Au final, il n'est guère surprenant qu'un député communiste soit à l'origine d'une crétinerie reprise avec tant d'enthousiasme par la droite parlementaire. Également nostalgiques d'un ordre ancien, lorsqu'une France en noir et blanc enchainait les Grenelle et autres pittoresques idiosyncrasies hexagonales sous le regard amusé de ses voisins, PCF et UMP n'ont manifestement aucune idée de ce qu'ils pourraient bien faire du monde qui vient...
On aimerait d'ailleurs voir le PS, les Verts, ou encore les rares intellectuels qui osent se réclamer du libéralisme, refuser de s'enfermer dans le même Jurassic Park que ces dinosaures dans l'affaire de la burqua. Las, nous n'aurons pas cette chance, d'où le débat surréaliste dans lequel nous sommes plongés depuis des mois: faut-il interdire à n'importe qui de s'habiller n'importe comment? Et les tenues de mauvais goût inventées ailleurs risquent-elles de faire vaciller l'identité du pays de la haute-couture?
Car c'est bien de cela qu'il s'agit, n'est-ce pas? Et certainement pas d'une quelconque défense des «droits de la femme» ou de la laïcité modèle 1905 — un concept dont les dogmes sont désormais gravés dans le même marbre que ceux des religions qu'il prétendait civiliser. Bien sûr, chacun sait que la burqua est une horreur médiévale qui isole et contraint. Et alors? D'abord, la majorité des (très) rares Françaises qui s'en enveloppent le font de leur propre chef. Et si une adulte justifie par la foi ses pulsions sadomasochistes, ça ne regarde ni André Gerin ni Jean-François Copé.
Mais surtout, d'où sort ce recours de nos laïques de choc aux imams pour déterminer si le voile intégral est ou n'est pas une «prescription religieuse authentique»? Le législateur en serait-il réduit à s'informer auprès des exégètes avant de dire le droit? Et quels exégètes, d'ailleurs, dans une religion sans Vatican ni pape, où mille interprétations des écritures, toutes aussi valides les unes que les autres, coexistent depuis septembre 622? Une reconnaissance de la burqa par les autorités «officielles» de l'Islam de France ferait-elle changer d'avis Nicolas Sarkozy lui-même?
Plus que la légitimité islamique de ce drap housse à manches, qui ne concerne jamais que les musulmans qui ont envie de se sentir concernés, c'est la défense de nos libertés individuelles et de nos choix philosophiques qui devrait préoccuper nos élus - vieux staliniens et archéo-gaullistes compris. Qu'ils imposent à l'usager d'une préfecture de montrer son visage lorsqu'il se fait établir un permis de pêche, fair enough. Mais qu'ils envisagent sérieusement d'envoyer des pasdarans tricolores donner des leçons de francité vestimentaire à des rebelles en costume de carnaval et l'on bascule dans «autre chose». Un «autre chose» qui, même paré des atours de la démocratie comme une princesse saoudienne d'un niqab Yves-Saint-Laurent, n'est jamais qu'un diktat intolérable — incidemment totalement inapplicable, ce dont nos cousins belges, parfois à la hauteur de leur réputation, apporteront bientôt la preuve...
Le monde bouge et la France est bien forcée de bouger avec lui. Les certitudes d'autrefois, qu'elles concernent le travail, les retraites, les équilibres internationaux, les échanges commerciaux et, oui, le fait religieux en sont nécessairement bousculées. D'ailleurs, tiens, j'en prends l'engagement: si la burqa devient susceptible de vous envoyer en prison, je cours m'en acheter une. Moi, les bousculades, ça ne me fait pas peur.
Hugues Serraf
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Image de Une: En Jordanie, en 2006. Ali Jarekji / Reuters