Si ce n'était le format 100% numérique, la fashion week parisienne s'inscrirait dans une sorte de normalité. Les maisons (quatre-vingt-quatorze dans le calendrier officiel) ont présenté sous différentes formes leur collections d'hiver comme si le temps allait reprendre son cours.
Au programme: de vraies propositions pour se blottir dans ces nouvelles enveloppes et augurer d'un hiver peut-être imperméable à la pandémie. Des collections où l'esprit du lieu voyage, allant d'un Paris de carte postale à des endroits futuristes inhabités en passant par la neutralité classique de l'esquisse d'un podium.
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Les vêtements prennent de l'ampleur
Les propositions s'exacerbent, les manches s'allongent et les carrures s'élargissent, l'oversized signe de nombreux cocons d'hiver. Les manteaux jouent l'ampleur, les doudounes l'épaisseur et le matelassé se pose en signature.
Dries van Noten présente de grands paletots masculin-féminin aux carrures démesurées, sans oublier le raffinement des imprimés où le créateur excelle depuis toujours. Anrealage conçoit de grands manteaux aux imprimés en cours de disparition (les inventions d'ordre technologiques sont toujours de mise) et des robes bouillonnées où se lover comme dans des cocons colorés. Uma Wang continue son exploration de mélanges de tissus dans de grands manteaux dont les bords francs donnent un côté brut. Chez Loewe, Jonathan Anderson donne une leçon de mode et propose des manteaux amples de forme trapèze avec ajout de manches arrondies, mélange de tissus, de couleurs pour un résultat «arlequin». Miyake adresse une ode à la nature où, dans un souffle, les robes amples ondulent et gonflent sous l'effet du le vent.
L'opulence des doudounes va réchauffer l'hiver. Maxi et spectaculaire chez Rick Owens, ces vestes matelassées se déclinent aussi en accessoires, à l'image de manches travaillées façon duvet. Chez XULY.Bët, une grande capuche coiffe le modèle à fleurs qui évoque les poupées russes. Couleurs pastel et volumes ondulants caractérisent le style chez Nehera. Jarelzhang multiplie les effets matelassés et leur ajoute un côté pratique en les agrémentant de poches. L'exacerbation du volume se fait sur le ton de l'humour chez Nina Ricci avec ses vêtements «gonflables». Véronique Leroy évite la doudoune classique en réservant le matelassé pour le côté intérieur des blousons de ville.
L'oversized est particulièrement visible chez Vuitton où le blouson démesuré est composé d'un mélange de matières. Il se porte avec de petites jupettes en mousseline et des bottes d'hiver. Balmain élargit les carrures à l'aide d'une maille brillante et matelassée. Le poncho a aussi droit de cité chez Chloé ou Zadig et Voltaire.
Tout schuss
Plusieurs créateurs se sont inspirés des vacances à la neige. Enfants Riches Déprimés joue le côté survie dans un univers glaciaire. Situationist nous entraîne dans un village de montagne semé de petits chalets sous la neige où il fait bon porter des tenues confortables et chaudes, format oversized.
Chanel emboîte le pas avec ses bottines d'hiver façon après-ski en fourrure. Plein hiver pour Miu Miu qui tricote et crochète les accessoires de ses silhouettes bibendum bleu ou blanc glacier. C'est le pompon avec Thom Browne qui dévale les pistes avec humour et fantaisie: jupe doudoune matelassée et démesurée, moufles en trompe-l'œil. Quant au smoking chic, il se téléscope avec le sportswear.
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Signes pandémiques
L'ombre du Covid plane un peu sur les présentations avec le choix d'utiliser des masques sur les visages. Nehera traite le sujet avec humour: le premier mannequin joue le remake de la femme invisible avec, en guise de bandages, un masque chirurgical. Pour prendre forme et vie, le modèle se sert d'une seringue, un accessoire de circonstance par les temps qui courent. Dans son spectaculaire défilé sur une jetée face à la mer, Rick Owens opte pour des visages masqués.
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— RICK OWENS (@RICKOWENSONLINE) March 4, 2021
Chez Givenchy, les filles portent une cagoules. Miu Miu a confectionné des masques au crochet. L'idée la plus originale revient à Anrealage et a ses visières quasi transparentes surplombée d'une perruque hirsute faisant la part belle aux couleurs vives.
Éco cum scientia
D'autres sujets d'actualité s'invitent un peu dans les collections: le recyclage et l'écologie. Chez Marine Serre pour laquelle le surcyclage est une grande préoccupation, tout un passage en images remonte à la source des matériaux qui seront récupérés et transformés: foulards de soie, pièces de cuir, jeans, écharpes, tapis, linge de maison… Le duo Victoria/Tomas, qui avait choisi la saison dernière de proposer des vêtements réversibles, crée pour l'hiver un univers fait de mélanges et de combinaisons de pièces (buy less have more).
Lutz se fait le chantre de l'hybridation avec sa récupération de vestes en jean ou de bombers, et propose aussi un do-it-yourself pour modeler un top original juste en découpant un tee-shirt avec une paire de ciseaux. Plusieurs créateurs et créatrices ont choisi d'expliquer leurs collections. Certains par une prise de parole directe: Jonathan Anderson pour Loewe, Lutz, Nicolas Ghesquière pour Vuitton. D'autres via une conversation indirecte chez Ester Manas qui donne la parole à des femmes à propos de la sororité (In women we trust).
Du côté de l'homme, point d'excentricité
Une semaine de collections au féminin mais où s'invite de plus en plus le masculin (Auralee, Koché, Zadig et Voltaire, Loewe, Thom Browne, Givenchy)… Une forme parfois un peu gémellaire où l'un est l'autre (Issey Miyake), mais qui ose des silhouettes avec un zeste de féminité (effet «robe», plumes…).
Une saison bien au chaud sur un mode optimiste avec des envies de voyages: l'avion de Balmain, l'Afrique de Thebe Magugu, le trajet imaginaire Shanghai-Paris de Jarelzhang… Des modèles globalement assez sages, mais où se retrouve un sentiment de protection, à l'abri dans un beau cocon. Audace et folie reviendront peut-être plus tard. En attendant, l'hiver 2021 sera chaudement emmitouflé.