Égalités

Ce que les femmes attendent des hommes cisgenres le 8 mars

Temps de lecture : 8 min

Se taire et écouter, c'est un minimum. Mais il va falloir aller plus loin, ce jour-là et tous les autres.

«Au lieu de s'ériger en sauveurs, ils doivent se demander comment faire pour apporter une aide efficace et concrète.» | Uboiz via Pixabay 
«Au lieu de s'ériger en sauveurs, ils doivent se demander comment faire pour apporter une aide efficace et concrète.» | Uboiz via Pixabay 

Dans un monde parfait, cet article n'existerait pas, parce que la Journée internationale des droits des femmes n'aurait pas lieu d'être. Dans un monde juste un peu moins parfait, cet article n'existerait pas non plus, parce que tout le monde aurait bien compris depuis fort longtemps le principe de cette journée du 8 mars. Mais comme ce monde est loin, très loin d'être idéal, il semble qu'un nouveau rappel soit nécessaire.

Chaque année, sur les réseaux sociaux comme sur le terrain, on peut constater à quel point les militantes sont épuisées après le 8 mars... voire avant. Certaines jurent qu'on ne les y reprendra plus. D'autres ont juste envie de tout brûler. La fatigue militante semble atteindre son paroxysme, parce qu'au-delà des manifestations globalement réussies, il y a ce sentiment que les choses n'avancent pas, et qu'une partie de la population et des institutions continue à ne rien piger.

En 2017, Nadia Daam avait notamment répertorié les opérations publicitaires foireuses lancées à l'occasion de cette journée du 8 mars, qui relevaient autant d'un opportunisme de bas étage que d'une absence totale de jugeote. D'année en année, les marques reproduisent le même genre d'erreurs, comme cette année Mauboussin avec un spot télévisé proposant des réductions sur les bagues pour la «fête de la femme»...

Ne mettez pas de rouge

En offrant des bouquets de fleurs ou en arborant du rouge à lèvres, les hommes cisgenres ont souvent cru bien faire mais se sont totalement mis le doigt dans l'œil. Le message semble pourtant aussi simple que limpide: le 8 mars, au lieu de vouloir s'afficher en chevaliers blancs du féminisme ou d'afficher leur prétendu amour pour les femmes de façon totalement inappropriée, les hommes devraient juste se taire, ouvrir grand leurs oreilles, et se rendre utiles. Point final. S'il y a bien un jour dans l'année où il convient de ne pas se montrer outrageusement romantique ou libidineux, c'est bien celui-là.

Parce que cela semble encore nécessaire, on rappelle qu'il ne s'agit pas de la «Journée de la femme», appellation qui pourrait effectivement entretenir un certain flou, mais bien de la Journée internationale des droits des femmes. Cette journée «est destinée à mettre en lumière l'ensemble des violences patriarcales vécues par les personnes sexisées», explique Nadia Chapelle, sociologue du genre, qui précise que ce qualificatif désigne toutes les personnes pouvant être victimes de sexisme.

Nadia Chapelle ira manifester à Toulouse: «J'ai beau être non binaire, on continue à me percevoir comme une femme. Je subis donc des oppressions liées à mon genre. Et de toute façon, plus largement, je manifeste pour toutes les personnes qui subissent des violences patriarcales. C'est aussi un événement qui permet de commémorer le travail de Clara Zetkin [militante féministe allemande à l'origine de cette journée, ndlr] et de célébrer la sororité.»

Pour Nadia Chapelle, le 8 mars devrait constituer une «journée témoin de ce qui devrait se passer les autres journées; on attend des hommes cisgenres qu'ils se fassent tout petits, qu'ils prennent le relais sur les tâches assignées aux femmes (garde d'enfants...) pour leur permettre de vivre pleinement leur 8 mars, et qu'ils s'éduquent grâce aux nombreuses ressources disponibles sur internet et dans les livres».

