Décidément, quelle famille! Brice Hortefeux vient de révéler qu'en plus de tout, Lies Hebbadj, le commerçant musulman, polygame présumé, qui retient l'attention du ministre de l'Intérieur depuis quelques jours bat sa femme. Enfin, l'une de ses femmes. Ou de ses maîtresses. On ne sait plus, à force d'en apprendre sur ce harem à l'oriental surgi dans notre sage pays nantais, où chacun n'a qu'une épouse.
Le ministre a expliqué aux élus UMP, réunis à huis clos, que le père de l'une de ces femmes avait prévenu la gendarmerie, il y a déjà quelque temps: celle-ci s'était plainte à lui des mauvais traitements que lui infligerait Lies Hebbadj. Les élus se sont peut-être étonnés que, si c'est vrai, si cette femme est battue, la brigade de gendarmerie qui avait reçu l'information ne soit pas intervenue pour la secourir. Mais surtout, on peut se demander pourquoi le ministre semble limiter son rôle de vigilance sociale à une seule famille française, dans une démesure politique et médiatique rare. Il n'a pas plus important à faire?
Pourquoi une telle démesure?
Que cherche-t-il? A lever quelques émotions xénophobes, comme si ce pays en manquait? A pointer les vices, les fautes, les possibles délits d'un homme, au risque d'une généralisation, contre l'islam, qui ne demande qu'à s'exercer? Peut-être l'occupant de la place Beauvau n'a-t-il pas su résister à un effet d'aubaine, dans son adhésion à la stratégie sécuritaire qui perdure au gouvernement, malgré l'échec de celle-ci aux régionales. Dans une posture de grand flic républicain outragé qui rappelle, au ministère, la conduite de Charles Pasqua ou de Michel Poniatowski, en leurs plus mauvais jours, Brice Hortefeux réclame que Lies Habbadj soit déchu de sa nationalité française pour avoir plus d'une épouse.
Si un tel délit est un jour établi, il suffit d'une enquête de gendarmerie, d'un tribunal, voire d'un préfet, si l'écheveau familial est à ce point complexe. Mais pourquoi le ministre? Et pourquoi celui-ci vient-il, un jour sur deux, nous distiller des révélations explosives, comme si on s'apprêtait à mettre à jour un réseau terroriste? On chercherait à faire entendre à nos concitoyens que les commerçants musulmans sont tous des tricheurs, qu'ils pompent l'aide sociale avec leurs tribus de gosses et de compagnes non identifiables pour cause de port du voile, qu'ils ont quatre ou cinq femmes quand la loi n'en autorise qu'une aux hommes de France, évidemment, on ne s'y prendrait pas autrement.
Trop lourd, trop loin
Devant une telle insistance dans l'incongruité et le manichéisme, des ministres, comme Michèle Alliot-Marie et Eric Besson, sommés d'intervenir par l'Intérieur, tentent comme ils le peuvent de garder leurs distances. Brice Hortefeux se targue du soutien du Premier ministre. Mais l'a-t-il réellement? Avant d'être requis par le préfet de région par une demande d'enquête préliminaire, le procureur de Nantes avait essayé en vain de rappeler les règles de prudence et de présomption d'innocence. Ce n'est plus l'heure. Apparemment, la charge est lancée.
Mais pour quel résultat possible? Pour qu'un musulman français soit condamné, peut-être même déchu de sa citoyenneté -ce qui n'est pas évident juridiquement en un tel cas- pour avoir eu plus d'une épouse légale? Pareille insistance, au sommet de l'Etat, est grandiloquente et ridicule. Brice Hortefeux va trop loin. Il sort de son rôle. Lui que sa fonction désigne comme le garant et le protecteur des religions en France, et donc de l'islam, il est en train de jouer avec des allumettes, à travers une histoire locale, un cas particulier, en plein maquis corse par temps sec.
Philippe Boggio
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Photo: Lies Hebbadj. Stephane Mahe / Reuters