Début mars 2020, Emmanuel Macron se rendait tranquillement au théâtre pour assister à une pièce intitulée Par le bout du nez. Voici ce qu'il affirmait alors, malgré l'épidémie de Covid-19 qui semblait se développer inexorablement sur le territoire français: «La vie continue. Il n'y a aucune raison, mis à part pour les populations fragilisées, de modifier nos habitudes de sortie.»
Dix jours plus tard, annonçant un premier confinement nécessaire, le président français déclarait: «Nous sommes en guerre.» Une première incohérence malheureuse en matière de communication, à laquelle en succéderont de nombreuses autres telles que le fait de considérer initialement le port du masque comme une mesure non essentielle (au motif que de toute façon, le grand public ne saurait pas le porter). S'y ajoutent la pénurie de tests ou encore le manque d'anticipation pour la campagne vaccinale.
On ne parle même pas de la stratégie de communication globale infantilisante, avec l'usage d'un lexique rappelant davantage celui employé par des parents d'enfants en bas âge que par des dirigeants responsables. Olivier Véran n'a t-il pas d'ailleurs affirmé gérer la vaccination «en bon père de famille»?
Incohérences jusqu'à plus soif
Nous avons également été confrontés à un certain nombre de mesures sanitaires absurdes, comme une attestation pour s'autoriser soi-même à sortir, des commerces jugés plus essentiels que d'autres sur des bases obscures, des rayons de livres fermés dans les supermarchés au prétexte de soutenir les libraires, des télésièges interdits dans les stations de ski alors que les rames de métro étaient remplies jusqu'à l'occupation des strapontins, les «plages actives»...
Si l'on pouvait supporter ces incohérences au début de la pandémie, au nom d'une certaine naïveté à l'égard du virus et d'une nécessité d'agir dans l'urgence, nous devons faire face aujourd'hui encore à des mesures absurdes du point de vue scientifique. Comment comprendre que les musées restent fermés alors que les magasins sont ouverts?
Nous nous sentons infantilisés et finalement, pas très protégés.
Comment entendre que les terrasses des bars et des restaurants demeurent closes alors que les cantines d'école et d'entreprise, aux espaces intérieurs mal ventilés, continuent d'accueillir chaque jour bon nombre de personnes à l'heure du déjeuner? Comment accepter l'interdiction de se promener en plein air ou sinon l'obligation d'être masqué, alors que le risque d'être contaminé à l'extérieur est extrêmement faible (sinon nul) et en tout cas, jamais documenté scientifiquement?
Face à des chiffres qui montrent que l'épidémie en France (mais aussi en Belgique) demeure sur un plateau haut avec près de 400 décès par jour et 25.000 personnes contaminées (respectivement 20 et 2.500 chez nos voisins belges, dont la population est de 11 millions), nous nous sentons infantilisés et finalement, pas très protégés.
Nous avons en réalité très peu de marges de manœuvre pour faire preuve de proactivité contre la pandémie à titre individuel –si ce n'est porter notre masque, nous laver les mains et limiter nos contacts. Nous nous retrouvons suspendus aux désormais rituelles conférences de presse du jeudi soir, que nous regardons en étant irrités d'avance, sachant bien que l'économie et les sondages primeront sans doute sur la sécurité, la santé et l'autonomisation de la population.
Contre la fatigue pandémique
Dans le même temps se répand une contagion plus pernicieuse encore mais déjà repérée par l'OMS dès octobre 2020: la «fatigue pandémique». Cette expression désigne un syndrome à la fois psychologique et physique en lien avec le Covid-19 et les mesures sanitaires. En cause, la peur de la maladie pour soi et pour ses proches, mais aussi les contraintes liées aux mesures de lutte contre cette même maladie: perte de lien social, peur du chômage ou des conséquences économiques, absence de perspectives et de projets possibles...
Cela se manifeste sur le plan psychologique et émotionnel par de la fatigue, une anxiété chronique, des problèmes de sommeil ou encore une perte de sens, et parfois un véritable syndrome dépressif et des idées suicidaires. Elle conduit certains individus, y compris parmi les plus respectueux des mesures barrières et du couvre-feu ou du confinement, à tout simplement abandonner ces mesures et se mettre en infraction.
Ces personnes ne sont pas devenues complotistes mais se sentent usées par la crise et par l'incertitude.
