Santé / Société

Migraines sévères: ce traitement innovant dont la France ne veut pas

Temps de lecture : 6 min

Le monde médical tire la sonnette d'alarme, dénonçant des discussions qui patinent et un sexisme sous-jacent.

«C'est frustrant de savoir qu'un traitement existe et qu'on n'y a pas accès.» | Gerd Altmann via Pixabay 
«C'est frustrant de savoir qu'un traitement existe et qu'on n'y a pas accès.» | Gerd Altmann via Pixabay 

La migraine concerne 15% de la population. Selon l'OMS, elle est même la troisième maladie au monde en termes de fréquence. Parmi les traitements existants, des anticorps monoclonaux apparaissent comme miraculeux pour certains patients, mais ne sont toujours pas disponibles en France.

«Un problème de bonnes-femmes», «une excuse pour se soustraire au devoir conjugal»… Dévalorisée dans la société, la migraine est loin d'être une maladie anodine. La professeure Anne Ducros, neurologue au CHU de Montpellier et présidente de la Société française d'étude des migraines et céphalées (SFEMC) raconte: «Certains de mes patients vont se cacher dans les toilettes de leur entreprise pour vomir, d'autres se bourrent de médicaments, les vomissent et mettent en danger leur santé.»

Aux vomissements s'ajoutent des «troubles digestifs, une hypersensibilité au bruit, à la lumière, ou encore des troubles de la concentration», explique la docteure Christelle Créac'h, responsable du centre d'évaluation et traitement de la douleur du CHU de Saint-Étienne. Alors, pour traiter la migraine et ses symptômes, les patients ont deux solutions: «Soit ils prennent des anti-inflammatoires ou des triptans quand ils font une crise, soit ils optent pour un traitement de fond. Tout dépend du type de migraine.»

Selon la professeure Anne Ducros, «si une partie des patients supporte bien les médicaments mis à leur disposition, on estime, en France, entre 18.000 et 38.000 migraineux sévères et réfractaires». Comprenez, qui subissent des migraines chroniques et pour qui rien ne marche.

Un produit «magique»

Pour cette catégorie de migraineux, une lueur d'espoir semble pourtant apparaître depuis peu. «Nous pouvons désormais diviser par deux la fréquence des crises et obtenir parfois leur quasi-disparition chez environ un patient sur deux, souffrant de formes sévères, grâce à une nouvelle famille thérapeutique: des anticorps monoclonaux anti-CGRP à s'injecter sous la peau, via une piqûre une fois par mois ou par trimestre», informe Christelle Créac'h, spécialiste des traitements de la douleur.

Ce fut le cas pour Laura Vanel-Coytte, professeure documentaliste et écrivaine: «J'ai participé aux essais cliniques [avec 691 autres patients, ndlr]. Durant le traitement, mes crises ont diminué de moitié», explique-t-elle. Le cas de Laura Vanel-Coytte n'est pas isolé puisqu'il y a eu «quelques centaines d'essais l'année dernière. Les laboratoires pensaient obtenir un remboursement de leurs traitements et ainsi pouvoir conquérir le marché français», explique Anne Ducros.

«On s'est aperçu que 7 patients sur 10 allaient mieux avec ces anticorps. Parmi eux, il y a eu un tiers de miraculés qui ne sont plus malades du tout, un autre tiers pour qui cela a très bien marché avec une baisse d'au moins 50% de leurs crises et un dernier tiers chez qui il y a eu 30% d'amélioration, ce qui est cliniquement pertinent», détaille l'experte de la migraine. Pour une autre patiente, Françoise Leonard, infirmière à la retraite, la prise des anticorps a été «magique»: «Je suis passée d'une dizaine de crises chaque mois à zéro. Pour moi qui ai des migraines depuis mes 14 ans, ce traitement a changé ma vie.» Et si, comme avec tous les médicaments, les effets secondaires existent, Christelle Créac'h observe une «excellente tolérance globale».

«Ce que nous dit la Haute Autorité de Santé, c'est que les chiffres sont insuffisants.»
Christelle Créac'h, responsable du centre d'évaluation et traitement de la douleur du CHU de Saint-Étienne

Seulement voilà, cette innovation majeure, «fruit de trente ans de recherche et saluée par l'ensemble des neurologues», ne voit pas le jour en France. Pourtant, des produits du genre sont déjà commercialisés aux États-Unis et dans dix-sept pays d'Europe, comme en Suisse où 1.600 personnes se soignent avec l'Erenumab (fourni par Novartis). Dans l'Hexagone, la Haute Autorité de Santé (HAS) a décrété que ces anticorps n'apportaient «pas de progrès dans la prise en charge des migraines».

Contactée par Slate, l'autorité publique a précisé s'être «prononcée en faveur de ces médicaments qui avaient un intérêt clinique modéré», mais affirme que «ce qui bloque, c'est que l'Amélioration du service médical rendu (ASMR) n'est pas conséquente, car il n'existe pas d'études comparatives par rapport aux autres traitements». La HAS a ensuite ajouté s'être rendue «favorable à une prise en charge à condition de migraines de plus de huit jours par mois» mais rappelle que son avis n'est que consultatif et que «la décision revient au Comité économique des produits de santé qui doit établir un prix». Or, les discussions sont au point mort.

