France

Nicolas Sarkozy, la sécurité, encore et toujours

Temps de lecture : 6 min

Visites sur le terrain, annonces choc, soutien aux policiers et aux gendarmes... l'opération «reconquête» a commencé à l'Elysée. Preuve d'un mauvais bilan présidentiel sur la sécurité?

«On va faire que ces quartiers puissent vivre, que les gens qui travaillent et qui se lèvent tôt le matin puissent vivre sans avoir la vie empoisonnée par les voyous, les trafiquants.»
Nicolas Sarkozy, ministre de l'Intérieur, 25 octobre 2005.

«Aucune commune, aucun quartier, aucun hall d'immeuble de Seine-Saint-Denis n'échappera à l'autorité de la loi.»
Nicolas Sarkozy, président de la République, 20 avril 2010.

Mêmes discours volontaristes et martiaux, mêmes menaces à peine voilées, même homme. Mais entre ces deux déclarations, cinq ans ont passé. Alors, quid du bilan sécuritaire du chef de l'Etat? Pas glorieux si on en croit le piteux résultat -faible score, abstention record et Front national renaissant- de l'UMP aux dernières régionales. A l'Elysée, la leçon a été rapidement tirée de cette déroute teintée d'avertissement populaire. Priorité à l'emploi et à la sécurité et retour aux fondamentaux tendance cow-boy. Illico, Nicolas Sarkozy est remonté -comme aux grandes heures de son passage place Beauvau- sur le cheval du tout-sécuritaire, redevenu enjeu politique et électoral.

Mardi 20 avril, le président de la République s'est rendu lors d'une visite surprise dans les dépôts de bus vandalisés sur fond de trafics de drogues à Tremblay-en-France, dans le 9-3. Profitant de la prise de fonction du nouveau préfet de Seine-Saint-Denis, le super-flic ancien chef du Raid et homme de confiance, Christian Lambert, il a ressorti à Bobigny les grandes formules qui avaient fait son succès comme ministre de l'Intérieur à deux reprises entre 2002 et 2007 puis comme candidat à la présidentielle. Promettant des «actions en profondeur» pour «lutter contre les trafics et les trafiquants», il a assuré, sous l'œil attentif de son ministre Brice Hortefeux, que «la République ne reculera pas d'un millimètre».

Des annonces déjà entendues

Mais sur le fond, quoi de neuf? La suspension des allocations familiales «en cas d'absentéisme scolaire injustifié et répétitif d'un élève»? Une loi du 31 mars 2006 la prévoit déjà. Placée sous l'autorité des présidents de conseil général, elle n'est pratiquement jamais appliquée. Qu'importe, une nouvelle loi sera présentée «dès la semaine prochaine», a annoncé le chef de l'Etat pour confier cette responsabilité à quelqu'un d'autre, pourquoi pas les préfets. Un fidèle sarkozyste, Eric Ciotti, député des Alpes-Maritimes, pense quant à lui aux inspecteurs d'académie.

Une intervention «sans restriction» des forces de l'ordre dans les halls d'immeuble? Déjà prévu par une loi de 2003, renforcée en 2006. La «radiolocalisation» des bus en «liaison directe avec la police»? Le dispositif existe depuis 2007 dans plusieurs centaines de bus franciliens, ce qui n'empêche pas les caillassages sporadiques. En sept ans, ce n'est pas loin de trente lois différentes qui ont été votées sur la sécurité et la justice.

Des violences qui ne baissent pas

Le candidat Sarkozy avait demandé à être jugé sur ses résultats. Mais les chiffres de la délinquance sont impitoyables. Au début de l'année, Brice Hortefeux, présentant le rapport annuel de l'Observatoire national de la délinquance, avait eu beau se féliciter d'une «baisse globale» de 1,04% de la délinquance en un an -évoquant même une «rupture»- il avait dû néanmoins admettre que les «violences aux personnes» poursuivaient, elles, leur hausse, avec +2,8% par rapport à 2008 (son bilan pour le premier trimestre 2010 est du même ordre).

Entre 2003 et 2008, période durant laquelle Nicolas Sarkozy était déjà aux responsabilités, ces «atteintes volontaires à l'intégrité physique» (homicides, coups et blessures...) ont grimpé de 14%, soit une augmentation de 54.499 délits (1). Parallèlement, l'enquête de «victimisation» réalisée par l'Insee au premier semestre 2009 estimait «à près de 850.000 le nombre de victimes d'actes de violence physique hors ménages et hors vols en 2008» contre «736.000 en 2006». Soit une hausse de 11,5% (2).

