Parents & enfants / Santé

Avec la pandémie, leur post-partum a été plus rude

Temps de lecture : 5 min

Après un accouchement, de nombreuses femmes sont touchées par un baby blues, voire par une dépression. Mais qu'en est-il dans ce contexte de pandémie de Covid-19?

Près de 75% des femmes ayant accouché durant la période du premier confinement présentaient des signes de stress post-traumatique. | Hollie Santos via Unsplash
Près de 75% des femmes ayant accouché durant la période du premier confinement présentaient des signes de stress post-traumatique. | Hollie Santos via Unsplash

Il est 9h30. Fred*, chef de chantier à Nancy, est parti au travail il y a tout juste une heure. En chemin, il a déposé Héloïse, 4 ans et demi, à l'école. Sa conjointe Cassandra, aide-soignante, est elle dans la cuisine et épluche des légumes en vue du repas du soir.

Ce repas n'aura lieu que dans dix heures, mais «si je ne le fais pas maintenant, je ne sais pas si j'aurais le temps plus tard», soupire la jeune femme. Long silence, grande inspiration, Cassandra raconte qu'elle est crevée, «KO même». Cette nuit, comme la nuit précédente, elle a à peine fermé l'œil.

Et pour cause, depuis un mois et demi son sommeil est entrecoupé par les pleurs de Jérémy, son fils, né le 22 avril 2020. Ce qui la rend dingue? «C'est que Fred, lui, ne les entend pas. Mais comment peut-il ne pas les entendre?» se demande-t-elle en marmonnant dans sa barbe «parfois j'ai l'impression qu'il le fait exprès». Cet agacement fait place à la culpabilité: elle ne devrait pas penser ça de son mari, ni avoir envie de partir loin de ses enfants. Mais c'est pourtant le cas.

En juillet, Cassandra a été diagnostiquée comme souffrant d'une dépression post-partum. À l'origine de son trouble, elle en est sûre: le Covid et l'isolement.

Confinement, solitude et dépression

«Je me souviens comme j'étais heureuse après l'accouchement de ma fille, il y a quatre ans, retrace-t-elle. La différence avec la naissance de mon fils, c'est qu'à l'époque, j'étais entourée.»

À l'hôpital déjà, son mari, ses parents, ses beaux-parents et ses amis proches se relayaient pour lui rendre visite et les couvrir, elle et son nouveau-né, de cadeaux. «Je m'étais même liée d'amitié avec une jeune maman qui occupait une chambre voisine. Son fils [était] né le même jour que ma fille», revit-elle.

En revanche, lorsqu'elle évoque la date de naissance de son fils, elle se souvient simplement de l'immense sentiment de solitude qui l'a gagnée et dont elle n'arrive toujours pas à se détacher depuis.

«Toute la journée, j'attendais juste que mon mec rentre du boulot pour qu'il me raconte sa vie. De mon côté, au mieux j'avais lavé mes cheveux.»
Cassandra, a accouché en avril 2020

Le 22 avril, la France est confinée et le protocole sanitaire très strict. Aucune visite n'est autorisée. La césarienne de Cassandra devra donc se passer sans son conjoint. Premier coup dur. De retour chez elle, son mari reprend rapidement le travail tandis qu'elle, en congé maternité, ne peut voir ni ses amis, ni sa famille. Son quotidien se limite à s'occuper seule de sa fille de 4 ans et demi et de son fils.

«Toute la journée, j'attendais juste que mon mec rentre du boulot pour qu'il me raconte sa vie. De mon côté, au mieux j'avais lavé mes cheveux», rapporte-t-elle. Son seul moment de répit est d'avoir le reste de son entourage au téléphone. «On ne se rend pas compte à quel point cela peut faire du bien de parler. Je précise: à des adultes.»

Comme elle, Cécile, infirmière de 35 ans, a donné naissance à son deuxième enfant, Andréa, en décembre 2020, à Rouen. Ici aussi, avec le Covid et le protocole sanitaire mis en place, hormis son compagnon, aucun membre de la famille n'a été accepté dans l'établissement. Grand regret. Mais c'est surtout à son retour à la maison que la trentenaire déchante.

Son mari, infirmier, reprend très vite du service. Confinée et sans pouvoir recevoir de visite de la part de ses amis ou de sa famille, elle reste bloquée à la maison. «Après mon premier accouchement, ma belle-mère avait déménagé pendant un mois à la maison pour me donner un coup de main. Ça m'avait profondément aidée! Cette fois-ci, confinement oblige, je me suis retrouvée seule avec deux enfants en bas âge. Croyez-moi, la différence, je l'ai sentie», témoigne-t-elle.

