Voilà deux semaines que je ne suis plus connecté à Internet. Il a fait inhabituellement chaud dans le Vermont. Aujourd'hui, le thermomètre a dépassé les 25°C, on se croirait déjà en été. En deux semaines, deux saisons ont passé: la saison boueuse du dégel, et le printemps. Je ne sais pas si c'est la météo ou ma privation d'Internet qui me désoriente le plus.
Jusqu'au moment où je me suis déconnecté, j'étais sérieusement shooté à Internet. La fureur des matchs de basket universitaires de mars avait aggravé ma folie. Toutes les parties de cette année étaient retransmises en direct sur Internet et j'étais incapable de m'arracher à mon portable. Je regardais des matchs de basket sans discontinuer les premiers jours du tournoi, tout en tâchant de régler le plus d'affaires possible en ligne avant de me déconnecter officiellement. J'ai écrit des mails frénétiques à des amis et à des collègues, organisé les vacances d'été, et envoyé des photos de mes enfants à ma famille. J'ai rassemblé le matériel dont j'avais besoin pour un livre que je publie sur l'artiste-illustrateur Denys Wortman et préparé le lancement de ma bande dessinée Market Day.
Un vendredi matin, j'ai rencontré Michelle, une collègue calée en informatique qui a accepté de m'aider à couper la connexion de mon ordinateur. Elle m'a aussi aidé à mettre au point une réponse automatique aux mails, indiquant à mes correspondants mes dates de déconnexion (jusqu'à mi-juin) et les informant que leurs mails ne seront pas lus. Le message comprend mon numéro de téléphone portable et invite quiconque aurait besoin de me contacter à me téléphoner.
Au cours de ma dernière heure d'utilisation d'Internet, j'ai répondu immédiatement à tous les mails entrants. Pendant les 15 dernières minutes, j'ai ressenti une poussée d'adrénaline alors que je reprenais contact avec un vieil ami de fac (perdu de vue depuis 18 ans), organisais des rendez-vous avec des étudiants, fixais les détails d'une future conférence par l'auteur et illustrateur Mo Willems au Center for Cartoon Studies, et acceptais de donner des œuvres à un collecteur de fonds au bénéfice d'un centre de santé communautaire de Burlington. J'ai envoyé un mail collectif à des amis et des collègues de New York pour les inviter à un événement organisé à la librairie Strand. Pendant tout ce temps, j'avais le match de l'université du Wisconsin en toile de fond. Mon université menait un combat serré et ça me faisait suer de devoir me déconnecter avant la fin. L'idée d'attendre le lendemain matin pour lire le score final dans le Valley News me paraissait inconcevable.
J'ai plongé dans le premier week-end défoncé par ma came virtuelle et prêt à faire une pause. Dans la voiture, en revenant du CCS, j'ai pu entendre le score du Wisconsin sur la station de radio sportive locale. Les Badgers s'en étaient sortis dès la première partie. C'était sûrement un signe que les quatre mois de mon jeûne d'Internet ne seraient pas aussi durs que je le craignais, bien que deux jours plus tard, une équipe moins bien classée les ait écrasés. Baylor? Butler? Je ne m'en souviens plus. Quelqu'un peut faire une recherche sur Google pour moi?
À l'aube du lundi, j'étais convaincu que mon téléphone allait sonner toute la journée. Lundi est venu, et est reparti. J'ai reçu un seul appel -ma femme, qui me demandait d'aller chercher notre fille à l'école. Je ne savais pas trop quoi en penser. Est-ce que personne n'allait m'appeler? Est-ce que l'effort de décrocher un téléphone allait décourager les contacts? Je suis quelqu'un d'important! Merde alors!
Mes paramètres n'étaient peut-être pas les bons. Je reçois plus de 40 mails par jour en semaine (sans compter les spams et les messages où je ne suis qu'en copie). Même les échanges les plus basiques peuvent finir par générer trois ou quatre messages. Quelqu'un vous envoie un mail sur quelque chose, vous répondez, il répond, etc. Les mails génèrent les mails. Combien sont réellement importants? Peut-être que l'absence de coups de fil signifie que la plupart d'entre eux ne l'étaient pas. Peut-être après tout ne suis-je pas quelqu'un d'important.
Le mardi, je suis allé à Cambridge pour assister à Story 3.0, un congrès organisé par le Center for Future Storytelling du Massachussetts Institute of Technology. Ce congrès promettait d'«ébranler notre façon de concevoir l'élaboration et le partage des expériences basées sur les histoires au XXIe siècle». Je plaçais de grands espoirs dans ces conférences. Quel meilleur endroit pour voir ce que j'allais rater en étant déconnecté d'Internet que l'épicentre de la technologie de pointe, le Media Lab du MIT? J'avais hâte d'assister à des conférences approfondies et à des tables rondes de grands intellectuels sur des sujets comme la relation entre récit et technologie, et de découvrir comment les histoires de demain seront «plus personnelles, réactives, créatives, démocratisées et attrayantes».
