dirigeants. | Capture d'écran via primeminister.hu

«De la fondation d'un mouvement anticommuniste en Hongrie occupée par les Soviétiques jusqu'à ses quatre mandats de Premier ministre, Viktor Orbán s'est battu pour l'unité nationale et l'indépendance de la Hongrie depuis le début de sa carrière politique», indique la page principale du site arborant la couleur orange de sa formation Fidesz, lancée fin mars 1988. «Il est un conservateur social, un partisan du renouveau chrétien-démocrate en Europe, un combattant de la liberté ainsi qu'un opposant virulent à l'immigration de masse», développe au sujet de l'homme fort de Budapest le portail hagiographique.

La homepage du nouveau site officiel de Viktor Orbán. | Capture d'écran via primeminister.hu

Autour de Noël, Orbán défrayait la chronique en s'inscrivant sur Hundub, pâle copie complotiste de Facebook certifiée «hongroise», «sans censure» et prônant une liberté d'expression quasi illimitée. À l'époque, le député indépendant Ákos Hadházy accusait «l'argent sale du clan Orbán» d'alimenter le réseau conspirationniste sauce QAnon. Les bienfaiteurs off-shore du site ont claqué la porte et des conversations privées contenant des douzaines d'images pédopornographiques –devenues accessibles pour tous les utilisateurs de Hundub à cause d'une faille de sécurité–, lui ont valu une enquête de police.

Chasse aux likes

Avant de dominer la facebooksophère magyare et de reprendre triomphalement, en avril 2010, le contrôle de la Hongrie, déjà dirigée entre 1998 et 2002, Viktor Orbán partait à l'assaut de YouTube. Dans des vidéos estampillées OVTV, il scénarisait l'une de ses journées à la manière d'un épisode de 24 heures chrono, arpentait la Transylvanie accompagné de son épouse Anikó Lévai, jouait au billard en marge d'une visite politique à Debrecen, tâtait le cuir avec le FC Felcsút, assistait à un congrès du Parti Populaire européen (que le Fidesz vient de quitter) à Varsovie ou découpait minutieusement un porc.

Sur Facebook, le roi des politico-influenceurs hongrois endosse le costume de capitaine de la nation et de grand-père comblé gaga de son cinquième petit-enfant arrivé en octobre. Tout aussi conscients de l'impact des réseaux, ses principaux opposants cultivent leurs personnages de bon gars cordon bleu (l'ex-Premier ministre Ferenc Gyurcsány), de «boy next door» millennial (András Fekete-Győr du parti libéral Momentum), de fils de la plèbe (Péter Jakab du Jobbik), de cool mais sérieux (Gergely Karácsony maire écologiste de Budapest).

La chaîne PestiTV financée par des magnats pro-pouvoir et la communauté conservatrice Megafon ont récemment émergé afin de contrer le bloc anti-Orbán sur les réseaux et de reconquérir la génération Facebook. «L'intensification de la stratégie social media du Fidesz est non seulement le fruit du revers aux élections municipales de l'automne 2019, mais aussi le reflet de la volonté d'appâter les jeunes que le parti peine à séduire», observe le site 24.hu. Pas sûr cependant que la chasse aux likes du Fidesz, au coude à coude avec l'opposition unie dans les sondages, suffise pour garder les rênes du pays en 2022.


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