Des policiers en colère

Le chef de l'Etat et sa majorité ont donc déçu les Français sur ce qui était auparavant leur principal atout: la sécurité. Alors que ces derniers étaient encore 78% en août 2007 à faire confiance au gouvernement pour lutter contre les délinquances, ils n'étaient plus que 49% en janvier 2010. Mais le mal est plus profond: Nicolas Sarkozy, alias «Speedy Sarko» en 2002, premier flic de France et ministre bleu-marine, a également déçu les policiers. En cause, sa «culture du résultat» et sa «politique du chiffre». Fin novembre 2009, Jean-Claude Delage, secrétaire général d'Alliance-Police nationale, syndicat pourtant pas vraiment réputé hostile à la droite, sonne l'alarme. Dans son éditorial quelques semaines avant les élections professionnelles de janvier 2010, il écrit:

Cette "culture de la statistique" (...) épuise nos collègues et les éloigne de leur cœur de métier, qui doit demeurer la sécurité des personnes et des biens. Alliance ne rejette pas la notion de résultat. Nous le savons, chaque policier est fier d'obtenir des résultats, lorsqu'il lutte quotidiennement contre la délinquance. Mais Alliance condamne sans ambiguïté cette course aux chiffres, aux statistiques inutiles, au rendement quantitatif développé par une certaine hiérarchie, plus préoccupée par un déroulement de carrière sans faille que par une efficacité améliorée de leur service de police.

En décembre dernier, c'est le syndicat majoritaire chez les gradés et les gardiens de la paix, l'union SGP-FO-Unité police, qui appelle à manifester contre «la course au résultat». Yannick Danio, un de ses représentants, nous expliquait alors le «ras-le-bol des gars sur le terrain» contre «la dictature du chiffre» et «la politique d'abattage» qui poussent les forces de l'ordre à multiplier les opérations mineures qui rapportent au détriment des enquêtes de fond. En clair, mieux vaut arrêter un sans-papier ou un fumeur de cannabis que de tenter de démanteler un réseau de trafiquants de drogues ou de passeurs.

Des promesses déçues

Pourtant, à son arrivée place Beauvau en 2002, Nicolas Sarkozy avait su immédiatement se faire aimer de ses troupes. Sa loi d'orientation et de programmation de la sécurité intérieure (Lopsi) de 2002 annonçait la création de 6.200 postes de policiers et de 6.050 de gendarmes, soit un total de 12.250 emplois en cinq ans. Elle prévoyait également 1.180 millions d'euros supplémentaires en crédits de fonctionnement et d'équipement. Sur le terrain, cela s'était traduit entre autres par un parc automobile policier augmenté et rénové, des armes individuelles renouvelées, et des commissariats modernisés. Stratège, Nicolas Sarkozy avait donc pris en compte les demandes salariales et sociales des forces de l'ordre, accru fortement leurs effectifs et su leur redonner confiance et fierté.

Cette lune de miel n'a duré qu'un temps. A peine élu président de la République, Nicolas Sarkozy rompt avec ses promesses et fait de la sécurité une politique publique comme les autres, c'est-à-dire soumise à la règle globale et comptable du non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux. Résultat, une baisse continue des effectifs s'enclenche à partir de 2007. Dans son ouvrage De la sécurité de l'Etat à la protection des citoyens, le député PS du Finistère Jean-Jacques Urvoas, spécialiste de la sécurité, rappelle qu'«en 2008, le projet de loi de finances prévoit la suppression de 1.402 postes de policiers et de 967 postes de gendarmes. En 2009, ce sont 2.383 emplois de policiers et 1.625 de gendarmes qui sont éliminés (...) 2010 se traduit par la destruction de 1.390 postes de policiers et de 1.354 de gendarmes». Au final, ce sont donc 9.121 postes de policiers et gendarmes qui ont disparu en trois ans, «soit 75% des créations d'emplois enregistrées entre 2002 et 2007».

Des vidéos et moins d'hommes

Pour masquer cette purge des effectifs, l'Etat multiplie la création de nouvelles «forces spéciales»: police anti-hooligans, cellules anticambriolages, brigades contre les violences familiales, unités antibandes... Il pousse également les communes à développer la «vidéoprotection». Quelque 20.000 caméras surveillent déjà la voie publique en France. Le chiffre doit tripler d'ici à la fin 2011. «Rien ne prouve encore l'efficacité du dispositif, mais l'Etat incite les communes à s'équiper pour qu'elles prennent ensuite le coût de fonctionnement de ces outils dont le but est de diminuer les effectifs des forces de l'ordre», estime Sebastian Roché, directeur de recherche au CNRS. Les forces de l'ordre sur le terrain ne sont pas dupes et dénoncent la «privatisation» de la sécurité et les sous-effectifs chroniques, provoquant l'explosion des heures supplémentaires non payées et le risque de zones territoriales non couvertes.

Il fallait donc éteindre l'incendie. Mercredi 21 avril, Nicolas Sarkozy a invité à déjeuner à l'Elysée l'ensemble des syndicats de policiers pour calmer les esprits et leur réaffirmer son soutien. Au passage, il a annoncé un déblocage des crédits sur la revalorisation indiciaire des gardiens de la paix. Satisfaits du ton «volontariste» du président, plusieurs syndicats ont néanmoins reconnu en off que cette rencontre «faisait quand même un peu réconciliation». Une opération «Réconciliation» qui continue dès le vendredi 23 avril, avec la réception cette fois des représentants officiels des gendarmes. Chez les képis aussi, la colère gronde depuis le rattachement forcé de la gendarmerie nationale au ministère de l'Intérieur en janvier 2009. Plus qu'une opération «Réconciliation», c'est donc une véritable opération de reconquête qui s'opère à l'Elysée.

Bastien Bonnefous

Photo: A Tremblay-en-France. REUTERS/Benoit Tessier

(1) et (2) La Criminalité en France, rapport de l'Observatoire national de la délinquance, 2009.

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