Culture

Face au Covid qui menace tous les festivals, les réponses de la Berlinale

Temps de lecture : 5 min

Du 1er au 6 mars puis du 9 au 20 juin se tiendra la singulière édition 2021 d'un des plus grands festivals du monde, réponse ciselée face aux circonstances et pari sur l'avenir.

L'affiche de la 71e édition du Festival de Berlin.
L'affiche de la 71e édition du Festival de Berlin.

Lundi 1er mars 2021 s'ouvre la 71e édition du Festival de Berlin. Enfin, s'ouvre, façon de dire puisqu'aucune porte ne sera déverrouillée, et que le Palast de Postdammer Platz restera désert. Le terme «édition» peut aussi être interrogé, alors que ne se déroulera, en ligne, qu'une partie de la manifestation. Dès lors, la date du 1er mars est également fragile, une autre date d'ouverture en 2021 ayant été d'ores et déjà annoncée, le 9 juin.

Depuis un an, des plus grands aux innombrables petits, voire minuscules mais eux aussi importants pour la vivacité du biotope cinématographique, les festivals inventent des réponses multiples à la pandémie.

En 2020, Cannes, après avoir tenté aussi longtemps que possible de se maintenir, a fait le choix d'une annulation, se refusant à une manifestation atrophiée. Mais le plus grand festival du monde a décerné un «label 2020» à une cinquantaine de films qui, selon Thierry Fremaux, auraient été à Cannes si l'édition avait eu lieu. Il a envoyé à l'automne un signal de continuité depuis la Croisette, avec une compétition de courts-métrages.

Venise, mais aussi Angoulême et San Sebastian, au prix de mesures sanitaires draconiennes, sont passés entre les gouttes et ont réussi à se tenir presque normalement en août et septembre.

L'ouverture du festival de New York dans un drive-in de Brooklyn. | via New York Film Festival

La plupart des autres, y compris les principaux –Toronto, New York (avec un drive-in), Vienne, Sao Paulo, Thessalonique, Busan en Corée, Morelia au Mexique, le Festival du Kerala en Inde, etc.– ou, en France, La Rochelle, les Trois Continents à Nantes, Entrevues à Belfort, Premiers Plans à Angers, bientôt Le Cinéma du Réel à Paris, et tant d'autres, ont élaboré comme ils ont pu des éditions dites hybrides.

L'hybridation porte en l'occurrence sur les quelques événements en présentiel maintenus vaille que vaille, mais de fait l'essentiel se sera fait en ligne, avec des outils variés.

Les films sont dans ce cas montrés grâce à tout un assortiment d'outils de diffusion sur internet, du plus ouvert, comme YouTube, au plus sécurisé, comme la plateforme professionnelle FestivalScope. Entre les deux, on trouve de multiples dispositifs, souvent avec des limitations d'accès par géoblocage ou limitation du nombre de spectateurs et des durées de disponibilité, reproduisant plus ou moins la projection dans des salles à heure fixe et avec une jauge définie.

Il s'agit à la fois de mimer la réalité du fonctionnement d'un festival, et de tenir compte de situations juridiques parfois complexes en matière d'accès aux films, sujet sur lesquels les grands studios sont particulièrement vigilants.

Il s'agit aussi de recréer de la rareté, et de garder le souvenir de ce que «programmation» veut dire, au moment où les plateformes de diffusion massive et leurs algorithmes attaquent frontalement l'immense apport des différentes formes de curation. Martin Scorsese a récemment dénoncé dans une retentissante prise de parole ce processus destructeur d'une intelligence de composition qui joue un rôle central dans ce que permet la forme festivalière.

Ce qui peut changer, ce qui doit rester

Une des raisons d'être majeures des festivals, la construction de publics mobilisés, souvent passionnés, et qui goûtent la rencontre avec des œuvres qu'ils ne fréquentent pas d'ordinaire, est profondément fragilisée par la situation.

C'est aussi bien sûr le cas pour les rencontres en chair et en os avec ceux qui font les films. Les forums et les chats en ligne à l'issue des «séances virtuelles» offrent là aussi des palliatifs, mais dont tous ceux qui les ont pratiqués connaissent bien les limites.

Le palais du Festival de Berlin, du temps où il avait lieu dans la vraie vie. | Jean-Michel Frodon

Les singularités bénéfiques des festivals comme formes d'offre culturelle et de pratiques sociales sont à l'évidence fragilisées, mais pour l'instant elles ne sont pas détruites. La fréquentation en ligne des festivals a dans la plupart des cas été considérable, attestant de l'importance de la demande, de la force des désirs auxquels ces manifestations répondent.

