La hyène doit être le mammifère le plus détesté par l'homme. Bien que les créatures à pelage qui allaitent leurs petits inspirent en général un certain sentiment de reconnaissance, elle est, avec le rat, l'un des animaux à pelage les plus mal aimés.
Avec ses mâchoires protubérantes, ses épaules massives et son rire inquiétant, la hyène, notamment la hyène tachetée d'Afrique, est terriblement mal comprise. Si la beauté ne lui a certes pas été accordée, cette créature ne mérite cependant pas tant de mépris. Intelligente, grégaire, elle vit en clans organisés dont les femelles veillent sur des territoires bien définis. Les femelles tirent peut-être leur autorité ou leur assurance du fait qu'elles sont munies d'organes génitaux externes semblables à s'y méprendre à ceux des mâles, d'une longueur d'environ 20 centimètres. Une particularité qui suscite étonnement, confusion et, parfois, dégoût.
Préjugés
Mais en termes d'image publique, la hyène est avant tout handicapée par son rire. Gloussement innocent pour l'oreille objective, elle sonne pour beaucoup d'hommes comme un ricanement démoniaque qui annonce quelque plan machiavélique. En réalité, la hyène émet ce son caractéristique quand elle n'arrive pas à obtenir ce qu'elle veut; c'est l'expression d'une excitation mêlée à de la frustration. Les variations dans la hauteur du rire sont par ailleurs révélatrices de l'âge et du statut social. La hyène possède en effet un répertoire vocal parmi les plus riches de tous les mammifères terrestres, primates compris. Le rire n'est que l'une de ses nombreuses vocalises, à côté par exemple du cri enjoué qui signifie «je suis là», et de la kyrielle émouvante de murmures et de grognements échangés entre la mère et ses petits.
Un autre préjugé désobligeant voudrait que les hyènes soit des charognards qui viennent furtivement s'emparer des restes de butin conquis par les prédateurs de charme que sont les lions et les léopards. Or, prédateurs les plus nombreux de la savane subsaharienne, les hyènes sont d'excellents chasseurs. Les trois-quarts de leur nourriture proviennent de grands ongulés qu'elles tuent et digèrent avec une saisissante efficacité. Leurs énormes molaires pulvérisent les os; les poils, les dents et les sabots du festin sont régurgités ensuite. Quelques hyènes suffisent pour réduire, en moins d'une heure, un buffle d'Afrique de 200 kg à une paire de cornes et à une flaque de sang.
(Cela étant, les charognards remplissent une noble et indispensable fonction. Les lions chassent, mais ils ne rechignent pas à engloutir des proies tuées par d'autres. Il en va de même pour presque tous les carnivores, humains inclus.)
Si le faux pénis de la hyène femelle est étonnant, il n'est pas du tout pratique. À vrai dire, il appartient, avec le genou humain, à la série des grands ratés de l'évolution. C'est avec ce clitoris très allongé que la femelle urine, s'accouple (avec grande difficulté pour le mâle) et -aïe!- met bas. Elle possède aussi un scrotum factice, sorte de poche labiale sans petits soldats.
Hermaphrodisme trompeur
Parfaitement trompé par les apparences, Aristote estima que toutes les hyènes étaient des mâles, inconvénient notoire pour l'espèce. Ernest Hemingway pensait lui que les hyènes étaient en même temps mâle et femelle. Cette erreur ouvre même la description fort imagée qu'il fit de l'animal dans ses carnets de voyage Les Vertes Collines d'Afrique «Hermaphrodite [,] qui dévore les morts et se dévore elle-même, suit les vaches en gésine, qui rend boiteux en coupant le tendon du genou, toujours prête à vous mordre la figure la nuit quand vous dormez, au ricanement sinistre, qui traîne derrière les camps, puante, ignoble, avec des mâchoires qui broient les os laissés par les lions...*» (Hemingway aimait s'asseoir devant sa tente et les tuer à la carabine.)
L'appareil reproductif interne de la femelle est celui d'un quadrupède ordinaire. Mais ses organes externes quasi-masculins rendent l'accouchement particulièrement douloureux et dangereux. Plus d'une fois sur deux, le premier petit (les hyènes portent en général des jumeaux) est mort-né, car c'est à ce malheureux qu'incombe la difficile mission de forcer le passage dans un canal pelvien aussi étroit que le chas d'une aiguille. Le taux de mortalité des nouveaux-nés constitue un sérieux désavantage pour l'espèce, mais celui-ci est ensuite compensé: les femelles, plus grandes et plus agressives que les mâles, s'assurent que leurs petits sont les premiers servis après la chasse. Tandis que chez les lions, les mâles mangent d'abord, en repoussant violemment les lionceaux s'il le faut.
Au départ, les biologistes ont pensé que la masculinisation des femelles était due à une forte dose d'hormones mâles libérées in utero. (L'un de ces androgènes est l'androstènedione, que l'on retrouve dans ces produits qui font faire des miracles à certains sportifs.) Cependant, des expérimentations plus récentes ont démontré que le blocage des hormones mâles chez les femelles n'entraînait pas de modification de leurs organes génitaux externes. Il s'avère en fait que le récepteur hormonal des femelles a muté de telle façon qu'il fait croire à l'arrivée d'androgènes alors même qu'il n'y en a pas dans l'organisme. C'est ce type de mutation qui, chez l'homme, pourrait être responsable de la résistance de certains cancers de la prostate (dus aux hormones mâles) aux traitements habituels.