Selon toute vraisemblance, il s'agit là d'un mécanisme de coping qui nous pousse, pour réguler notre fatigue et notre anxiété, à adopter des comportements inadaptés, sinon irrationnels, et à faire preuve d'un certain nihilisme. En contrepartie, ces transgressions se voient stigmatisées, et leurs auteurs trop vite traités de «covidiots» plutôt que d'être entendus.
Ces personnes ne sont pas devenues complotistes mais se sentent usées par la crise et par l'incertitude. Elles rapportent souvent la sensation que les règles qu'elles appliquent n'ont aucune utilité dès lors que les mesures prises à l'échelle de leur pays ou de leur région sont absurdes et vraisemblablement inefficaces.
Afin de prévenir cette fatigue et les comportements qui l'accompagnent, l'OMS a émis un certain nombre de préconisations à l'égard des gouvernements. Parmi elles:
- être aussi cohérent que possible dans les messages et les actions, et éviter les mesures contradictoires;
- coordonner la communication entre les experts et les porte-paroles afin d'éviter les messages contradictoires;
- être aussi transparent que possible en partageant les raisons des restrictions et de tout changement qui y est apporté, et en reconnaissant les limites de la science et des politiques publiques;
- faire un effort de compréhension à l'égard de la population et adopter une communication ciblée, adaptée et efficace;
- impliquer la population à tous les niveaux de la lutte contre le virus;
- s'efforcer d'atteindre le plus haut niveau d'équité possible vis-à-vis des personnes visées par les recommandations et les restrictions.
Pour une prise en compte des inégalités
Il est clair que le gouvernement français ne suit pas toutes ces préconisations à la lettre. Concernant l'équité, il s'est également pris les pieds dans le tapis du dogme républicain de l'égalité, qui consiste à traiter tout le monde de la même manière en niant les disparités entre les personnes et les régions.
En effet, il est autrement plus facile de se confiner lorsque l'on vit à deux dans un grand appartement ou une maison que lorsque l'on se retrouve amassés à cinq dans un logement de 30 m2. Dans le même ordre d'idée, il est autrement plus aisé de s'isoler en cas de test positif lorsque l'on vit en solo ou en couple que lorsque l'on est une mère célibataire.
L'erreur est sans nul doute de présenter un éventuel nouveau confinement comme un croque-mitaine.
À ces inégalités, le gouvernement, qui a su déployer beaucoup d'autres amortisseurs sociaux, n'a pas apporté de réponse, mettant certaines personnes dans la simple impossibilité de suivre les recommandations. Pourtant, des mesures spécifiques pourraient porter leurs fruits, comme celles qui ont été proposées à Singapour dans des cités ouvrières, telles qu'assurer un salaire plein aux personnes en isolement, leur apporter leurs courses et leurs repas à domicile, et pourquoi pas des soins lorsque c'est nécessaire.
Aujourd'hui, l'erreur est sans nul doute de présenter un éventuel nouveau confinement comme un croque-mitaine et une mesure de dernier recours «pour sauvegarder le système de santé». Il y a d'autres manières de présenter le confinement. Il faut l'envisager comme un ticket d'entrée, une phase préalable essentielle destinée à réduire drastiquement les cas tout en vaccinant massivement la population. Objectif: pouvoir envisager une stratégie «zéro Covid» reposant sur des mesures très concrètes, brèves et localisées.
Une telle stratégie permettrait surtout de renouer rapidement et durablement avec la fameuse vie d'avant, c'est-à-dire la réouverture des bars et des restaurants, une vie culturelle, cultuelle et sportive, une libre circulation sans couvre-feu, une économie plus florissante, etc.
Le piège de l'obsession économique
Il convient également de cesser d'opposer santé publique et économie. Même si cela semble contre-intuitif à nos gouvernants, il apparaît que des pays comme la Nouvelle-Zélande, l'Australie, Taïwan, la Chine, le Vietnam ou la Thaïlande sont les pays où le nombre de morts est resté très faible, où la vie sociale y est des plus plaisantes et où l'impact économique de l'épidémie a été le plus limité. Or, ce sont les pays qui ont mis en place les stratégies les plus drastiques pour ne pas laisser circuler sur leur territoire le virus SARS-CoV-2.
Le Vietnam, qui a vu son PIB bondir en 2020, a créé une nouvelle compagnie aérienne. L'Australie a rassemblé plus de 30.000 spectateurs par jour lors de son récent Open de tennis. L'Occident est peuplé aujourd'hui de défaitistes: «C'est la guerre», nous disent nos dirigeants, qui donnent l'impression que nous l'avons perdue. On nous promet seulement un armistice à l'automne, avec la vaccination.
