Ça n'a pas manqué. On savait que le premier test de l'Union européenne serait une bonne grosse récession. Nous y voilà et sérieusement! On peut même crainte une vraie Dépression. Ce qui devait arriver arrive: bisbilles et conflits de préséance s'ajoutent aux divergences de fond pour bloquer la machine européenne. Quand la crise meurtrit son économie, l'Europe se perd en querelles. Quand le chômage grossit, les responsables politiques jouent perso et s'accusent les uns les autres sans que de nulle part vienne l'élan commun indispensable.
Tout se passe comme si, en réalité, l'Union avait rendu les armes, qu'elle se savait trop divisée, impuissante et qu'elle comptait sur les autres, les Etats-Unis et la Chine, pour surmonter la crise. Les plans nationaux ne sont là que pour colmater les brèches les plus voyantes, chaque pays dans son coin «sauve» ses banques ou son industrie automobile, mais pour ce qui est de la vraie sortie de crise, de l'arrêt de l'effondrement, «on attend les Américains». Comme en 1944.
Les chiffres parlent d'eux mêmes: l'ensemble des plans européens atteint 280 milliards d'euros soit près de 1,1% de PIB. Le plan chinois pèse 580 milliards de dollars, 7% du PIB pendant deux ans. Le plan américain 850 milliards de dollars, soit 6% du PIB. On a glosé en France sur le plan de 26 milliards d'euros et sur la question de savoir s'il devait être plus ceci (la consommation) et moins cela (les aides aux entreprises). Mais les sommes en jeu donnent la vraie réponse : macro-économiquement ce plan ne pèse guère! Pour sauver notre économie, mieux vaut espérer que Pékin et Washington réussissent à sauver la leur!
Lundi, alors que Barack Obama bataillait pour lancer un immense et deuxième plan de sauvetage des banques qui s'ajoute à la relance budgétaire, ici, sur le vieux continent, s'élèvaient des voix pour dire ... qu'il faudrait peut être commencer à se concerter et à agir. En réponse à une demande franco-allemande, le président de l'Union, le premier ministre tchèque, annonce «un sommet» avant la fin avril. Mais sans date de rendez-vous et sans programme précis autre que le minimum : s'entendre comment comptabiliser les actifs toxiques des banques.
Voyant sans doute qu'on lui vole la vedette, le président de l'Eurogroupe, Jean-Claude Juncker, déplore que «les pays européens préparent, les uns après les autres leurs propres plans et programmes» sans concertation minimum avec les autres pays membres. «Il faut une meilleure coordination», dit-il. Il est bien temps, en effet !
«L'Europe conjugue désormais seize politiques budgétaires nationales et une politique monétaire», souligne Patrick Artus, de Natixis. Laurence Boone et Raoul Salomon, de Barclays Capital, estiment que « l'Europe est passée à côté d'une opportunité concrète d'avancer». Comme l'Europe a fait montre de désunion, les pays les plus faibles ont vu leurs «spreads» (taux d'intérêt sur les dettes d'Etat par rapport aux taux de référence, celui de l'Allemagne) s'élever de 2 ou 3 points. Coût pour les contribuables de ces pays : 30 milliards d'euros. Une paille! On imagine que cette somme aurait pu financer de bons programmes de relance.
Mais cette dérive pourrait coûter encore plus cher si les marchés se mettent à douter de la capacité financière des Etats à supporter le poids alourdi de la dette, et de celle de leur population à accepter que cette charge vienne amputer des projets d'investissement ou de soutien social. Les opinions vont-elles comprendre? Admettre? Se soumettre? La zone euro n'a rien prévu dans ses statuts pour se porter au secours d'un pays qui défaille. Il faudrait bricoler à la hâte, sans forcément convaincre les marchés qui, attirés par le sang, pourront immédiatement se porter sur le pays faible suivant : après la Grèce, l'Irlande, puis le Portugal, etc.
Nicolas Sarkozy a posé publiquement le problème. Mais la solution d'une action d'aide concertée est loin d'être admise. Il faudrait donner un chèque à la Grèce de 40 ou 50 milliards d'euros! Les Allemands, pour l'heure, refusent catégoriquement de payer. Faudra-t-il alors se remettre au FMI (Fonds Monétaire International) pour remettre de l'ordre dans la zone euro? Faudra-t-il en arriver à cette issue de la honte européenne?
La crise était l'occasion de forcer à plus de fédéralisme économique, budgétaire, politique. Cela peut-il encore arriver? Personne n'y croit plus. On attend les vrais maitres de la sortie de crise: les Américains et les Chinois.