Hélas, suite au mauvais fonctionnement de mon GPS, Michelle et moi sommes arrivés avec une heure et demie de retard (je n'aurais sans doute pas dû utiliser de GPS en fait; j'y repenserai un peu plus tard). Une fois là-bas, je me suis trouvé un siège dans une petite salle de conférence bien pleine et j'ai regardé un producteur présenter fièrement une animation sans originalité pour un site Internet pas encore lancé, basé sur les livres La guerre des clans d'Erin Hunter, qui parlent de chats qui se font la guerre (ma fille de 9 ans adore). Il expliquait espérer que les lecteurs de La Guerre des clans allaient découvrir son site Internet et payer pour en voir le contenu. L'homme-chat clanique fut suivi par des représentants de Domino's Pizza et des jouets Hasbro. Les deux entreprises, nous apprirent-ils, étaient en difficulté avant d'exploiter la puissance du Web qui leur avait permis de se réinventer. Les ventes de pizzas et de jouets ont explosé. Tout le monde était ravi.
Moi je crevais d'ennui. Toute la journée, un flot continu de charabia justifia le rôle de la technologie dans l'avenir des contes (les pionniers des contes, y ai-je appris, comprenaient le «contexte de la consommation sociale», et créaient un «univers d'histoire communicatif explorable par les fans»). J'ai laissé tomber la conférence et je suis retourné à White River Junction, plus résolu que jamais à me réinventer sans Internet.
Cette question m'a été posée sans arrêt. Les gens pensent que tout cela est un peu louche. J'utilise encore mon ordinateur pour taper, simplement, je ne suis plus connecté à Internet. Et un de mes étudiants, Pat, m'aide pour cette chronique. Je mets mon document Word et mes dessins (scannés) sur sa clé USB, et il envoie le tout à mon rédacteur en chef, qui me renvoie par fax les modifications pour qu'on en discute. «Ce n'est pas de la triche?» me demande-t-on. «Pat est mon shabbes goy», réponds-je.
Mais me retrancher d'Internet n'a pas été facile, et décider de ce qui est et de ce qui n'est pas dans l'esprit de ce projet a nécessité une gymnastique mentale digne d'une analyse talmudique. Le Web s'est implanté plus profondément dans ma vie familiale que je ne le pensais. Il y a certaines choses dont je ne me soucie pas, comme quand ma femme fait la cuisine en écoutant un podcast ou Pandora. Je ne vais pas mettre des boules Quiès ou quitter la pièce, ou exiger qu'elle arrête d'écouter. Notre Roku, un appareil qui relie notre télévision à Internet et permet de regarder les films de Netflix en streaming, pose un problème plus tordu. Voici ma solution: je ne vais pas sur Internet pour gérer notre abonnement Netflix, mais je suis ravi de regarder un épisode de 30 Rock si Rachel l'a déjà mis en route. Même si je sais parfaitement qu'elle télécharge le contenu sur Internet, il est possible que ce soit un DVD, après tout. Je reste délibérément dans l'ignorance; c'est ma version très personnelle du «pas vu, pas pris».
L'un des avantages à être déconnecté pour l'instant est que je dessine bien plus qu'avant. Je savais que m'engager à écrire cette chronique me forcerait à être productif, mais la facilité avec laquelle mon temps de connexion s'est transformé en temps de création me réchauffe le cœur. Au cours des deux dernières semaines, j'ai déjà rempli d'aquarelles un album photo 4"x6" de 40 pages (je les achète dans des magasins «tout à 99 cents»). Ce travail semble encourager à la patience (je dois littéralement attendre que la peinture sèche), alors que sur le Web, j'étais un enfant hyperactif à la capacité de concentration nulle.
De quoi parlent ces peintures? Difficile à dire. Peut-être le robot représente-t-il la technologie? Peut-être l'éléphant incarne-t-il la mémoire? Je n'ai aucune idée de ce que le rabbin vient faire là. Ma judaïté? Peut-être cette série de dessins va-t-elle déboucher sur un travail productif, peut-être pas. Dans les deux cas, au moins j'ai quelque chose à montrer pour justifier d'innombrables heures de comportement compulsif.
Pour voir tous les dessins que j'ai faits depuis mon sevrage d'Internet, cliquez ici -Pat les a téléchargés sur une page Flickr pour moi.
P.S.: je viens de recevoir la première vague de courrier de mes lecteurs. De vraies lettres! Écrites à la main! Dingue! Je répondrai bientôt et commencerai à intégrer vos réflexions dans la prochaine chronique. Continuez d'écrire, car je n'ai pas d'autre moyen de lire vos commentaires: The Center for Cartoon Studies, Attn: James Sturm, P.O. Box 125, White River Junction, VT 05001, United States.
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-Mais si l'audiobook est d'abord téléchargé dans l'ordinateur de ma femme et qu'ensuite je le charge dans mon ipod...
- Attends, je vais juste voir sur le forum...
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