Cet article est publié en partenariat avec Quora, plateforme sur laquelle les internautes peuvent poser des questions et où d'autres, spécialistes du sujet, leur répondent.
La question du jour: «Le temps existe-t-il?»
La réponse d'Alexander Holmes:
De prime abord, on pourrait dire que le temps n'existe pas car c'est simplement un concept humain, qui nous est utile afin de rendre intelligible l'évolution de notre environnement tout entier. Mais est-ce vraiment cela? La tragédie de l'être humain, c'est que le temps est d'une part nécessaire à nos vies et y possède une grande place, mais il demeure insaisissable. Le passé n'est plus; lorsque nous voulons le retenir, le présent n'est pas; le futur n'est pas encore.
Il est de ce fait impossible de se représenter le temps sans l'altérer, car, comme le souligne Bergson, «le temps n'est pensable que par la spatialisation qui le rend visible». Court, long ou l'impression qu'il défile vite ou lentement ne dépend que de nos perceptions subjectives. En somme, puisque nous sommes des êtres temporels inscrits dans le temps, nous ne pouvons nous le matérialiser objectivement, c'est-à-dire en dehors de nous, mais uniquement depuis la perception que l'on s'en fait à travers nos expériences personnelles.
Une définition du temps
Marcel Proust, auteur d'un des romans phares de la littérature de XXe siècle, de plus de 2.000 pages et nommé À la recherche du temps perdu, explore différents sens de la vie, pour découvrir qu'à terme tous les sens sondés sont en réalité dépourvus de valeurs. Proust établi de ce fait que les plus grands maux des êtres humains sont la lassitude et l'habitude. Peu importe où l'on aiguille nos vies. Incessamment, nous ressentons cette sensation.
En tant qu'adultes, nos vies routinières et plutôt banales nous enferment dans une conception de l'existence maussade qui nous empêche de voir la beauté du monde. La solution qui permet de retrouver ce sens tant cherché pour Marcel Proust est l'art, car il offre la possibilité de percevoir le monde sous un œil ébloui d'enfant. L'enfant symbolise l'innocence vis-à-vis des sens. Son regard découvre ce que le monde adulte a perdu et qu'il recherche en vain. Tels des jeunes n'ayant pas de passé, ce regard découvre le présent pour la première fois.
Proust par Jacques-Émile Blanche. | via Wikimedia Commons
Afin d'étayer la pensée de Marcel Proust, nous devons nous pencher sur le philosophe qui l'a inspiré en partie dans ses idées concernant le temps, Henri Bergson.
Des qualités immuables
Le temps se définit par son hétérogénéité, sa constance, excluant toute quantité ou mesure. Il apparaît tel un sablier éternel qui ne plie sous aucune inclinaison subjective.
Nous seuls êtres humains marquons le temps qui passe par des anniversaires, des fêtes ou des commémorations. Cependant, la vraie nature du temps est de demeurer identique à lui-même. Pour votre chat ou votre chien, il n'aura pas plus de signification qu'autre chose. Nous ne sommes que des grains de sable parmi l'étendue comprise dans le sablier, mais des grains ayant peut-être de l'importance pour d'autres. Des grains temporels.
Lorsque nous écoutons une musique, nous ne nous représentons pas chaque note mais la mélodie dans son ensemble.
Nous avons tendance à considérer la mesure du changement et le changement comme du temps, alors qu'ils représentent l'expérience spatiale et non le temps en lui-même. Par conséquent, Bergson pose le principe de durée, qu'il distingue de la notion de temps.
La durée est un flux constant de nouveauté que l'on ressent tous subjectivement et qui nous définit en tant qu'êtres humains. Le plus important à retenir, c'est que nous ne pouvons segmenter la durée. Elle est indivisible et une. Si nous le faisons, cela revient à spatialiser la durée. Cela nous ramène au principe d'espace-temps.
Lorsque nous écoutons une musique, nous ne nous représentons pas chaque note qui va après l'autre mais la mélodie dans son ensemble. Dès lors, nous abordons ce qui à trait à la mémoire. La partition indique des notes qui se suivent. Néanmoins si l'on s'attache à l'observer de plus près, nous constatons qu'une partition est composée de ses notes, mais aussi du silence qu'il y a entre elles. Silence + notes = un ensemble que l'on nomme partition. De même qu'une partition est autant composée de silence que de notes, la mémoire est constituée d'autant d'oublis que de souvenirs.
Les petites madeleines plongent Proust dans ses souvenirs d'enfance. | Jonathan Pielmayer via Unsplash
L'un des symboles les plus connus de Marcel Proust sont les petites madeleines. Dans un tome de La recherche, une tasse de thé lui rappelle un plaisir qui le ramène en enfance, à la redécouverte d'un plaisir magnifique qu'il avait oublié. Ce que l'auteur apprécie dans l'enfance, c'est cette surprise, cette ébahissement que l'on ressent à chaque chose que l'on découvre, que ce soit un simple paysage ou une madeleine. S'il a oublié la madeleine, elle n'a jamais cessé de faire partie de lui. Elle est simplement revenue sous forme de souvenir grâce au thé. Cette musique, pourtant oubliée, vous ramène en enfance lorsqu'elle vous revient. La mémoire n'est pas alors une collection de souvenirs, mais un tout. La madeleine y a laissé une trace.
L'un des paradoxes de Zénon d'Élée
Dans le paradoxe de la flèche, nous imaginons une flèche en vol. À chaque instant, elle se trouve à une position précise. Si le temps est une succession d'instants et que chaque instant est un moment où le temps est arrêté, le temps n'existe pas. La flèche est donc toujours immobile à chaque instant et ne peut pas se déplacer: le mouvement est donc impossible.
Zénon d'Élée souligne la présence de l'immobilité au sein de la mobilité. Le paradoxe repose sur l'association des immobilités formant la mobilité. Une photo de nous à l'âge de 5 ans ne rendra compte de l'immobilité qu'à partir du moment où nous la comparons à notre vie actuelle, qui est mobile.
Le temps s'oppose à la durée, ce flot en perpétuelle inconstance qui se manifeste dans nos vies.
Pour conclure, le temps existe, entier et constant. On ne peut le contrôler. Il est insaisissable, nous ne pouvons le capturer. Comme une rivière, il ne s'arrête jamais. Nous devons lui opposer la durée, ce flot en perpétuelle inconstance qui se manifeste dans nos vies et que l'on confond avec ce que l'on nomme «temps». Lorsque nous avions 8 ans, l'attente était insupportable. En grandissant, elle l'est beaucoup moins. Le temps n'était pas alors plus court ou plus long. La perception que l'on se fait de la durée des événements est subjective.
Nous percevons donc le temps comme un écoulement des faits passés et à venir. Tout ce qui a existé est toutefois toujours présent en nous, car nous sommes des êtres temporels, que l'on en ait conscience ou non. Si nos souvenirs sont des moment précis que nous faisons remonter au présent, tout ce que l'on peut oublier ne cesse de nous influencer et d'avoir une existence au gré de nos vies. La mémoire n'est alors pas oubliée ou souvenue, mais les deux à la fois. Tel le silence entre chaque note et les notes elles-mêmes dans une musique formant le tout.
Nous pouvons aussi parler d'univers parallèles. Plus précisément de lignes d'univers qui impliquent une quatrième dimension, plutôt qu'une conception linéaire allant du passé vers le futur. Tel l'effet papillon ou l'intrication quantique. Le déjà-vu n'est peut-être pas une illusion générée par le cerveau, tout compte fait…