La question devient alors celle des avantages relatifs d'un glissement vers davantage de propositions virtuelles. Celles-ci permettent des économies pour les organisateurs et ceux qui les soutiennent, mais symétriquement la perte des retombées bénéfiques.

Il s'agit d'abord de retombées financières: hôtellerie, restauration, notoriété touristique, transports, mais aussi politiques et symboliques, avec ce qu'on appelle le softpower, ou l'économie du prestige.

Essor foudroyant

Ce sont ces mêmes effets secondaires, en phase avec un goût croissant –contrairement aux discours répétés– pour le cinéma, qui avaient accompagné l'essor foudroyant du nombre de festivals durant les deux premières décennies du XXIe siècle.

Étrangement, si la France est, de loin, le pays où la pratique festivalière est la plus répandue, le phénomène lui-même y est moins étudié qu'ailleurs, notamment dans le monde anglophone où les Film festival studies sont devenues une branche à part entière de l'enseignement et de la recherche universitaire. Elles ont également donné lieu à une masse considérable de publications, parmi lesquelles on mentionnera la série de dix ouvrages édités sous la direction de Dina Iordanova.

Le maintien comme les transformations à apporter à la conception des festivals ne pourront éviter d'intégrer aussi la dimension environnementale, sans d'ailleurs passer sous silence les coûts considérables en la matière de l'utilisation du numérique, en face de l'usage plus que discutable notamment de multiples trajets aériens, voire de jets privés ou d'hélicoptères pour les VIP.

Des choix et des nuages

Tous ces facteurs expliquent les choix des responsables de la Berlinale, Mariette Rissenbeek et Carlo Chatrian, pour l'édition évidemment hors norme de cette année. Déplacée de février à mars le temps de se réorganiser, la première moitié de l'édition est uniquement destinée aux professionnels, qui auront accès aux films sur internet et pourront ensuite poursuivre par le même moyen les négociations les concernant.

Sans égaler Cannes ou l'AFM à Los Angeles, Berlin est en effet un important marché annuel de ventes et d'achats des droits des films ou de financement des projets.

Ces négociations se tiendront en 2021 avec au-dessus des têtes des producteurs, distributeurs et vendeurs le noir nuage de l'incertitude quant à la réouverture des salles dans le monde. Ce qui sera également le lot des critiques et journalistes accrédités, pour parler de films dont nul ne sait où et quand un public pourra les voir.

Il y a deux ans, les très longues files d'attente du public berlinois pour assister aux séances. | Jean-Michel Frodon

Mais, à la différence de Cannes, Berlin est aussi une gigantesque manifestation publique, drainant chaque année des centaines de milliers de spectateurs (330.000 en 2018).

C'est à eux que sera consacrée la partie «ouverte» annoncée pour juin. Et si les récompenses attribuées par les différents jurys, dont le prestigieux Ours d'or, auront été proclamées le 6 février, l'idée est de les remettre en mains propres aux lauréats trois mois plus tard.

Une sélection resserrée et cohérente

On ignore bien sûr quelle sera alors la situation sanitaire, et s'il sera possible de célébrer librement le cinéma unter der linden et dans tous les espaces de Mitte. Mais on sait déjà que la sélection, clairement plus exigeante et structurée que celle des ères précédentes, recèle de nombreuses promesses dans les huit sections du festival.

Hommage à Mae West, Rosalind Russell, Carol Lombard. | via Berlinale

Ces promesses sont signées, entre autres, Xavier Beauvois, Céline Sciamma, Hong Sang-soo, Radu Jude, Ryusuke Hamagushi, Joana Hadjithoams et Khalil Joreige, Pietro Marcelo, Avi Mograbi, Denis Coté… L'arrêt des productions hollywoodiennes se traduit inévitablement dans la sélection, ce que cherche à compenser au moins un peu la rétrospective dédiée à trois stars de l'âge d'or, Mae West, Rosalind Russell et Carole Lombard, avec des films de Hitchcock, Hawks, Walsh, Lubitsch, McCarey, etc.

Dans une semaine, il sera ainsi possible, même depuis la réclusion d'une vie de festivalier à domicile, de proposer un aperçu de ce qu'en cette année si singulière le cinéma international aura été en mesure de proposer, depuis le point de vue offert par cet observatoire de première importance que reste la Berlinale.

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