Si certaines manifestations sont réservées aux personnes victimes de violences patriarcales, c'est-à-dire tout le monde sauf les hommes cisgenres, ces derniers ne sont cependant pas indésirables partout. Ils peuvent tout à fait aller manifester dans les cortèges où ils sont tolérés... à condition de ne pas tenter de tirer la couverture à eux.

Discrets et efficaces

Bien que son ton soit enjoué, Irene est très sérieuse lorsqu'elle prévient: «Le premier qui se met à l'avant du cortège, je lui casse la gueule.» L'autrice de La Terreur féministe se souvient des manifestations de l'an dernier: «À Paris, le 7 mars, on avait fait une marche de nuit sans mecs cisgenres, et c'était vraiment trop cool. Comme par hasard, la marche du lendemain était ouverte à tout le monde, et il y a eu embrouille sur embrouille. Des mecs se mettaient en avant du cortège, prenaient les micros. Ils ont insulté les meufs qui leur demandaient de moins se faire remarquer...»

Pour les aider à comprendre pourquoi ils ne doivent pas apparaître en première ligne, Irene rappelle tout simplement que «le féminisme ne les concerne pas directement. Ils peuvent être soutiens et alliés, mais ils ne sont pas les sujets des luttes. Au lieu de s'ériger en sauveurs, ils doivent se demander comment faire pour apporter une aide efficace et concrète. Par exemple en gardant les enfants.»

«Écouter, ça ne consiste pas seulement à attendre de prendre la parole à son tour.»
Fiona Schmidt, journaliste et autrice

Pour la journaliste et autrice Fiona Schmidt, dont le Guide de la marâtre épanouie paraîtra fin avril, c'est aussi le moment d'apprendre à écouter vraiment et à ranger son ego dans sa poche: «Écouter, ça ne consiste pas seulement à attendre de prendre la parole à son tour, ça consiste à être attentif à ce qu'on dit. Certains mecs ne savent pas écouter les femmes parce qu'ils sont persuadés que nos préoccupations ne les concernent pas, ou alors qu'une opinion qui conteste ou nuance la leur est une opinion qui leur est hostile à titre personnel.»

Une bonne fois pour toutes, Fiona Schmidt aimerait que les hommes cessent de se considérer comme les victimes innocentes d'accusations qui ne les concernent pas: «Ce ne sont pas des individus qu'on met en cause et qu'on veut changer, c'est un système. Et on n'y arrivera pas si vous continuez de faire de nos revendications légitimes une affaire personnelle.»

La libération de l'écoute

«On a beaucoup parlé de libération de la parole, mais en fait, cette parole était déjà là, explique l'activiste Elvire Duvelle-Charles (Clit Révolution). On est davantage dans une révolution de l'écoute. C'est pour cela qu'il faut se taire. La priorité est à l'écoute et à la compréhension de l'autre. Il faut laisser la place à d'autres paroles, prendre le temps d'écouter et d'assimiler ce qui est dit, sans le remettre en question. On n'a pas besoin de mecs qui montrent patte blanche, ou qui ne font un effort que le 8 mars. Une fois que tu as entendu, il faut appliquer...»

Adèle Bellanger a créé le podcast féministe Clitosaure, qu'elle anime depuis mars 2019. Elle n'est pas sûre que le silence soit la clé. «En réalité, je ne suis pas certaine de vouloir que les hommes cisgenres la ferment le 8 mars. Pourquoi spécifiquement le 8 mars? Pourquoi une seule journée dans l'année? En fait, je ne suis pas sûre de vouloir qu'ils la ferment les autres jours non plus. Je voudrais surtout qu'ils apprennent à utiliser leurs mots autrement. À bon escient, au bon moment. Lorsqu'un de leurs collègues, ou amis a un comportement sexiste, par exemple.»

Lors de la Journée internationale des droits des femmes de 2020, le 8 mars, à Paris. | Martin Bureau / AFP

Pour Adèle, le 8 mars doit surtout servir à ce que les hommes prennent conscience de leur gestion déplorable de l'espace de parole dont ils disposent: «J'aimerais aussi qu'ils l'ouvrent quand, dans la rue, une femme se fait harceler, ou quand une meuf reçoit des propos misogynes sur un plateau télé. Nous sommes fortes, autonomes, responsables, nous menons notre combat, et nous n'avons pas besoin d'un homme cisgenre pour nous expliquer comment le gérer. En revanche, leur soutien est bienvenu. Un soutien utile, et non oppressif.»