Le rôle des hormones dans le développement fœtal est étudié sur le terrain par Stephen Glickman, professeur émérite de psychologie à l'université de Berkeley (Californie), dans la colonie de hyènes qu'il a créée au milieu des années 1980. Le professeur co-signe ses articles de recherche avec un biologiste du développement spécialisé dans le cancer de la prostate et un pédiatre urologue qui étudie les causes des malformations génitales.
Les laboratoires de recherche sont plus habitués aux souris qu'aux dangereux prédateurs. Les visiteurs sont toujours surpris devant les 26 membres de la colonie. Plus grandes qu'un saint-bernard, atteignant presque la taille d'un ours, les hyènes pèsent entre 65 et 100 kg. Contrairement aux chiens ou aux loups, elles soutiennent le regard, qu'elles ont curieux, sûr et indéniablement touchant. On apprend avec étonnement qu'elles n'appartiennent pas aux canidés, mais à une famille de félins qui comprend les mangoustes, les civettes et les suricates.
Les hyènes ne sont ni furtives ni fuyantes. Certaines ont été nourries au biberon, et elles se hissent maladroitement pour lécher la main d'un gardien à travers la clôture. Elles ne puent pas, contrairement à une autre légende malveillante. Leur tube digestif d'une longueur peu commune libère une matière sèche, blanche et inodore. En revanche, elles marquent leur territoire au moyen d'une sécrétion glandulaire anale qui sent le mauvais savon, mais reste moins agressive que l'urine d'un chat non castré.
Les responsables de la réserve, dont Mary Weldele, qui y travaille depuis 25 ans, respectent les règles du clan en nourrissant d'abord les femelles dominantes, ce qui est garantie de paix. À l'état sauvage, un groupe de chasseurs de 20 à 80 individus est dirigé par une ou deux femelles. Les mâles mangent en dernier.
Le respect du clan
Les hyènes chassant parfois seules, les membres d'un même clan peuvent se trouver séparés. Quand ils se retrouvent, ils se plient à un protocole de salutations bien plus long et élaboré que celui des chiens domestiques: après s'être senti la gueule, les deux animaux se sentent respectivement le derrière puis lèvent la patte arrière afin que chacun puisse inspecter les parties génitales de l'autre et ainsi établir qui est le dominant. Comme le résume Mary Weldele: «C'est une façon de faire la paix, de se réconcilier, de reconnaître le rang de l'autre et, parfois, de se mettre d'accord pour coopérer.»
Les hyènes forment en effet des alliances pour attraper les proies rapides, pour remporter les combats contre les lions et pour défendre leurs butins contre les autres carnivores. Dans la colonie de Berkeley, l'aptitude des hyènes à collaborer a été prouvée au moyen d'une expérience au cours de laquelle une récompense n'était donnée que quand deux animaux tiraient en même temps sur deux cordes distinctes. Cependant, les hyènes n'aiment pas collaborer avec l'homme, elles ne sont pas un animal de compagnie idéal. Pour se fabriquer une aura de mystère et de pouvoir, des hommes trimballent ainsi des hyènes muselées en laisse au Nigeria.
«Les hyènes sont très attentives à ce que font les autres membres de leur espèce», relève Kay Holekamp, zoologue de l'université d'État du Michigan qui est aux hyènes ce que Jane Goodall est aux grands singes. Fine observatrice de ces animaux à l'état sauvage, elle prend leur défense dès qu'elle en a l'occasion. Il existe des centaines de vidéos de hyènes sur YouTube, mais la plupart sont complètement stupides. Les meilleures informations et vidéos sur cet animal se trouvent sur le site de Holekamp.
Mal-aimées de Disney
Quand les dessinateurs de Disney vinrent visiter la colonie de Berkeley pour le film Le Roi Lion -économisant ainsi un voyage en Afrique- Glickman et Holekamp eurent le fol espoir de voir les hyènes enfin représentées, sinon de manière positive, du moins avec une certaine exactitude. Le résultat fut désolant: tandis que les lions, à qui Jean Reno prêta entre autres sa voix en France, sont montrés comme courageux et philosophes, les hyènes sont dépeintes comme cruelles, gloutonnes et perfides; elles ne sont que des charognards dépendants des lions pour se nourrir.
En réalité, ces créatures sont très adaptables et, fort heureusement, elles se moquent de ce qu'Ernest Hemingway ou vous et moi pensons d'elle. Bien qu'en Afrique, les hyènes soient chassées aussi fréquemment que les loups le sont en Alaska, et bien qu'elles soient très souvent empoisonnées, elles ne sont pas officiellement une espèce en danger. Il est généralement admis que si les prédateurs ne limitaient pas certaines populations, les gnous, les antilopes et les autres ongulés mourraient de faim et de maladies.
Les hyènes ne sont pas aussi cruelles et sournoises que ne le laissent penser les dessins animés, mais elles restent des bêtes sauvages. Sur son site, on voit Holekamp prendre une hyène dans ses bras, ce qui semble plutôt risqué. «Je ne suis pas folle, commente la zoologue, elle était sous calmant.»
* Traduction de Jeanine Delpech, Éd. Gallimard 1969
Constance Casey
Traduit par Chloé Leleu
Photo: Une hyène dans la réserve nationale de Masai Mara, Barry Moody/REUTERS