Longtemps nous nous souviendrons de cette année. De cette masse lourde de jours qui nous ont vu aller de confinement en confinement, d'une mesure sanitaire à l'autre, dans cet engourdissement de la volonté qui est le propre des esprits rendus apathiques par l'absence d'horizon. Et l'accumulation de journées toutes semblables, toutes monotones, sans joie ni éclat, a achevé de nous rendre moroses comme si nous portions un deuil qui jamais ne finirait.
Soudain, nos vies se sont figées. Les semaines ont filé, les mois ont passé et nous sommes restés là à les regarder aller, somnolents d'une existence dont chaque seconde ressemblait à la précédente, une sorte d'éternelle répétition, d'un bégaiement qui aurait été celui du temps immobile.
Hier s'est mis à ressembler à aujourd'hui, aujourd'hui à demain, une journée à l'autre, et peu à peu, pris entre les tenailles de cette pandémie, nous nous sommes repliés sur nous-mêmes, bientôt indifférents à tout, aux morts comme aux annonces gouvernementales, amers d'une vie qui n'avait plus rien d'autre à nous offrir que des perspectives mortes-nées.
Parallèlement, le simple fait que rien n'est venu égayer nos journées a eu comme effet d'abolir la notion même de durée, de contracter le temps au point où, arrivés de nouveau au mois de mars, nous sommes tout surpris de constater que nous sommes plus vieux d'une année. Où a-t-elle bien pu passer cette année, nous nous demandons, comme si quelque part elle s'était déroulée hors de nous, hors de nos vies, hors de ce temps immobile qui nous a retenus prisonniers à l'intérieur de nos appartements.
L'année a filé mais nous, nous sommes restés à quai comme des passagers d'un train dont on annoncerait toutes les cinq minutes l'imminence du départ, une promesse sans cesse répétée, sans cesse démentie, attitude qui a eu le don de nous exaspérer et de nous scandaliser avant que nous décidions d'en prendre notre parti. On s'en irait un jour. Dans une semaine, dans un mois, dans une année. Qui sait? Peut-être même jamais.
Un an plus tard, le virus reste au centre de nos vies. Nous aimerions bien divorcer de lui, lui dire adieu une bonne fois pour toutes mais il est comme ces amants dont on voudrait se séparer mais qui continuent nuit après nuit à nous rendre visite, prenant ses aises comme s'il comptait ne jamais repartir. Il nous suit partout et son ombre se répand comme une malédiction, une sorte de punition divine dont on ne connaîtrait ni les ressorts, ni les raisons, si ce n'est celle de la rencontre du hasard et de l'infortune.
Il y a un an, nous découvrions les masques et leur charme relatif. Aujourd'hui nous les portons avec la même légèreté d'un soldat qui chaque matin repartirait à la guerre. Nous sommes fatigués, d'une fatigue qui serait tout à la fois celle du corps et celle de l'âme, quelque chose de gluant et de poisseux, une sorte d'accablement qui ne dirait pas son nom quand on repousse mois après mois le jour de notre prochaine délivrance.
L'été nous fait de l'œil mais on vient à se méfier de lui. Qui sait si ce n'est pas un mirage qui s'effacera quand nous serons rendus dans ses parages. On ne peut compter que sur nous-mêmes. Et encore. Notre fragilité est apparue au grand jour. Nous sommes moins forts qu'on aurait pu le penser. L'Occident a failli et c'est d'un air envieux que nous regardons des pays lointains qui ont domestiqué le virus, indignés que notre génie national n'ait su les imiter. À quoi bon dominer le monde si c'est pour s'effondrer à la première déconvenue rencontrée?
Oui, à quoi bon?
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