Pour d'autres, de toute façon, le silence et l'écoute ne suffisent plus. «Les seules choses que j'espère de la part des hommes cisgenres le 8 mars, ce sont des excuses et des dons, résume Daria Marx, co-fondatrice de l'association Gras Politique et co-autrice de Gros n'est pas un gros mot avec Eva Perez-Bello. «Des excuses individuelles quand elles sont nécessaires, et qui seraient la preuve d'une véritable remise en question. Des dons aux associations de lutte contre les violences sexistes, parce que je crois à la qualité réparatrice de la justice.»

L'empathie et la compassion constituant le minimum syndical, il est bien normal d'exiger davantage des hommes: «Le reste, les encouragements, le soutien, les “je te crois”, on se les sert très bien nous-mêmes», conclut la militante. Le 8 mars (et tous les autres jours de l'année, donc), les hommes cisgenres doivent se montrer proactifs.

S'organiser comme des grands

Actrice, danseuse et militante lilloise (au sein des Flamands Roses et du Collectif 106), Rehin Hollant dit sa lassitude des journées spéciales. Cette femme trans participe quand même à certains rassemblements organisés autour du 8 mars («C'est important d'y être pour se donner de la visibilité»), mais dit se sentir bien plus concernée par la Marche des fiertés.

Elle estime également qu'à ce stade, on ne peut pas se contenter d'exiger des hommes cisgenres qu'ils se taisent et qu'ils écoutent la parole des autres. «Je rends mon tablier. Je n'ai plus envie de vous éduquer. Vous êtes la classe dominante, c'est à vous de vous renseigner, de vous éduquer. Moi, je me bats chaque jour pour ma propre peau et celle de mes adelphes [terme qui remplace à la fois «frères» et «sœurs», ndlr]. Mon urgence, c'est de survivre.»

Rehin Hollant invite donc les hommes à créer leurs propres cercles, le 8 mars ou un autre jour, afin de discuter ensemble et de s'éduquer collectivement sur les questions liées au genre. L'idée est que les hommes participent activement à la recherche des meilleurs moyens d'éradiquer notamment les violences sexistes et sexuelles... le tout sans rejeter systématiquement la responsabilité sur leurs congénères.

«Il dit qu'il refuse de se faire expliquer la vie par une femme.»
Une auditrice de Mansplaining

Ne pas mettre le bâton dans les roues des actions, commémorations et célébrations du 8 mars est un absolu minimum, que ma catégorie a déjà bien du mal à respecter. Mais nous ne saurions nous arrêter là. Les luttes féministes avancent, les prises de conscience aussi, et le simple fait d'écouter avec un air choqué ou attendri ne peut plus décemment suffire à faire de nous des alliés.

Régulièrement, j'apprends par des auditeurs et auditrices de mon podcast Mansplaining (ceci n'est pas de la publicité déguisée) que certains de leurs proches ont accepté d'en écouter un ou plusieurs épisodes... au motif qu'il est présenté par un homme. «Il dit qu'il refuse de se faire expliquer la vie par une femme», m'expliquait récemment une auditrice à propos de l'un de ses frères, «mais avec vous il veut bien, même s'il n'est jamais d'accord avec ce que vous dites».

Ce type de messages, j'en reçois plusieurs par mois, et à chaque fois je dois me pincer pour y croire. Partout en France (et ailleurs), des hommes cisgenres refusent d'écouter la parole de personnes émanant d'autres catégories qu'eux. Dans un monde parfait, le fait que cet article soit signé par un homme ne devrait pas influer le moins du monde sur leur envie de cliquer pour le lire. Mais c'est pourtant bien ce qui va se produire, preuve que les choses n'avancent pas aussi vite que ce que l'on aimerait croire.

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