«Ce que nous dit la Haute Autorité de Santé, c'est que les chiffres sont insuffisants, les produits trop chers et la diminution des crises, trop faible. Ce qu'ils n'ont pas regardé, c'est la sous-catégorie des répondeurs [qui concernent les patients pour qui le traitement a permis une réduction des crises de plus de 50%, ndlr]», commente Christelle Créac'h, qui dénonce l'absence d'experts de la migraine dans cette institution.

Quid de la prise en charge?

En réponse, pour pouvoir apporter une solution aux patients, Novartis a accepté les conditions imposées par les autorités de santé visant à ce que son anticorps monoclonal anti-CGRP soit mis à disposition dans les pharmacies des hôpitaux à usage interne, avec une prescription restreinte aux neurologues hospitaliers, une délivrance et une administration mensuelle à l'hôpital et une prise en charge sur le budget de l'hôpital. Mais cette solution est critiquée par la SFEMC, présidée par Anne Ducros. Pour elle, cela conduirait «à des pratiques inégales sur le territoire». Les expertes de la migraine reprochent à la HAS de «se défausser du problème en laissant les neurologues hospitaliers porter sur leurs épaules la déception, voire la colère, des patients exclus», ajoute Christelle Créac'h.

C'est pour ces raisons que la société savante a envoyé, le 22 janvier, un courrier au ministre de la Santé, Olivier Véran, demandant de reprendre les négociations sur le remboursement des anti-CGRP. Elle explique également que les hôpitaux ne peuvent pas assumer financièrement tous les coûts. En effet, une seule injection du précieux anticorps coûterait environ 400 euros. La médecin craint donc une «pressurisation» des neurologues d'hôpitaux si un tel système est adopté.

Parmi les patients ayant participé aux essais cliniques au centre d'évaluation et traitement de la douleur stéphanois, les réactions ne se sont pas fait attendre: «Ils sont angoissés, en colère et ont le sentiment qu'on les a oubliés. Désormais, ils ne savent plus comment faire pour se soigner», explique la cheffe de service. Laura Vanel-Coytte ne peut pas se permettre d'aller en Suisse chercher le traitement: «Je suis veuve et je n'ai pas les moyens.»

Même constat pour Françoise Leonard. «J'étais prête à aller jusqu'en Belgique, mais à 500 euros la piqûre, ce n'est pas possible.» Depuis l'arrêt du traitement, ses crises sont reparties de plus belle: «C'est frustrant de savoir qu'un traitement existe et qu'on n'y a pas accès. Désormais, je dois reprendre des triptans qui ont des conséquences néfastes sur ma mémoire et me font somnoler.»

À ces patientes comme aux autres, il ne reste que deux possibilités, «acheter le produit à l'étranger ou pleurer», s'agace Anne Ducros. En Suisse, une injection coûte près de 580 euros, contre 480 au Luxembourg. Les expertes de la migraine savent qu'au vu du prix de vente, le gouvernement craint des abus. Pour elles, il ne s'agit cependant pas d'une raison valable. «On peut encadrer les patients facilement et on est prêt à accepter des conditions plus grandes. On fera tout ce qu'il faudra», prévient Anne Ducros. «On peut très bien imaginer un système de remboursement partiel par la sécurité sociale», renchérit Christelle Créac'h. C'est d'ailleurs le cas en Estonie, où six mois d'anticorps sont pris en charge. Les deux neurologues rappellent aussi que le traitement s'adresse à une poignée de migraineux «sévères et qui sont réfractaires aux autres traitements de fond».

Un fond de sexisme

Pour elles, si le retard s'accumule et les procédures s'éternisent, c'est parce que la migraine touche davantage les femmes que les hommes. «Dans l'esprit de beaucoup d'individus, il y a l'idée que la migraine est un problème d'hystériques et que c'est psychologique», désespère Christelle Créac'h. Au-delà de la minimisation de cette maladie invalidante, «c'est un vrai problème pour la recherche car si les laboratoires ne sont pas suivis, ils vont arrêter les mises à disposition dans notre pays», s'inquiète la neurologue du CHU de Montpellier. Pour faire pression sur le gouvernement, une pétition a vu le jour le 23 février pour demander un remboursement, au moins partiel, des injections.

À la SFEMC, les courriers s'accumulent et «on ne désespère pas d'obtenir un rendez-vous au ministère», affirme Anne Ducros. Autre lueur d'espoir: la publication prochaine d'une étude comparative. «Novartis a réalisé une étude clinique en Allemagne (étude HER-MES) auprès de 777 patients. Il s'agit de la première étude d'un anticorps monoclonal versus un comparateur actif dans la migraine», informe le laboratoire, avant d'ajouter que les résultats sont significatifs «tant sur la tolérance, que sur l'efficacité».

Ainsi, le groupe pharmaceutique va de nouveau soumettre son dossier à la HAS et espère «une meilleure reconnaissance de la valeur de cette thérapie et, en conséquence, une prise en charge en ville et un accès à un plus grand nombre de patients en France». Mais pour l'heure, l'incertitude reste totale et le casse-tête du remboursement toujours d'actualité.

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