Traitée pour dépression depuis un mois, elle est certaine que le Covid, ou plutôt l'isolement qu'il a engendré, est responsable de sa détresse.

Une charge psychologique en plus

Selon le rapport du collectif Tou.te.s contre les violences obstétricales et gynécologiques, à l'issue du premier confinement près de 75% des femmes ayant accouché entre le 15 février et le 31 mai présentaient des signes de stress post-traumatique. D'après une étude universitaire, ce chiffre oscille habituellement entre 2% et 6% chaque année.

«Déjà en temps normal, la période postnatale est délicate pour les femmes», commente Nathalie Lancelin-Huin, psychologue spécialisée en périnatalité. Physiquement d'abord. «Beaucoup souffrent encore de contractions, de brûlures au moment d'aller aux toilettes et/ou perdent du sang abondamment, de retour chez elles. Les autres cicatrisent lentement et douloureusement de leur épisiotomie ou césarienne.»

«Il a fallu gérer la présence très balisée du conjoint en suites de couches et l'interdiction des visites.»
Cécile, a accouché en décembre 2020

Leurs corps ont vécu une épreuve difficile. «Les femmes doivent se remettre d'un marathon de neuf mois avec une dernière étape au bout, celle de l'accouchement», ajoute la spécialiste, soulignant également le choc psychologique de ne pas «reconnaître son corps».

Ensuite, place à l'enfant. «J'ai découvert à la naissance de mon fils que la maternité, c'était beaucoup de culpabilité, de stress et de charge mentale», analyse Cassandra. «Au début, lorsque mon fils pleurait, je passais mon temps à essayer d'en connaître la raison. À l'inverse, lorsqu'il ne pleurait pas, je passais mon temps à me demander pourquoi», ajoute Cécile.

La pandémie est venue amplifier ce cocktail déjà explosif. Nathalie Lancelin-Huin exlique que «les femmes doivent en plus jongler avec l'anxiété liée au Covid et le stress de l'équipe médicale». Pour certaines, comme Cassandra et Cécile, il a aussi fallu «gérer la présence très balisée du conjoint en suites de couches et l'interdiction des visites».

«Nous avons pu profiter pleinement de notre nouveau-né en famille»

Mais heureusement, toutes les femmes n'ont pas mal vécu les débuts de leur maternité en temps de confinement. Certaines ont apprécié, voire même largement préféré vivre leur post-partum dans ce cas de figure si particulier.

Rachel Halimi, sage-femme libérale à Paris, précise que ça a été le cas «surtout lorsque le père était en télétravail». Dispensés des transports et continuellement à la maison, les pères pouvaient plus facilement s'occuper de leurs enfants. Ils disposaient de temps supplémentaire à leur consacrer, à l'heure du déjeuner par exemple ou à la place de ce qui aurait été une pause café au boulot.

«Là au moins, la question du nombre de sollicitations ne se posait pas.»
Catherine, a accouché en avril 2020

C'était le cas de figure pour Catherine, rédactrice web de 34 ans, qui a donné naissance à son troisième enfant début avril 2020. «Un bonheur. Pendant un mois et demi, nous avons pu profiter pleinement de notre nouveau-né en famille», se souvient-elle. Sans que ni elle, ni son mari n'aient eu à courir dans tous les sens pour déposer les enfants à l'école, chez leurs amis respectifs ou se rendre à des activités.

Autre source de soulagement pour les jeunes mamans, celle de «ne pas culpabiliser de ne pas avoir envie de sortir, de sociabiliser ou d'accepter les visites fatigantes de proches», souligne Rachel Halimi. Catherine confirme avec force: «Je me souviens qu'après mon premier accouchement, j'étais assez perturbée par le nombre de sollicitations dont je faisais l'objet. Là au moins, la question ne se posait pas.»

Enfin, Nathalie Lancelin-Huin, psychologue spécialisée en périnatalité, indique que «le confinement a également permis à certaines femmes de se délester de la pression engendrée par les réseaux sociaux». Tout le monde était sur pause, y compris les modèles de mères parfaites sur Instagram, qui tendent à culpabiliser ou faire déprimer les nouvelles mamans.

*Le prénom a été changé

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