Sobrement intitulée «Arrestation de Florence Cassez au Mexique: la police a menti», l'Agence France Presse a annoncé mardi avoir en sa possession un document du Parquet Général de la République (la PGR, l'équivalent mexicain du ministère de la Justice) datant de mars 2007 assurant que la police a manipulé les journalistes en leur faisant croire que l'arrestation de la Française et de son compagnon Israel Vallarta s'était déroulée en direct le 9 décembre 2005. Or, ils ont été arrêtés la veille, 8 décembre, et l'Agence Fédérale d'Investigation (AFI, police fédérale, dissoute en 2009) a mis en scène son intervention pour la télévision. Ni une, ni deux, tous les médias français se sont rués sur cette «information» et l'ont reprise mot pour mot. «La police a menti», «la police a menti», entend-on depuis 24 heures sur les ondes, sur toutes les chaînes de télévision, dans les journaux. Et les avocats de Florence Cassez de surenchérir. «Il y a là matière à révision du procès, car ce document aurait dû figurer dans le dossier lors de la procédure d'appel», explique Augustin Acosta, son défenseur mexicain. «La police mexicaine a produit un faux», déclare de son côté Maître Franck Berton, qui la représente en France. Les proches de la Française demandent sa libération immédiate. «On a menti à la justice, c'est énorme. Aujourd'hui, Florence doit rentrer en France, ça prouve son innocence», a dit son père, Bernard Cassez, au micro de France Info.
Oui, la police a menti et mis en scène l'arrestation. Mais ceci n'est pas une information nouvelle: on le sait depuis... 2006. Un petit retour en arrière s'impose.
Faux pas médiatique
L'affaire, à l'époque, fait grand bruit tant en France qu'au Mexique (aujourd'hui, la presse mexicaine se contente de quelques brèves). L'équipe de l'émission de télévision Punto de Partida a enquêté et, en février 2006, a prouvé la manipulation. Genaro García Luna, alors directeur de l'AFI, qui occupe dorénavant le poste de Procureur Général de la République (ministre de la Justice), face aux flots de questions de la journaliste chevronnée Denise Maerker, reconnaît que l'arrestation a été «rejouée à la demande des médias», qui avaient besoin d'images. Il s'avère aujourd'hui que les journalistes n'ont rien demandé expressément et qu'ils ont été trompés.
Mais c'est bien mal connaître le système policier et judiciaire mexicain que de penser que cette confirmation peut changer la donne pour Florence Cassez. Elle a sans doute commis à ce moment précis une erreur stratégique qui s'avère fatale pour son dossier. Depuis la prison où elle est incarcérée, elle appelle l'émission et traite García Luna de menteur en direct devant des millions de téléspectateurs. C'est sûrement à ce moment, en 2006, que Florence Cassez a signé sa condamnation.
Le Mexique est un Etat fédéral où règne un véritable climat de méfiance envers la police et la justice. La vie politique mexicaine a été marquée par la domination, pendant 70 ans, du Parti de la révolution institutionnelle (PRI). Il a fallu attendre 2000 et l'arrivée de Vicente Fox à la présidence pour assister à la première alternance à la tête du pays. «Durant 70 ans, le Mexique a eu une police répressive, explique Oscar Máynez, criminologue réputé. Elle était là pour contrôler les voix dissidentes, les faire taire. Pendant cette période, elle n'a jamais mené à bien une enquête. Quand certaines affaires sortaient au grand jour, les flics enlevaient quelqu'un, le torturaient, le faisaient avouer et le dossier était bouclé. Il est impossible qu'après tant d'années de répression, le Mexique retrouve, du jour au lendemain, une police réellement professionnelle.»
Que sait-on sur ce dossier?
Ce qui arrive à Florence Cassez est le lot quotidien de nombreux Mexicains qui doivent faire face à un système infernal. Bien des boucs émissaires croupissent dans des cellules des Centres de Réadaptation Sociale (Cereso), comme on appelle les prisons au sud du Rio Bravo. Pour autant, cela signifie-t-il qu'elle est innocente? Je n'en sais rien. Est-elle coupable? Je n'ai pas la réponse, mais un fait demeure, elle l'est aux yeux de la justice mexicaine.
Soyons honnêtes, des doutes sont permis sur la manière dont ce dossier a été mené. Mais qui a vu ce dossier dans son intégralité? Pas moi. Le fait d'être simplement Française ne fait pas de Florence Cassez une innocente. Tout comme elle a très bien pu être trompée et manipulée par son compagnon.
Pour avoir enquêté sur plusieurs affaires au Mexique et avoir pratiqué durant des mois tous les niveaux de la police et de la justice de ce pays, ma seule certitude dans cette affaire est qu'il faut tout reprendre à zéro. Une mise en scène d'arrestation devant les caméras n'est pas une preuve d'innocence ou de culpabilité, c'est le quotidien mexicain. J'ai assisté à plusieurs reprises à ce genre de show policier. Les faits divers sont vendeurs, les journaux font leurs choux gras avec ces histoires. Les journalistes spécialisés sont branchés en permanence sur les fréquences de la police (comme cela se fait également en France) et, au cours d'un reportage, il m'est arrivé de me rendre sur une scène de crime avant la police car j'étais plus près du lieu que la première patrouille.
Surréaliste, j'en conviens, mais des photographes déplaçaient même le corps pour prendre une meilleure image. Il n'est pas rare non plus d'assister à des interviews de personnes arrêtées avant qu'elles soient entendues par la police. Pour avoir pu lire plusieurs dossiers d'instruction, je peux vous assurer que, parfois, la procédure est uniquement à charge. Mais il y a aussi des policiers honnêtes, des juges et des procureurs qui font bien leur travail, des agents fédéraux qui risquent leur vie au quotidien pour infiltrer des organisations criminelles et qui résolvent des affaires.
Faux pas politique
Pour en revenir au cas de Florence Cassez, je m'interroge aussi sur la stratégie de défense mise en place. Pour son premier voyage, son avocat français est arrivé au Mexique accompagné d'une horde de journalistes, tous persuadés de l'innocence de sa cliente. Un bon moyen de vexer les Mexicains. Puis l'affaire est devenue politique. Nicolas Sarkozy a été bien mal conseillé. Il était impossible qu'il rentre avec elle après sa visite d'Etat en 2009 comme il l'avait annoncé. Car le Mexique vit au rythme des élections. Le moment politique est capital et l'attitude des autorités peut varier en fonction de ce critère. Le président français ne savait-il pas que des élections avaient lieu quelques semaines après sa visite? Son homologue Felipe Calderón avait fait de la lutte contre l'insécurité et contre la vague de kidnappings une priorité. Avec Florence Cassez, il tenait là un symbole de sa supposée réussite.
Mauvais moment donc, mauvaise attitude, mauvais choix. Si la police et la justice mexicaine peuvent être mises en cause dans ce dossier, la réaction des autorités françaises et des avocats de Florence Cassez n'est pas exempte de tout reproche non plus. Reste la question essentielle: innocente ou coupable? Seule elle connaît la vérité.
Marc Fernandez
Photo: Florence Cassez lors de son «arrestation» le 9 décembre 2005. REUTERS