L'arrogance des pays riches est telle qu'ils restent aveugles aux expériences réussies des pays plus pauvres.
Mais la couverture vaccinale lente à protéger toute la population pourrait s'avérer une nouvelle ligne Maginot, laissant passer l'ennemi –les nouveaux variants– s'il émergeait des souches contre lesquelles le vaccin ne protégerait pas.
Aujourd'hui, près de la moitié de la population du globe s'est battue pour laisser le moins possible le virus circuler sur son territoire, si l'on inclut la Chine, l'Inde, le Pakistan, le Japon, le Vietnam, la Thaïlande, la Corée, les pays de l'océan Pacifique et bien d'autres États encore. Il serait probablement juste aussi d'associer l'Afrique subsaharienne. L'arrogance des pays riches est telle qu'ils restent aveugles aux expériences réussies des pays plus pauvres.
Que peuvent nous apprendre le continent africain ou le Vietnam? Force est de constater qu'ils se débrouillent mieux que nous, qu'ils semblent avoir gagné leur guerre. Le cas d'îles comme l'Islande, la Nouvelle-Zélande, Taïwan ou le Japon doit aussi nous permettre de tirer quelques enseignements précieux. Ce qui les rend moins vulnérables semble être la protection de leurs frontières. Pour cela, elles utilisent des tests à l'arrivée des voyageurs, prévoient des hôtels de confinement ou des séjours hospitaliers pour les personnes positives...
Reculer pour mieux sauter
Pendant ce temps, en France, plus d'un an après le début de la pandémie, on ne sait toujours pas garantir l'isolement des personnes contagieuses. Le fait de devoir recourir aux empreintes digitales ne passerait jamais auprès de la population européenne, semblent penser les dirigeant·es de notre continent. Cette rengaine a un air de déjà-entendu: elle ressemble à ce qui se disait à propos du confinement, des masques, de la distanciation physique.
Pour les investigations policières, recourir à nos relevés téléphoniques ou bancaires ne choque pas les citoyens, mais pour remonter une chaîne de contamination, les Européens se mettraient soudain à descendre dans la rue? Leur a-t-on seulement demandé leur avis? Pourquoi les parlements ne s'emparent-ils donc pas de ces discussions?
Il n'est pas sûr que nous puissions faire l'économie d'une stratégie «zéro Covid», où que ce soit dans le monde. Même avec une vaccination très efficace et très sûre, le virus semble circuler encore beaucoup trop dans les pays occidentaux.
En Europe de l'Est, de l'Ouest et centrale (laquelle est en train de connaître le démarrage explosif de sa troisième vague), tout comme en Amérique du Nord, centrale et du Sud, aucun gouvernement n'a su ni voulu reprendre le contrôle total sur la circulation du virus à la sortie du premier confinement en juin 2020. L'été a plutôt été vécu comme un déconfinement débridé et décomplexé, par la population certes, mais aussi et surtout par les autorités.
À aucun moment ces dernières n'ont cherché à remonter exhaustivement le long de toutes les chaînes de contaminations, car c'était le prix à payer pour laisser la population continuer à avoir des interactions libres en garantissant une circulation minimale du virus sur son territoire. Les autorités européennes ne se sont pas préoccupées de contrôler efficacement leurs frontières, d'isoler efficacement les personnes porteuses de virus et de nouveaux variants qui pouvaient les franchir.
Ne procrastinons pas davantage, donnons-nous rapidement une perspective de vie sans le coronavirus.
Aujourd'hui, il est temps de relever la tête. Il y aura certes un ticket d'entrée à consentir pour s'engager dans une stratégie ambitieuse qui conduira au «zéro Covid», mais plus nous attendrons, plus le prix de ce ticket sera élevé. Nous attendons déjà depuis début décembre, inconfortablement installés sur un plateau élevé de contaminations, de souffrances et de morts.
Que de temps perdu, que de vies sacrifiées! Arrêtons de faire des paris, qui au-delà d'être risqués, témoignent surtout de l'incapacité à prendre des décisions courageuses et efficaces. Ne procrastinons pas davantage, donnons-nous rapidement une perspective de vie sans le coronavirus. Nous allons sortir de cette crise, il est temps de s'en donner les moyens.
En ce début de mois de mars 2021, l'Italie est en train de connaître à son tour le démarrage exponentiel de sa troisième vague. Cela rappelle quelque chose, non?